Le couvre-feu partiel, instauré le 6 janvier dernier, impose de nouveaux comportements. Chez les vendeurs du soir, c’est la réduction des heures de travail et le réajustement des activités en fonction des mesures restrictives. Une adaptation qui rime avec la crainte de la baisse du gain quotidien.
C’est parti ! La course contre la montre est lancée. À 18 heures 43 minutes, il ne reste plus que deux heures de liberté de mouvement aux habitants de Dakar et Thiès qui vivent, depuis le 6 janvier 2021, sous le régime du couvre-feu. Le crépuscule approche, l’obscurité chasse petit à petit la lumière du jour. Au rond-point Poste Thiaroye qui fourmille en ce moment, les travailleurs habitant dans les parages se précipitent de sauter des bus pour faire le reste du chemin à pied. Ceux qui doivent parcourir des kilomètres, n’ayant pas trop le choix, souffrent des embouteillages monstres. Tout autour, rues et ruelles sont animées au rythme de l’activité commerciale. Les vendeuses de fruits, installées sous le pont, interpellent sans cesse les passants. Sachets de pommes, bananes ou raisins sont proposés aux automobilistes avec des messages bien clairs. « Achetez s’il vous plaît, je veux rentrer avant le couvre-feu », chahute Aïssatou Baldé. En pagne bleu et tee-shirt blanc, la dame veut garnir son portefeuille avant de rentrer à Diacksao. Comme depuis quelques jours, elle va plier bagage plus tôt que prévu. « Je vendais jusqu’à 23 heures, mais depuis l’instauration du couvre-feu, je suis obligée de partir au plus tard à 20 heures. Je ne veux pas de tortures », sourit la dame, marchandises accrochées aux doigts.
Derrière elle, la vente de poissons bat son plein au marché de Thiaroye-sur-Mer. Pélagique, rouget, thon fraîchement acquis auprès des pêcheurs garnissent les tables. Assises sur des tabourets et munies de chasse-mouches, pour la plupart, ces commerçantes ont réajusté leur planning en fonction des horaires du couvre-feu. Pour Mariama Ndoye, c’est désormais de 16 heures à 20 heures. Avec le couvre-feu, elle ne peut plus aller au-delà de 23 heures. « Même si c’est à contrecœur, je suis obligée d’arrêter toute activité à 20 heures ou 20 heures 30 minutes comme j’habite à Thiaroye-sur-Mer. La situation est plus compliquée pour celles qui rentrent à Mbao ou Keur Massar », lâche-t-elle à haute voix, montrant du doigt une de ses camarades répondant du nom d’Astou Baal. En robe wax rouge couverte d’écailles, cette dernière charge les invendus dans une caisse pour glace. Ils feront partie de sa marchandise du lendemain. En attendant, elle se précipite dans les transports en commun pour rallier Sicap Mbao. « Désormais, c’est de 16 heures à 19 heures. Il n’y a aucune solution, sinon s’adapter aux horaires du couvre-feu », se résigne Astou, portefeuille à la ceinture. S’adapter, c’est ce qu’a fait Maïmouna Faye. Vendeuse de couscous à Lansar, elle a établi un nouveau planning. « Au lieu de 19 heures-22 heures, c’est 18 heures-20 heures », informe-t-elle, la calebasse sous les yeux.
Un chiffre d’affaires impacté
Avec le couvre-feu, Maïmouna n’a plus la même marge de manœuvre. Elle est obligée de décamper à partir de 20 heures. Elle craint ainsi la baisse de son gain dans la mesure où, dit-elle, la plupart des clients se pointaient entre 20 heures et 21 heures. « Le chiffre d’affaires va forcément baisser. Le premier jour, je suis rentrée avec moins de 3000 FCfa alors que je me retrouvais avec 4000 FCfa, voire plus », explique Maïmouna.
Avec le couvre-feu, Marème Lèye va, elle aussi, devoir établir un nouveau planning. La dame de 43 ans se rendait, chaque jour à 4 heures du matin, au quai de pêche de Yarakh, puis au Marché central au poisson de Pikine. « Je vais devoir attendre jusqu’à 5 heures du matin pour sortir. Espérons que cela n’aura pas de répercussions sur nos finances », prie-t-elle.
À 19 heures 08 minutes, le coin communément appelé « Roukhou forokh thiaya », jadis très couru, est presque vide. Moussa Fall n’a d’yeux que pour les clients. Avec notre arrivée, l’espoir renaît, il s’empresse d’ouvrir son grand bol, laissant échapper la fumée et l’agréable senteur de la viande cuite à l’étuvée. « C’est moelleux et agréable, venez acheter et emporter pour le dîner », chante-t-il. Avec le couvre-feu, il ne peut plus veiller. Habitant à Guinaw rails, il rentre à pied à 20 heures. « Nous sommes deux ; mon frère venait le matin, moi le soir. Mais, avec le couvre-feu, tout s’arrête à 18 heures », dit-il, rangeant des bouteilles de moutarde et de poivre dans sa sacoche. Avec les mesures restrictives, il redoute la baisse de son chiffre d’affaires. « On va forcément ressentir les impacts économiques. Avec le couvre-feu, nous perdons les plus importants clients, à savoir les voyageurs de la gare de Gambie », ajoute-t-il désespéré.
Demba DIENG« Le Soleil ».