Cela fera bientôt trois mois que les éléments de la Section de recherches de la gendarmerie, enquêtant sur un vol de scooters, avaient défloré ce qu’on pourrait appeler le scandale des centres de redressement initiés par le marabout Serigne Modou Kara. Dans ces lieux sis à Guédiawaye, Ouakam et Malika, de jeunes individus étaient séquestrés et soumis à des actes de maltraitance. Aujourd’hui, à la demande de l’Etat, ils ont tous été fermés. L’Obs s’est payé un billet retour sur ces lieux. Reportage !
Guédiawaye, Cité Air Afrique. La maison peinte en jaune et noir ne paie pas de mine et semble à l’agonie. Dans la commune de Wakhinane-Nimzatt, non loin de la bande des filaos, elle offre au visiteur ses volets et portes hermétiquement clos. Cette demeure était, jusqu’à une date récente, la destination préférée de chefs de famille devenus impuissants face aux agissements de leur progéniture. Certains y conduisaient leurs enfants accros à la drogue et qui ont fini par basculer dans la délinquance. D’autres, un fils, un neveu ou un frère alcoolique devenu violent. Tous n’avaient qu’un seul objectif : Donner à ces jeunes, en rupture de ban, la possibilité de se sevrer de la drogue et une chance de remonter la pente. Malheureusement, si ces chefs de famille repartaient confiants d’avoir laissé leurs enfants entre de bonnes mains, pour les habitants de la Cité Air Afrique, riverains de ce site devenu un centre de redressement appelé «Diwane», c’était le début de la pire des angoisses. «Cohabiter avec 213 jeunes entassés dans huit chambres d’une maison R+1, sous la garde permanente de quatre geôliers, n’a pas été facile pour nous», témoigne d’emblée Hamidou Diallo, délégué du quartier de la Cité Air Afrique.
Retraité de l’ancienne compagnie de navigation aérienne de l’Afrique, le vieux Hamidou Diallo, élu délégué, pensait couler enfin des jours tranquilles dans cette cité que ses voisins et lui ont baptisé du nom de leur ex-employeur. Tous s’étaient investis pour rendre cette cité agréable. Hélas ! Ils ont fini par déchanter avec l’arrivée des premiers pensionnaires de Diwane. C’était en 2006. «Ils avaient de sales mines et nous avons vite compris que la cohabitation avec ces jeunes n’allait pas être une sinécure», se souvient le vieux Hamidou Diallo. Hanté par les mines patibulaires de ces jeunes individus, le délégué de quartier avoue avoir, à l’époque, perdu le sommeil. «Et je n’étais pas le seul dans ce cas. Nous étions quotidiennement stressés par la présence de cette horde de jeunes entassés dans une maison de 200 m2.»
«Depuis la fermeture du centre, il n’y a presque plus d’agressions, ni de vols dans la cité»
Aujourd’hui, le vieux Hamidou Diallo qui porte la casquette de président départemental des délégués de quartier de Guédiawaye, semble retrouver le sourire. La mine radieuse, le crâne rasé, il sauterait presque au plafond, malgré son âge, après avoir assisté à la fermeture de ce centre par la gendarmerie. «Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’on a vécu ici en cohabitant avec ce centre de redressement. Il y avait des agressions à la pelle», témoigne Hamidou Diallo.
