Chez les jeunes, le couvre-feu imposé dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 ne passe pas. Des actes de désobéissance ont été notés çà et là. Des spécialistes analysent ce comportement de défiance. Loin de la déviance, le journal l’observateur nous fait le récit.
Comme un air d’union sacrée. Dans les quartiers les plus populaires de Dakar, des manifestations explosent. Des jeunes brûlent des pneus sur la chaussée, usent de pétards et de pierres face aux forces de l’ordre. Ils protestent contre la deuxième mesure de couvre-feu instauré, depuis avant-hier mercredi, par le chef de l’Etat, Macky Sall, dans le cadre de la riposte contre le Covid-19, qui s’est installé au Sénégal le 02 mars 2019. Avec les restrictions imposées par l’Etat depuis le début de la pandémie, le sujet est devenu un poncif. Dès qu’on parle de l’attitude des populations face aux mesures de l’Etat, les actes sont dominés par la défiance. La jeunesse surtout est devenue réfractaire et n’hésite pas à verser son trop plein de ressentis jusque…dans la rue. Une posture de rébellion que le psychologue-conseiller Khalifa Ababacar Diagne analyse sous trois angles. Il détaille : «D’abord ces jeunes sont pour la plupart dans la tranche d’âge qu’on appelle en psychologie l’adolescence. Cette étape de la vie est caractérisée par la révolte. Elle est aussi un moment d’insouciance et d’inconscience. Ensuite les jeunes ont une représentation de la covid19 qui ne leur fait pas peur. Car pour eux cette pandémie, c’est pour les personnes âgées. Ils se basent sur la constatation de l’évolution de la pandémie, à ses débuts jusqu’à maintenant. Avec un sentiment selon lequel le virus ne les tue pas, mieux, qu’ils sont généralement asymptomatiques. Ceci en dépit des rares cas de décès et de malades symptomatiques qui ont concerné leur tranche d’âge. Enfin ces deux facteurs précités combinés influent sur le troisième qui se résume à une absence d’empathie de façon désinvolte à l’égard des personnes âgées et un besoin de plein épanouissement pour que jeunesse se fasse.»
Ce qu’il faudrait retenir, selon le sociologue Djiby Diakhaté, c’est que les manifestations d’avant-hier mercredi à Dakar et sa banlieue ne sont que le prolongement de celles qui ont accompagné la première vague. «C’est au terme de ces manifestations que l’autorité avait pris la décision de lever certaines restrictions, rappelle le sociologue. Il y a une sorte de prolongement à l’identique de l’attitude des jeunes entre la fin de la première vague et le début de la deuxième vague. