Notre pays, le Sénégal, ne se porte pas aussi bien que nous le souhaitons mais nous ne désespérons pas. Le monde ne se porte guère mieux, au contraire ! Force est de constater, que malgré les efforts consentis par l’État, on s’achemine vers un retour à la case départ avec des conséquences fâcheuses de la pandémie qui s’amoncellent et doivent absolument être prises en charge.
Le Sénégal est toujours confronté à une crise multiforme : sanitaire, économique et sociale. La crise perdure avec la recrudescence de la pandémie de la COVID 19. Les acteurs clés de la société à savoir l’État, l’Entreprise et les Ménages sont durement touchés par les conséquences de cette crise. Aussi, peinent-ils à assurer les fonctions essentielles qui justifient leur existence, ce qui peut faire penser que nous avons peut-être essayer de « tuer une mouche avec un marteau » et que cette approche disproportionnée nous a conduit à une situation encore plus grave.
Nous ne sommes pas encore à l’heure du bilan post COVID 19 mais personne ne peut nier que la part de responsabilité des gouvernants dans cette situation est très importante car les choix de politiques publiques antérieures à la crise sanitaire mondiale, ont forcément fragilisé notre économie et l’ont rendu plus vulnérable aux chocs exogènes. Cependant, personne ne peut soutenir, de bonne foi, que la responsabilité exclusive de cette situation repose sur les gouvernants. En effet, le caractère surprenant et foudroyant de la crise sanitaire et ses conséquences, est indéniable. Nul ne peut non plus soutenir que les gouvernants n’auront pas essayé des solutions avec plus ou moins de bonheur.
Jetons un coup d’œil sur ce tableau !
L’État fait face à un combat pour recouvrer sa capacité d’intervention pour notamment mobiliser les ressources nécessaires au financement du développement économique et social. L’endettement public, un des principaux outils sur lequel compte l’Etat, traverse une crise structurelle sur les conditionnalités notamment le plafonnement et le poids du service de la dette. Les autres sources de financement ne sont pas suffisamment explorées, encore moins exploitées.
L’Entreprise dont la vocation est de créer des richesses, des emplois et de distribuer des revenus aux ménages, se retrouvesous la menace de la faillite et dans l’incapacité de pourvoir des emplois.
Les Ménages qui vivent des revenus du travail, constituent une épargne et investissent, se retrouvent subitement sans possibilité de faire face aux dépenses courantes de survie, d’habitat, de scolarité, de santé à cause des pertes de revenus et d’opportunités économiques. En particulier, le travailleur notamment celui de la diaspora, la femme et la jeunesse qui constitue l’écrasante majorité de la population, sont affaiblis par les coups durs subis par les ménages.
Cet affaiblissement touche aussi bien l’Etat, l’Entreprise que les Ménages et entraine une aggravation des maux qui gangrènent la société : la pauvreté, l’ignorance le chômage, l’insécurité et la maladie.
Lorsque les acteurs clés de la société sont dans l’impossibilité de surmonter une situation de crise avec leurs ressources propres actuelles et ne peuvent pas fixer un horizon certain pour s’en sortir, nous sommes en présence de la réalité incontestable d’une économie fragilisée. Il est donc urgent de trouver des solutions exceptionnelles, rapides et pertinentes en maintenant les équilibres fondamentaux pour la stabilité politique et sociale : une gouvernance transparente, le respect des droits et libertés, une justice indépendante, une administration neutre et l’intégrité électorale.
Trois axes doivent être empruntés et quinze mesures adoptées pour une solution :
- Renforcer la capacité d’intervention de l’État.
Il est devenu impératif de diversifier les sources de financement du développement à travers :
Mesure 1. Le recours aux ressources du pays comme levier de financement par le biais de l’échange ressources naturelles-infrastructures sous la forme d’un troc appelé « bartering ». Cette option permettra de poursuivre la réalisation des infrastructures et d’alléger significativement l’endettement public sans remettre en cause les engagements déjà souscrits par l’Etat et sans anticiper sur le recouvrement des recettes ultérieures.
Mesure 2. La titrisation de certains biens fonciers, de matières premières ou autres richesses nationales valorisables (forêts, parcs, biens immobiliers etc.) avec la mise à contribution d’un véhicule comme le Fonds souverain.
Mesure 3. L’optimisation de la collecte des recettes fiscales et douanières ainsi que la mise en œuvre d’un plan de réduction des dépenses publiques et de lutte contre le gaspillage.
Mesure 4. Le recours plus souple et plus large pour au moins 50% des besoins d’investissement, au partenariat public privé avec un fort encouragement de l’investissement privé national. Il peut également être envisagé de transformer certains prêts en partenariat public privé.
Mesure 5. L’optimisation de la dépense fiscale avec une orientation des exonérations fiscales indispensables vers l’investissement dans des secteurs à relancer pour une croissance inclusive.
Mesure 6.