Non loin de la maison du délégué de quartier reconnaissable au drapeau aux couleurs nationales qui flotte à l’entrée, une dame retranchée derrière le comptoir de sa boutique, confie : «Maintenant, je peux me consacrer exclusivement à ma passion : le commerce.» Retraitée, elle mettait rarement le nez dehors du fait de la cohabitation avec ce centre. «J’étais toujours retranchée dans ma maison de peur de croiser, dans la rue, les pensionnaires du centre de redressement», confie-t-elle. Pourtant, même cloîtrés dans leurs maisons, les habitants de la Cité Air Afrique «n’étaient pas à l’abri», souffle Hamidou Diallo qui rapporte que les pensionnaires du centre n’hésitaient pas, si l’envie les prenait, de les trouver jusque dans leur maison pour les agresser. «Ils escaladaient les immeubles pour voler et agresser avec des armes blanches sans que personne n’ose intervenir. Nous les avions bien identifiés parce que nous cohabitions avec eux.» Des plaintes, il y en a eu beaucoup. Toutefois, toutes sont restées sans suite, selon le délégué de quartier qui, depuis la descente de la gendarmerie dans la cité, à l’aube du vendredi 27 novembre 2020 pour fermer le centre, déploie toute son énergie afin que «Diwane» ne soit plus rouvert. «Nous ne voulons plus d’une réouverture de ce centre. Depuis que les pensionnaires sont partis, il n’y a presque plus d’agressions ni de vols dans le quartier», jubile le vieil homme. Son souhait pourrait ne pas se réaliser, car même fermé, le centre est toujours loué par les initiateurs de Diwane. «Nous voulons que le propriétaire de la maison rompt le bail et reprenne les locaux.»
«Je regrette la fermeture du centre, car les pensionnaires étaient aussi utiles à la communauté»
Pourtant à la Cité Air Afrique, il existe encore des populations qui sont nostalgiques de Diwane. Celles-là trouvent que les pensionnaires du centre participaient à rendre agréable l’environnement dans la cité. Petite femme trapue, légèrement courbée sous le poids de l’âge, Rokhaya Ndiaye semble regretter le départ des pensionnaires du centre de redressement. Gesticulant, se retournant sans cesse pour pointer le doigt sur le bâtiment qui a abrité Diwane, elle confie : «Voyez par vous-même l’état de la rue. Elle est jonchée d’ordures. Cela n’a jamais été ainsi du temps où le centre était encore fonctionnel. Les pensionnaires se débrouillaient toujours pour la rendre propre. Même si certains déplorent leur présence, les pensionnaires étaient quand même utiles à la communauté.» Des propos confirmés par le délégué de quartier qui rapporte que plus d’une fois, ils ont eu à solliciter les services des pensionnaires du centre pour des opérations de nettoyage du quartier. «C’étaient des opérations de grande envergure, il nous fallait des bras, alors on sollicitait les responsables du centre pour qu’ils mobilisent les pensionnaires. Cependant, ils demandaient une contrepartie financière. On payait pour ce service et c’était l’une des rares occasions où ils pouvaient nous être utiles», s’empresse de préciser Hamidou Diallo qui porte la voix des habitants de la Cité Air Afrique de Guédiawaye.
Les pensionnaires de Diwane et l’espace maraîcher dans la bande des filaos
Le départ des pensionnaires de Diwane, après la fermeture du centre de redressement, a transformé la bande des filaos en un vaste dépôt d’ordures. C’est sur cette bande située à un jet de pierre du centre que les pensionnaires avaient déblayé un espace pour en faire un jardin. Ils y cultivaient l’essentiel des produits destinés à leur alimentation. Ils veillaient ainsi sur les alentours du jardin. «Personne n’osait déposer des ordures dans la bande aux alentours du jardin. Maintenant qu’ils sont partis, même si le jardin est resté, les alentours sont devenus un dépotoir d’ordures», confie M. Faye. L’homme a guidé nos pas dans la bande des filaos où nous avons surpris des charretiers. Certains déversaient des ordures pendant que d’autres, munis de pelles, s’attelaient à l’extraction de sable qu’ils vont vendre dans les chantiers de construction. «C’est ainsi, de jour comme de nuit. Depuis le départ des pensionnaires, nous assistons à un ballet incessant de charretiers qui n’osaient pas s’aventurer ici avant, de peur d’y croiser les pensionnaires de Diwane.» Pourtant, le vieux Hamidou Diallo est d’un autre avis.
