Pikine-Nord a vécu hier une matinée cauchemardesque avec la découverte des corps sans vie d’un homme et de son épouse dans leur chambre. Des indices retrouvés sur les lieux font soupçonner une mort due à une asphyxie au monoxyde de carbone. Les deux époux ont convolé en justes noces il y a moins de deux mois.
Tout est allé très vite hier à Pikine-Nord. Peu avant huit heures, alors que certains se préparaient pour aller au boulot, d’autres, encore retenus au lit par la fraîcheur matinale, hésitent à mettre le nez dehors. Soudain, des pleurs et des cris stridents déchirent le silence dans une maison sise au quartier Colobane 2 à Pikine-Tally Boubess. Très vite, colocataires, cohabitants et voisins se ruent dehors pour constater qu’il s’agit des enfants du couple Diouf. Issus d’un autre ménage avant que leur mère ne divorce pour un second mariage avec un mareyeur du nom de Mouhamed Kamal Diouf, les enfants ne dorment pas avec leur génitrice. Une chambre leur a été aménagée à côté et tous les matins, ils retrouvent leur mère Aïda Faye et son nouvel époux pour prendre le petit-déjeuner ensemble. Un rituel qui a brutalement pris fin hier lorsque les enfants, comme à l’accoutumée, sautent de leur lit peu avant huit heures et se ruent vers la chambre de leur mère. Sur place, ils découvrent leur mère et son époux encore au lit. Une situation inhabituelle pour les enfants qui s’attardent dans la chambre et laissent traîner leur regard sur les deux corps encore au lit, celui de leur mère recouvert d’un drap alors que son nouveau époux, Mouhamed Kamal Diouf, était encore habillé. Tous les deux corps étaient inertes. La scène semble surréaliste pour les enfants qui prennent leur courage à deux mains et tentent de réveiller leur mère. En vain. Les enfants étaient loin de se douter que leur mère était plongée dans un sommeil éternel. L’odeur de la mort avait déjà envahi la chambre. Cela, les enfants l’ont compris et tous se sont rués dehors pour crier et alerter les autres habitants de la maison, très vite envahie par les voisins. Plus tard, les différents membres de la famille de chacun des deux époux débarquent et constatent comme tout le monde que Aïda Faye et son époux Mouhamed Kamal Diouf sont bel et bien décédés. Les lieux sont ainsi sécurisés, les enfants du couple éloignés et la Police alertée.
Un encensoir avec du charbon non encore éteint découvert dans la chambre mal aérée
A leur arrivée, les limiers de Pikine, après avoir établi un cordon de sécurité, sont rejoints quelques minutes plus tard par des éléments de la Division de la police technique et scientifique (Dpts). Ces derniers, au moment du constat, découvrent dans un coin de la chambre, une marmite remplie d’eau chaude posée sur un encensoir contenant du charbon qui n’était pas totalement éteint. Toujours dans leurs recherches d’indices pouvant expliquer le décès des deux conjoints, les éléments de la Police scientifique ne relèvent aucune trace de blessures sur les deux corps. De même, tout était bien ordonné dans la chambre où aucune trace de violence ou de lutte n’a été relevée par les limiers scientifiques dont le crépitement de leur appareil photo était le seul bruit perceptible pour immortaliser la scène de la découverte macabre. L’encensoir avec du charbon encore fumant, ajouté à l’absence d’aération dans la chambre dont la fenêtre était hermétiquement fermée, sont autant d’indices qui fondent la thèse d’une mort par asphyxie à la suite d’une inhalation de monoxyde de carbone. «Tout laisse croire que les deux conjoints auraient inhalé du gaz carbonique provenant du charbon qui n’était pas éteint», a soufflé un limier au moment de se retirer de la maison mortuaire. En attendant bien évidemment les résultats de l’autopsie.
La foule laisse éclater son chagrin : «Aïda, Aïda, Aïda Faye que lui est-il arrivé ?»
Pendant tout le temps que les policiers de Pikine, accompagnés de leurs collègues de la Police scientifiques étaient dans la maison vidée de ses occupants, dehors la foule, encore hébétée, attendait patiemment. Alors que certains s’étaient lancés dans des commentaires les plus alambiqués, d’autres, silencieux, s’accrochaient à l’espoir de voir les deux conjoints réanimés par les sapeurs-pompiers, arrivés quelques minutes plus tard. Un mince espoir qui va s’envoler lorsque la porte de la maison s’est ouverte, laissant découvrir brutalement l’image des corps des deux conjoints emballés dans les bras des sapeurs-pompiers. Tous ont ainsi compris que c’en était fini du couple. Un concert de pleurs a escorté le cortège funèbre. La foule en délire a laissé éclater son chagrin. Plus connue que son époux, c’est le nom de la défunte Aïda qui a rythmé les pleurs jusque bien après le départ des sapeurs-pompiers vers la morgue de l’hôpital Aristide Le Dantec. «Aïda, Aïda, Aïda Faye que lui est-il arrivé ?», n’a cessé de hurler la foule en pleurs pendant que la sirène hurlante des sapeurs-pompiers s’éloignait de Pikine, une ville où la journée d’hier a été particulièrement longue.
