Au départ, Aly Baldé, 26 ans, parti en Russie pour l’année scolaire 2019-2020, devait étudier la communication. A l’arrivée, cela fait un an qu’il croupit en centre de rétention dans l’indifférence de ses droits humains, pour simplement avoir voulu travailler.
D’habitude, les Sénégalais en situation irrégulière dans les pays d’accueil, cherchent recours auprès de leur représentation consulaire pour repousser l’échéance de l’expulsion. Pas Aly Baldé. Qui ne demande plus qu’à rentrer auprès des siens. Originaire de Kolda, l’étudiant de 26 ans, établi à Moscou, en Russie depuis juste un an, se débat avec l’administration consulaire sénégalaise pour bénéficier d’un sauf-conduit et se faire refouler dans les plus brefs délais.
En rétention depuis un an
Aly Baldé lance son cri du fond de sa cellule dans le centre de rétention de Saint-Pétersbourg, la deuxième plus grande ville de la Russie. Un détenu Camerounais qui est maintenant parti, lui a laissé son téléphone. L’objet est toléré par l’administration de ce lieu de privation de liberté où plus de 400 immigrés illégaux de diverses nationalités attendent d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Aly, étudiant en communication à l’université de Maikop dans la ville de Krasnodar, y est arrivé le 15 février 2020, après avoir été interpellé par les policiers dans un marché de Moscou où il travaillait. En Russie, le travail des étudiants, auparavant interdit, est autorisé suivant des conditions très strictes, dont un permis. L’étudiant sénégalais qui n’en bénéficie pas, n’est pas surpris d’entendre le juge prononcer son expulsion du territoire russe. Au début, il pensait que les choses allaient se faire vite, d’autant plus qu’il est entré en contact avec son consulat dès le lendemain de sa détention. «J’avais perdu mon passeport au moment de mon arrestation, il me fallait donc un sauf-conduit pour être programmé sur un vol au plus vite. J’ai appelé le consulat à deux reprises avant de tomber sur une dame à qui j’ai expliqué ma situation. Elle s’est entourée de toutes les garanties avant de prendre mon histoire au sérieux. Elle m’a rassuré que le document allait vite être envoyé», raconte-t-il. Dans la communication qui se fait par correspondances sur un réseau social, l’étudiant envoie les preuves de sa nationalité : copies de passeport, carte nationale d’identité suivie des demandes pour le document de voyage. Un mois, puis deux mois passent sans le moindre signe du document administratif. Il y a aussi que le monde est pris dans la fièvre de la pandémie à coronavirus et que la Russie qui déclare son premier cas le 31 janvier 2020, décide de la fermeture de ses frontières dès le 30 mars. Les lenteurs administratives courent jusqu’au mois de mai, date à laquelle les mesures d’assouplissement entrent en vigueur. Mais pour Aly, les choses ne s’arrangent toujours pas, même si dans la version que lui donne encore le consulat, le papier est établi et «envoyé par la poste». De son côté, l’administration russe renvoie sans cesse la balle à celle sénégalaise pour éviter de se pencher sur les droits de l’étudiant qui, après un an, risque de plus en plus la détention illimitée.
«Ils me considèrent comme un animal, je me bats tous les jours»
Les durées de détention pour les étrangers illégaux varient beaucoup, d’un pays d’accueil à l’autre. Si en Europe, une directive demande à chaque Etat membre de fixer une durée limitée de rétention qui, dans la plupart des cas, n’excède pas 6 mois, en Russie, la législation ne règle pas encore la question. Le site internet lecourrierderussie.com parle de durée aléatoire des séjours. «Mais, je ne dois pas rester plus de 3 mois. Soit ils me déportent, soit ils me libèrent», tonne Aly Baldé pour qui, la plus grande crainte, est de n’avoir aucune visibilité sur sa date de libération. Jusqu’ici, le jeune Sénégalais avait préféré tenir sa famille dans l’ignorance de ses déboires, mais avec une situation aussi incertaine, il a préféré informer ses parents à Kolda, avant de se résoudre à s’exposer dans la presse. Pour lui, c’est une humiliation ajoutée à ce qu’il vit déjà en centre de rétention, au milieu d’étrangers qui ne voient pas toujours d’un bon œil sa couleur de peau. En un an, il dit n’avoir pris qu’un repas par jour parce que le reste du menu est «immangeable». Mais le plus dur reste encore le racisme dont il est victime de la part de ses codétenus et qui l’oblige à se battre très souvent. «Avec les gardiens russes, tout se passe bien. Mais ceux qui attendent leur expulsion comme moi et qui sont dans la plupart des cas originaires des pays d’Europe de l’est, me mènent la vie dure. Ils me considèrent comme un animal, je me bats tous les jours, quitte à me faire punir. Et le consulat est au courant de ça.» L’étudiant qui se sent trahi par les autorités consulaires, vit très mal cet abandon. D’autant plus qu’il dit être le seul Sénégalais en centre de rétention dans toute la Russie. Ambassadeur du Sénégal en Russie, consul, employée administrative, agent du ministère des Affaires étrangères, ils ont tour à tour été contactés pour des éclaircissements sur un cas qui paraît assez simple. Seulement, aucun de ceux déployés pour s’occuper de la diaspora sénégalaise n’a daigné répondre à nos appels, messages, encore moins à nos questions.
AICHA FALL« L’observateur »