(Agence Ecofin) – Le 21 février dernier, Tarek El-Molla, le ministre égyptien de l’Énergie, a rencontré plusieurs responsables de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Au terme de la réunion, il a été convenu que le gisement gazier Gaza Marine situé au large de la Palestine sera développé par des compagnies égyptiennes. Jusque-là, les tentatives visant à mettre en production le site s’étaient heurtées à l’intransigeance de la position israélienne. Grâce à la diplomatie égyptienne, Israël est dorénavant disposé à laisser la Palestine produire du gaz sur ce champ découvert en 1999. L’Égypte qui se veut un pôle régional pour l’industrie gazière, fait le pont entre les deux parties pour favoriser l’indépendance énergétique et faire du gaz un outil d’accélération de la croissance économique.
Comprendre le contexte
En février 2001, deux ans après la découverte de Gaza Marine et l’accord selon lequel la future production du champ serait vendue à Israël, le nouveau Premier ministre israélien Ariel Sharon annonce un veto sur tout achat de gaz palestinien. Une décision soudaine motivée principalement par la seconde intifada qui durera jusqu’à février 2005.
Mai 2002, Ariel Sharon lève son veto grâce à l’intervention du Premier ministre britannique, Tony Blair. Ce dernier défendait surtout les intérêts de la société British Gas Group, découvreuse du gisement et qui s’apprêtait à l’exploiter. Selon l’accord liant les différentes parties, l’Autorité palestinienne devait contrôler 10% des réserves, le gaz acheminé vers des terminaux de traitement israéliens tandis que les revenus pour la partie palestinienne seraient transférés sur un compte spécial pour financer l’aide internationale.
Mais un nouveau rebondissement survient à l’été 2003 et dresse le lit au statu quo observé jusqu’à récemment. Sharon recourt à un nouveau veto pour bloquer le projet. Dans un contexte marqué par les affrontements entre les deux voisins, il explique que l’argent versé à l’Autorité palestinienne pour le développement du projet pourrait servir à soutenir le terrorisme.
Plusieurs tentatives de relance suivent, mais les tensions politiques et les méfiances, de la partie israélienne notamment, ne permettent de mettre en œuvre le projet. En décembre 2007, BG Group annonce la fin des négociations avec Israël et évoque des « désaccords insurmontables ».
Pour rappel, les réserves du champ de Gaza sont estimées à 32 milliards de mètres cubes.
Une plateforme régionale fédérant les potentiels
Suite à la multiplication des découvertes gazières au large de l’Égypte, d’Israël ainsi que dans les eaux d’autres pays de la région, les ministres de l’Énergie israélien et égyptien ont lancé en 2017 le Forum du gaz de la Méditerranée orientale (EMGF). Sept pays en ont signé la charte : l’Égypte, Israël, la Grèce, Chypre, la Jordanie, l’Autorité palestinienne et l’Italie.
Sept pays en ont signé la charte : l’Égypte, Israël, la Grèce, Chypre, la Jordanie, l’Autorité palestinienne et l’Italie.
L’EMGF vise à « servir de plateforme rassemblant les producteurs de gaz, les consommateurs et les pays de transit pour créer une vision partagée et établir un dialogue politique structuré sur le gaz naturel, conduisant au développement d’un marché durable et à l’exploitation des ressources gazières de la région pour le bien-être des populations concernées. », détaille la charte.
« Créer une vision partagée et établir un dialogue politique structuré sur le gaz naturel.»
L’Égypte, qui est déjà autosuffisante en gaz naturel, qui possède un potentiel gazier immense, des infrastructures de transport stratégiques et des usines de traitement, va structurer son ambition de devenir un pôle régional du gaz naturel autour de cette plateforme. Le pays tend la main à des voisins comme Chypre et Israël qui ont découvert des gisements, ou à d’autres pays qui ont un potentiel de production comme la Grèce et la Palestine. Ces pays ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire pour monétiser efficacement leurs vastes ressources gazières, contrairement à l’Égypte, proche de tous ces gisements.
L’Egypte dispose déjà de toutes les infrastructures industrielles nécessaires.
Avec Israël par exemple, l’accord consiste pour l’Égypte à transformer le gaz issu du champ Léviathan en GNL dans ses terminaux d’Idku et de Damiette, avant de l’exporter vers l’Europe.