La réalisation sans délai des réformes nécessaires pour renforcer les capacités de mobilisation des recettes, les performances de l’administration publique et de la justice, la modernisation de l’État à travers le numérique et l’intelligence artificielle, l’amélioration de l’environnement des affaires, l’intégration adéquate du secteur informel, la protection de la chaine logistique d’approvisionnement des populations en vivres et équipements, la réforme fiscale et du cadre juridique et institutionnel de la transformation industrielle des matières premières et de la monnaie, sans exclure le réexamen des accords dont le Sénégal est partie dans le cadre des unions économiques.
Mesure 7. La remise en cause du schéma d’endettement public actuel.
Cette remise en cause est une importante mesure de souveraineté. Pour juguler les conséquences économiques de la pandémie, les règles d’orthodoxie économique, religieusement prônées par les institutions internationales et qui servent à distinguer les « bons élèves » des « mauvais », sont complètement ignorées par leurs propres prescripteurs.
Que valent aujourd’hui la notion de cadrage macro-économique sain et tout l’arsenal de notions fétiches élevées au rang d’étalon pour apprécier la bonne tenue des finances publiques ? La notion de croissance économique ?
L’interrogation est légitime si on jette un coup d’œil sur ce que sont en train de devenir les critères de convergence, bâtis laborieusement pour les besoins de Maastricht et rigoureusement copiés et collés dans le cadre des unions d’intégration africaine. Ces critères volent inexorablement en éclats devant les besoins de sauvetage des conséquences du péril COVID 19 amenant l’UEMOA à les suspendre. Que devient le ratio de solde budgétaire (dons compris !) rapporté au PIB nominal ?
Et l’encours de la dette intérieure et extérieure ? Même les critères de second rang comme le ratio masse salariale sur recettes fiscales et le taux de pression fiscale demeurent introuvables dans un contexte où les opérations du commerce extérieur et la taxation des biens et services sont mis à rude épreuve. De la même façon que le système financier mondial a franchi le pas en remettant en cause ses « fondamentaux », l’Afrique doit se résoudre à tirer les impitoyables leçons de la grave crise sanitaire que nous traversons et briser les schémas dans lesquels elle est enfermée et qui constituent un frein à son développement. L’Afrique doit emprunter une nouvelle direction, sortir de la routine et changer de cap.
Dans le cadre de cette remise en cause du schéma d’endettement actuel, le déplafonnement de la dette souveraine est souhaité par tous. Actuellement, limité à 70% du PIB, cet endettement est devenu très contraignant dans un contexte de pandémie. Le ralentissement du commerce international, à lui seul, suffit pour plaider en faveur du déplafonnement. Malgré la légitimité de ce combat, la diversification des sources de financement demeure indispensable.
Dans ces conditions, la relance par l’endettement est une option soutenable et utile car elle permettra d’accompagner les entreprises et les ménages. L’essentiel est de maitriser le coût du crédit et de renforcer progressivement la capacité de remboursement de l’État. L’urgence du moment, c’est de réduire l’impact économique négatif de la pandémie par des mesures de relance, y compris par la dette.
- Sauver l’Entreprise de la faillite
Les entreprises ont, dès la survenance de la pandémie, consenti des sacrifices sans commune mesure avec leurs moyens et les menaces qui pèsent sur elles. Continuer à supporter les charges notamment celles liées au personnel dans un contexte de quasi-arrêt de l’activité avec une raréfaction des débouchés et marchés, tel est le défi de l’entreprise ! L’État doit prendre immédiatement le relais, au-delà des mesures d’allégement fiscal dont les limites sont connues au vu de l’expérience récente.
Mesure 8. L’État doit consentir une aide substantielle et conditionnelle pour le maintien d’activités de l’entreprise encore viables dans la période et à la sauvegarde des emplois, le tout adossé à une convention d’objectifs dûment contrôlée par les services compétents de l’État, les groupements patronaux et les syndicats de travailleurs.
Mesure 9. L’État doit adopter et financer un plan ambitieux de transformation industrielle de produits agricoles, pharmaceutiques et miniers. L’État favoriserait ainsi la création massive d’emplois, le renforcement du parc énergétique, le transfert de technologies et le développement de la formation professionnelle.
Mesure 10. L’Etat doit bâtir un pont financier massif pour réorienter les entreprises dans les secteurs porteurs de croissance inclusive comme l’agriculture, la pêche, l’élevage, l’artisanat, le tourisme et les industries culturelles. Cette mesure doit être complétée par le soutien de l’État aux petites et moyennes entreprises à travers une attribution préférentielle d’une partie de la commande publique. L’État doit également permettre aux jeunes d’accéder au marché du transfert d’argent et d’autres activités réglementées rentables, monopolisés par de grandes entreprises, en imposant un plafonnement de chiffres d’affaires à tous les opérateurs. L’État favoriserait ainsi l’autosuffisance alimentaire, la réduction importante des importations et le gain de parts de marchés par les jeunes dans le secteur des services en pleine expansion.
