Les multiples rebondissements du feuilleton Sarr-Sonko n’ont pas réussi à occulter, en fin de semaine dernière, l’actualité de la Covid-19, il est vrai, renforcée par le démarrage de la campagne de vaccination au plan national, le mardi 13 février. Deux cent mille premières doses du vaccin chinois Sinopharm sont arrivées à Dakar et seront, dans une première phase, injectées aux personnes âgées, au personnel médical et, pour donner l’exemple, aux différents responsables politiques et religieux susceptibles d’acquérir l’opinion à cet impératif vital qu’est la vaccination.
C’est ainsi que, déférant à cette nécessité, le président Macky Sall s’est fait injecter une première dose de Sinopharm, le jeudi 25 février, dans une salle des banquets de la présidence de la République transformée, pour l’occasion, en vaste salle de vaccination où ministres et autres apparatchiks du régime se sont succédé pour donner le ton de ce qui devrait être, dans les prochains jours, une mobilisation sanitaire nationale et éminemment citoyenne.
Plus de 12 000 personnes ont déjà été vaccinées, depuis le début de la campagne, ce qui peut paraitre insignifiant au plan national, mais qui augure positivement de ce que pourra être, dans les prochains jours, le rythme des vaccinations. Les doses mises à disposition ont été, selon toute vraisemblance, équitablement réparties dans toutes les régions du pays et 6,5 millions de nouvelles doses sont attendues dans les prochaines semaines qui devront couvrir l’essentiel des besoins nationaux. Car, à ces vaccins chinois, s’ajouteront ceux du Mécanisme Covax de l’OMS, mais aussi le vaccin russe Spoutnik V, que le gouvernement sénégalais est en train d’acquérir pour compléter, par ses propres efforts et sur son propre budget, les besoins des populations.
Point donc besoin d’épiloguer sur l’engagement des autorités de notre pays à contrer le sinistre virus ; on saluera l’exemplarité du modèle sénégalais, d’abord parce que cela n’arrive pas tous les jours, mais aussi et surtout parce qu’elle révèle l’éthique de diligence de l’Etat, lorsque la santé publique est en cause. Il n’est pas insignifiant de souligner que le Sénégal est le 7e pays africain à se lancer dans la vaccination de masse et c’est, au demeurant, l’une des raisons pour lesquelles le ministre Abdoulaye Diouf Sarr a évoqué ‘’un jour historique’’, pour saluer une campagne qui a été lancée ‘’sans l’aide de personne’’. Légitime fierté, mais qui devra faire face, désormais, à la réalité du paramètre de la réceptivité des populations à ce vaccin dont l’administration a démarré sur des chapeaux de roue, mais qui pourrait, faute de candidats, ralentir sa vitesse de croisière et laisser se poursuivre le joug de l’épée de Damoclès de la peur d’une troisième vague qui serait plus meurtrière que la deuxième. Celle-ci l’est déjà plus que la première, avec ses 13 % en moyenne de taux de contamination et son nombre journalier de décès.
Car, en dépit des affres de cette deuxième vague, nos compatriotes semblent paradoxalement dubitatifs quant à l’efficacité des vaccins, s’ils ne nourrissent pas tout simplement de la défiance à son égard. Une défiance alimentée des craintes des effets secondaires, des théories complotistes soutenant que les vaccins sont destinés à stériliser les Africains, sinon à les faire mourir et d’autres théories encore plus hallucinantes qui tiennent dans la probabilité que ces vaccins insèreraient sous la peau des signes de reconnaissance du diable…
Selon une étude réalisée début février par le Bureau de prospective économique, seulement 15 % des Sénégalais sondés pensent que la vaccination est une solution et moins d’un sur deux serait prêt à se faire vacciner.
Les 852 morts de la Covid-19 et un peu plus depuis quarante-huit heures, enregistrés par le Sénégal depuis le début de la pandémie, n’ont, à l’évidence, pas eu d’impact significatif sur les mentalités. Et les croyances dues à l’ignorance et aux peurs les plus anciennes, ont la puissance de lester l’efficacité de l’action publique.
Un peu plus que de slogans, cette campagne de vaccination aura besoin d’une véritable offensive en termes de communication de la part du ministère en charge de la santé. C’est bien ce que semble avoir compris Mamadou Ndiaye, Directeur de la Prévention au ministère de la Santé en tablant sur l’’engagement communautaire’’ et sur l’appui des ‘’radios communautaires’’ pour faire entendre, autant que faire se peut, le caractère vital de la vaccination et l’évidence du péril que son rejet ferait encourir à l’ensemble de la collectivité nationale.
On esquisserait un peu ironiquement ce qui adviendrait dans cette dernière hypothèse ; le chef de l’Etat en a plus ou moins brandit la menace : le don des vaccins à d’autres pays qui en auraient besoin et dont les populations, elles, ne se feraient pas prier pour se faire vacciner. Il en a, par ailleurs, déjà donné le ton : 10 % des 200 000 doses achetées à la Chine ont été données à la Gambie et à la Guinée qui peinaient à amorcer une initiative de contre-offensive, même élémentaire, face au coronavirus…
Mais l’on en est pas encore là : les 12 000 premières personnes vaccinées sont un encouragement et, en soi, un optimisme. Elles sont révélatrices du fait que la peur d’une mort que l’on a de plus en plus du mal à cerner dépasse la ténacité des postures et l’atavisme des préjugés.
Au point de faire de cette campagne de vaccination et de toutes celles qui vont suivre un éclatant succès ? Les jours qui viennent nous édifieront très vite.