Une brève vie de couple sur terre, une union éternelle dans l’éternité
Aïda «Foulard» : La vidéo est rapidement devenue virale. Elle montre la défunte Aïda Faye en mode Tik Tok, habillée d’un brodé bleu, dansant sous les rythmes de «Madame Bonheur», la chanson fétiche de Adiouza. Une image qui cadre parfaitement avec la vie professionnelle de Aïda Faye qui a soufflé ses 47 bougies en décembre dernier. Vendeuse de foulards, elle excelle également dans la pose de faux cils et d’ongles. Au marché «Zinc» de Pikine où elle officie, les commentaires sont allés bon train hier. Et on souffle que sa cantine ne désemplissait jamais, tant Aïda était courue des femmes adultes et jeunes filles voulant se faire une beauté. Devenue la seconde épouse de Mouhamed Kamal Diouf il y a juste deux mois, elle a connu un premier mariage avec le frère d’un célèbre musicien de Pikine, dont le fils, également musicien, est le chouchou des jeunes filles, des dames et même des hommes. De ce mariage avec le frère de ce musicien célèbre, Aïda a eu des enfants qui sont restés avec elle, après le divorce. Âgée de 47 ans, elle n’en avait pourtant pas l’air. «Elle nous a toujours paru beaucoup plus jeune», a témoigné un voisin. Toujours souriante, elle ne se plaignait jamais et adorait déstresser aux sons de la musique sénégalaise.
Mohamed Kamal, sapeur, calligraphe, talibé de Serigne Abdou Lakhat :
Né en 1970, Kamal, comme l’appellent affectueusement ses collègues mareyeurs du marché central au poisson de Pikine (Mcp), est un homme raffiné. «Tout est finesse chez ce monsieur très calme et très pieux», a témoigné hier, Mame Ngor Fall, premier adjoint au comité des délégués du Marché central au poisson (Mcp) de Pikine. C’est à Nder, un village situé dans la région de Thiès, que Mouhamed Kamal Diouf a vu le jour il y a 51 ans, parent du défunt Talla Diouf, décédé récemment, Kamal, dont on souffle qu’il était également très proche du défunt marabout des Thiantacônes, est un fervent talibé de feu Serigne Abdou Lakhad Mbacké troisième khalife de Serigne Touba. «De son vivant, le marabout avait béni pour lui le Magal qu’il célèbre chaque année, à Keur Mbaye Fall, en l’honneur du troisième Khalife», confie son ami de plus de vingt ans, Mame Ngor Fall. Généreux, il était toujours prêt à prendre un crédit quelque part pour aider ses condisciples dans la pure tradition mouride. «Kamal était quelqu’un qui pouvait s’endetter pour donner à un proche». Au marché central au poisson de Pikine, on retient du défunt son penchant pour la sape et l’écriture coranique. «Il était fin en tout, s’il lui arrivait d’écrire en arabe, des versets du saint Coran ou des Khassidas, son talent de calligraphe sautait aux yeux. Bien des gens venaient d’ailleurs pour vérifier si Kamal est bien l’auteur des écrits qu’on leur a présentés. Tous pensaient, avant de venir, que ce sont des écrits faits à partir d’une machine». Et il n’y avait pas que l’écriture pour laisser apparaître la personnalité du défunt mareyeur. Il adorait la sape, notamment en tenue traditionnelle. Une passion qu’il a transmise à ses collègues mareyeurs dont beaucoup ont eu recours à ses services pour se faire recommander auprès d’un tailleur. «Il aimait s’habiller beau et il avait plus d’une dizaine de tailleurs, ceux que j’ai connus, c’est lui qui me les a recommandés», a lâché hier Mame Ngor Fall qui confie d’une voix étreinte par l’émotion qu’il a parlé pour la dernière fois avec Kamal un jour seulement avant sa mort. «Il a pris chez moi du poisson à crédit, m’avait payé une partie et me devait juste huit mille francs. Alors, je le taquinais en lui disant “j’ai oublié les trois mille, mais je m’accroche aux cinq mille” et lui me disait : “Demain je règle tout”». Hélas la grande faucheuse est passée par là. «J’ai tout abandonné quand j’ai appris la nouvelle», termine Mame Ngor Fall.