- Soutenir les ménages et les aider à traverser cette passe intenable.
Il n’y a guère de choix. Il faut trouver les moyens d’allouer un soutien direct exceptionnel aux ménages pendant une période à définir.
Mesure 11. Suppléer les ménages dans la prise en charge des factures d’électricité en instituant la gratuité pour les factures de moins de 15 mille francs CFA le bimestre, pour l’achat de crédit électricité et pour les branchements à l’électrification rurale à hauteur du même montant, en tenant compte des spécificités de la fourniture d’énergie dans le monde rural. Cette mesure va inciter les consommateurs à réaliser des économies d’énergie afin de ne pas atteindre le plafond de gratuité. Elle permet également au fournisseur d’énergie de réduire ses coûts de production.
Mesure 12. Subventionner le prix de tout transport en commun pendant les heures de pointe du lundi au vendredi. Cette mesure est assortie au respect de la limitation du nombre de passagers et de tous les gestes barrières.
Mesure 13. Accorder un Chèque de Soutien Loyer à tous les locataires s’acquittant d’un paiement mensuel de moins de cinq cent mille francs CFA. Le montant à allouer est proportionnel au coût du loyer et au revenu du locataire. Le bénéfice de ce soutien est assorti au paiement de la location auprès d’un bailleur en règle vis-à-vis de l’administration. Le remboursement peut se faire en numéraire, sous forme de bons d’achat ou de bon de paiement de factures.
Mesure 14. Instituer un Revenu de Soutien exceptionnel aux Ménages avec un minimum de perception dont les modalités seront fixées sur la base des critères objectifs révélés par le fichier des ménages. Ce revenu doit permettre de prendre en charge plusieurs formes de soutien aux ménages (fourniture de denrées de première nécessité, dépannage ménage en numéraire, droit à un crédit alimentaire etc.).
Mesure 15. Instituer un fonds de soutien aux personnes vulnérables en leur assurant au moins la nourriture, pour éviter que des citoyens sans revenus ou soutien, comme les personnes souffrant d’un handicap les contraignant à vivre de mendicité ou disposant de revenus non décents comme les retraités ou s’adonnant à des activités de survie quotidienne, tombent dans l’extrême pauvreté.
C’est un vaste chantier à entreprendre et réussir à court terme, pendant deux années environ.
Comment agir sur le cadre institutionnel, technique et financier pour mobiliser les fonds nécessaires pour traverser le pont, cette transition indispensable entre la résilience et la relance économique ? Comment sortir du cercle vicieux du ballotement par les évènements qui entame la confiance en l’Etat et empêche d’entrevoir un avenir radieux ? Comment mettre les populations dans les dispositions pour comprendre et adhérer aux mesures de protection contre la propagation de la maladie, y compris la sensible question de la vaccination ? Comment sauvegarder les services publics aussi sensibles que l’éducation, la santé et la sécurité ? Comment mobiliser les cerveaux disponibles autour de l’essentiel, malgré leurs divergences ?
Des réponses promptes et pertinentes à ces questions, dépendra un avenir rassurant pour notre cher pays, le Sénégal. Le choix est donc simple : prendre les bonnes initiatives dans la solidarité et avec réalisme pour sortir avec succès de la situation que le pays traverse.
Je suis conscient du fait que le manque de confiance réciproque entre acteurs politiques s’est traduit par un déficit de solidarité dans la gestion d’une situation qui exige pourtant, à l’instar de tous les pays du monde, de redessiner l’avenir dans la douleur et la concertation. Mais, je continue de croire fermement que le génie du peuple sénégalais et les intelligences croisées de ses leaders politiques, religieux, de la société civile, du monde l’entreprise, de la diaspora, des jeunes, des femmes et des travailleurs, sont en mesure de nous aider à relever ce défi dans la paix et la mesure.
L’heure est venue de faire bloc.
- Faire bloc pour sortir dignement de la crise persistantene signifie pas changer de camp politique, rejoindre une majorité présidentielle ou donner raison à l’opposition politique. Il ne s’agit point de renier ses convictions et points de vue sur la marche du pays.
- Faire bloc pour sortir dignement de la crise persistante, c’est tirer les leçons de la première vague de la pandémie pour entreprendre une véritable gestion concertée dans l’intérêt exclusif du Sénégal, sans aucun calcul politicien.
- Faire bloc pour sortir dignement de la crise persistante, c’est accepter un cessez-le-feu et apporter une contribution dans le cadre d’un programme commun de sortie de crise avec une plateforme minimale consensuelle avec toutes les forces vives de la nation.
Le Sénégal le vaut bien !
L’aggravation continuelle de la situation économique, sanitaire et sociale de notre pays nous interpelle et nous invite à aller à l’essentiel.
Boubacar CAMARA
Citoyen sénégalais
Dakar, le 26 janvier 2021