L’action égyptienne
Soucieuse de fédérer les pays détenteurs de réserves gazières de la région au sein de l’EMGF, l’Égypte va mener pendant plusieurs mois des négociations auprès des autorités israéliennes pour qu’elles lâchent du lest et permettent à Gaza Marine d’entrer en exploitation. Un succès d’après Gamal Qalioubi, spécialiste de l’énergie à l’université américaine du Caire. « L’Égypte a joué ce rôle avec beaucoup d’intelligence et de sens politique pour résoudre de nombreux problèmes et calmer la région, qui était au bord d’un conflit économique, surtout à la lumière de l’arrogance de la Turquie », a-t-il expliqué.
« L’Égypte a joué ce rôle avec beaucoup d’intelligence et de sens politique pour résoudre de nombreux problèmes et calmer la région, qui était au bord d’un conflit économique, surtout à la lumière de l’arrogance de la Turquie », a-t-il expliqué.
Le fait est que la Turquie, qui souhaite également profiter des réserves gazières de la région, a qualifié d’invalide l’accord égypto-chypriote de 2013 sur l’utilisation des sources naturelles dans la zone économique de la Méditerranée. Une position qu’Ankara justifie en affirmant que les « Chypriotes turcs ont des droits indéniables sur l’archipel et aucune entité, société ou navire étranger ne peut effectuer des recherches scientifiques illégales ou de l’exploration pétrolière et gazière sur le plateau continental de la Turquie et ses zones maritimes ». Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre turc des Affaires étrangères a fait savoir que cette zone maritime de l’archipel qui est contrôlée par les Chypriotes turcs restait sous juridiction turque.
À cette déclaration, Le Caire avait répondu que la démarche risque de mettre en péril la sécurité et la stabilité dans la région, avant de mettre en garde la Turquie contre toute activité d’exploration dans la zone.
« L’Autorité palestinienne pourra bénéficier de ces gisements pour tenter de résoudre sa grave crise économique ».
Selon l’accord signé avec l’Autorité palestinienne, l’Égypte développera le champ Gaza Marine afin de fournir du gaz naturel à la Palestine (pour sa production électrique notamment), et d’en exploiter une partie pour transformation et exportation. D’après Mohammad Mustafa, le conseiller du président palestinien pour les affaires économiques, les deux pays veulent développer le champ « dès que possible ».
« Les efforts de l’Égypte pour soutenir la cause palestinienne et développer le champ gazier de Gaza, resté inactif pendant des années, ont commencé à porter leurs fruits. L’accord a des dimensions économiques, politiques et sécuritaires » s’est enthousiasmé Osama Kamal, ancien ministre égyptien du Pétrole dans une interview accordée à Al Monitor.
« Les efforts de l’Égypte pour soutenir la cause palestinienne et développer le champ gazier de Gaza, resté inactif pendant des années, ont commencé à porter leurs fruits. L’accord a des dimensions économiques, politiques et sécuritaires »
L’aspect sécuritaire implique un contrôle renforcé aux frontières nord-est de l’Égypte, afin d’empêcher l’infiltration d’extrémistes dans le pays. Il ajoute que « l’intervention de l’Égypte est en quelque sorte une source de réconfort pour les deux parties, ces dernières pouvant mieux coopérer et l’Autorité palestinienne pouvant bénéficier de ces gisements pour tenter de résoudre sa grave crise économique ».
Lors d’une rencontre avec le ministre égyptien du Pétrole, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré qu’il y avait suffisamment de gaz pour que les 2 pays puissent répondre à leurs besoins et devenir de grands exportateurs. Il a ajouté que cet accord ouvre une nouvelle ère de paix et de prospérité pour la région.
D’après les analystes, le développement de ce projet va calmer les tensions entre les deux pays et permettre d’instaurer de véritables processus de développement dans la bande de Gaza.
D’après les analystes, le développement de ce projet va calmer les tensions entre les deux pays et permettre d’instaurer de véritables processus de développement dans la bande de Gaza. Du reste, l’accord israélo-égyptien sur le gaz palestinien confirme le rôle du Forum du gaz de la Méditerranée orientale dans l’apaisement de la situation entre les pays de la région qui avaient des différends sur les découvertes gazières.
Olivier de Souza