La pandémie de Covid-19 a provoqué une augmentation considérable des masques, notamment chirurgicaux. A Dakar, si beaucoup savent que le masque sert de protection contre le virus, il n’en n’est pas évident de ce qu’ils doivent en faire quand il est usé. Et pourtant, les risques infectieux et de pollution sont bien réels.
Dans les rues et dans les marchés, les déchets plastiques faisaient déjà partie intégrante du décor. Désormais, les masques envahissent les coins et les recoins de la capitale sénégalaise, parfois à l’air libre, fanés sous l’effet du soleil, parfois coincés dans les fosses septiques, parfois flottant à la surface des eaux usées. Une bombe environnementale qui n’en finit pas d’exaspérer environnementalistes et éboueurs.
Ce mercredi 3 février, vers les coups de 11 h-12 h, quelques techniciens s’activent encore dans les secteurs de Médina, Fass Delorme et Gueule-Tapée. Leur discours est quasi identique. ‘’Quand nous commençons à travailler le matin, avant la descente, nous pouvons ramasser jusqu’à plus de 100 masques. Et Dieu sait : certains sont très difficiles à regarder. Par exemple, hier, près du lycée Blaise Diagne, nous avons repéré un masque tacheté de sang. Nous avons eu tellement peur, mais vu que nous n’avons pas le choix, on l’a ramassé’’, témoigne, dépité, le chef de l’équipe de nettoyage du secteur de Fass Delorme, Samory, trouvé près du canal IV avec trois de ses camarades en train de balayer et de ramasser les déchets qui s’amoncellent à tous les coins de rue.
Après le ramassage, les déchets vont être mis dans des véhicules pour être acheminés à la décharge de Mbeubeuss où ils seront brûlés, d’après les éboueurs. Pourtant, avertit Seydina Limamoul Mahdy Diagne, médecin-chef du centre médico-social de l’Ipres à Dakar, le masque est un déchet infectieux dont la gestion ne doit pas être prise à la légère. Il fait savoir que les masques chirurgicaux usés font parties des déchets ‘’d’activité de soins à risques infectieux (DSRI)’’. Et parmi ces déchets, il a cité les poches de sang, les seringues…
Pour le médecin, il n’est pas sûr que les éboueurs puissent parvenir à mieux détruire ces masques en tant que ‘’déchets biomédicaux’’. ‘’Il y a un protocole à respecter pour détruire ces masques. Il existe des incinérateurs spécifiques pour traiter les déchets infectieux. Et la question qu’il faut se poser, c’est : comment, à Mbeubeuss, ces éboueurs manipulent ces déchets ? Ce sont des personnes qui ne sont pas habituées à manipuler des déchets qui viennent des hôpitaux’’, alerte-t-il.
Les risques d’infection à travers les masques usés
Au service d’hygiène, la question semble être prise très au sérieux. Chef de la brigade de Dakar, le lieutenant Armand Seck informe qu’à l’heure actuelle, ses équipes sont en pleine campagne de sensibilisation pour montrer aux gens les méthodes de collecte et de conditionnement des déchets infectieux. ‘’Nous leur montrons, dit-il, comment décontaminer tous ces produits qui ont été utilisés, pour se protéger du virus. Nous faisons même des visites à domicile pour montrer aux gens comment désinfecter les matières utilisées dans la lutte contre la Covid-19. Pour ce qui est du cas des masques, nous leur apprenons à faire de la coloration, c’est-à-dire quelle quantité d’eau de javel faut-il utiliser pour faire la décontamination. En ce qui concerne la gestion des masques, ce qu’on conseille aux populations, c’est qu’une fois qu’ils en ont fini, de les désinfecter avec de l’eau de javel, les sécher et ensuite de les mettre dans une poubelle adéquate’’.
Alors que les éboueurs craignent pour leur santé, du fait qu’ils sont en contact permanant avec ces déchets infectés, le médecin tente de rassurer, en donnant des conseils pratiques. ‘’Pour éviter d’être contaminé, les éboueurs doivent porter des masques et des gants. Dans ce cas, le risque est infime, mais pas nul. C’est un peu comme les personnels de santé qui sont dans les CTE ; ils se protègent, mais il n’est pas dit que la protection est à 100 %’’, explique le Dr Diagne.
Outre les risques auxquels sont confrontés les éboueurs, l’autre grande menace concerne les enfants qui jouent avec de tels déchets. Pour lui, la meilleure attitude, c’est d’être toujours méfiant, puisqu’il n’est pas évident de savoir si tel masque est contaminé ou pas.
De plus, déplorent nos interlocuteurs, les gens utilisent beaucoup de masques pour se prémunir contre le virus. Mais rarement ils se soucient de bien porter ces masques, encore moins de se préoccuper de leur traitement après usage. Le chef de la brigade d’hygiène de Dakar prévient : ‘’Bien porter le masque, savoir ce qu’il faut en faire après, sont des choses qui ne font pas partie intégrante de notre culture. Et c’est un véritable problème d’hygiène publique. En plus des risques infectieux, ces masques polluent aussi notre environnement.’’
Des déchets difficilement biodégradables
Par ailleurs, les impacts environnementaux de ces masques chirurgicaux qui trainent à même le sol sont réels. Journaliste environnementaliste, Idrissa Sané attire l’attention sur leur caractère dangereux et polluant. Au-delà de cette pollution visuelle, souligne-t-il, leur incinération entraine une libération de gaz carbonique qui contribue au réchauffement de la planète. De plus, fait-il observer, il ne faut pas négliger la pollution marine.
Les masques coincés dans les fosses septiques et ceux qui flottent dans les eaux usées, renseigne le journaliste spécialiste, peuvent facilement se retrouver dans la mer, de même que ceux que le vent pourrait y amener. D’après l’environnementaliste, ces masques contenant du plastique, une fois dans mer, peuvent avoir des impacts négatifs sur la biodiversité marine. ‘’Si ces masques se retrouvent avec leur souillure dans une zone humide, ils peuvent polluer l’eau’’, ajoute-t-il. Et d’avertir : ‘’Tous les grands scientifiques, les Prix Nobel qui ont tiré les enseignements de la pandémie du coronavirus ont invité à œuvrer davantage à la protection de l’environnement. Des études ont montré que les maladies émergentes telles que Zika, Ebola ou encore la maladie à coronavirus comme du reste la recrudescence des maladies virales ont pour origine la dégradation de l’environnement.’’
Embouchant la même trompette, le Dr Diagne soutient que les masques chirurgicaux ne sont pas du papier, tel que l’on pourrait le penser. ‘’Dans ces masques, il y a du plastique dedans. En fait, c’est un dérivé du pétrole, comme le polyester qu’on peut éventuellement recycler’’, informe-t-il. Avant de renchérir : ‘’Tout ce qui est plastique, pour que cela soit dégradé dans l’environnement, il faut des centaines d’années et on risque de continuer davantage à polluer notre planète à travers ces masques, parce que jusqu’à présent, ce qui a fait l’unanimité concernant la durée d’utilisation des masques, c’est trois heures ou quatre et cela ne fait qu’augmenter le nombre de masques abandonnés.’’
Ibrahima Minthe