Pour lui, ce jardin était plus qu’un cantonnement qu’autre chose. «J’ai reçu le témoignages de certains pensionnaires qui m’ont fait de terribles confidences. D’après eux, ce jardin était comme un cantonnement militaire où les plus récalcitrants parmi les pensionnaires de Diwane étaient conduits la nuit pour être tabassés. D’ailleurs, j’invite l’État, en plus d’interdire le déclassement de la bande des filaos, d’aller fouiller là-bas. Il s’y est passé des choses innommables», termine-t-il.
Malika- Autre localité, autre ambiance. A Malika, non loin de la Vdn 3, se trouve le second centre de redressement déniché, il y a trois mois, par les gendarmes de la Section de recherches. Un bâtiment désormais fermé et qui n’a jamais suscité la curiosité de ses voisins immédiats. D’ailleurs, la seule fois qu’ils se sont intéressés à ce centre de redressement, c’était lors des fuites massives organisées par les pensionnaires. «On les voyait sauter des fenêtres et tenter de s’échapper», témoigne sous le couvert de l’anonymat un habitant rencontré sur les lieux. «Ceux qui étaient repris étaient reconduits à l’intérieur. Ils étaient tout le temps enfermés, donc on ne peut pas dire qu’ils sont à l’origine des agressions notées en son temps dans notre bourgade.» Depuis, le centre est fermé, le propriétaire de la maison qui, semble-t-il, a repris possession de sa maison, n’a pas voulu se prononcer. Comme si la page de ces centres avait été définitivement fermée. Pour de bon.
D’une enquête sur un vol de scooter au démantèlement des centres de redressement
Une enquête sur un simple vol de scooter a abouti au démantèlement des centres de redressement de Serigne Modou Kara Mbacké. C’est en remontant la piste de l’engin que les gendarmes de la Section de recherches de Colobane ont non seulement retrouvé le scooter dans un des centres gérés par Kara sécurité à Ouakam, mais ils ont aussi découvert des hommes enfermés dans des cellules. L’enquête prend une autre direction. Trois autres centres sont repérés entre les 26 et 28 novembre, à Guédiawaye et à Malika, dans la banlieue dakaroise.
Le décompte fait état d’environ 400 jeunes «incarcérés» et qui subissent des «actes de torture et de maltraitance. Le Parquet entre en action et 46 personnes, dont la plupart des responsables des centres, sont mises aux arrêts. A la fin d’une enquête préliminaire, 45 personnes finissent par être placées sous mandat dépôt, après avoir été inculpées par le juge d’instruction Mamadou Seck du 8e Cabinet du tribunal hors classe de Dakar. Ces 45 personnes sont poursuivies pour les infractions «d’association de malfaiteurs, traite de personnes commise en réunion, séquestrations commises avec actes de tortures corporelles, blanchiment de capitaux, détention illégale d’armes». Une seule personne aura échappé de la prison. Il s’agit de Pépé Diao qui avait mis une dépendance de sa maison sise à Ngor à la disposition des responsables du centre de redressement.
Ces infractions retenues contre les gestionnaires des centres pourraient les retenir encore longtemps en prison. La séquestration est réglée par l’article 334 du Code pénal qui dispose : «Seront punis de la peine des travaux forcés à temps de 10 à 20 ans, ceux qui, sans ordre des autorités constituées et hormis les cas où la loi ordonne de saisir des prévenus, auront arrêté, le détenu ou séquestré des personnes quelconques.» Une disposition qui ajoute : «Quiconque aura prêté un lieu pour exécuter la détention ou séquestration subira la même peine.» Mais l’article 335 du même Code durcit la peine, si la séquestration atteint 30 jours. «Si la détention ou séquestration a duré plus d’un mois, la peine sera celle des travaux forcés à perpétuité», dispose l’article susmentionné. Ce qui revient à dire que les gestionnaires des centres de redressement de Serigne Modou Kara risquent jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité.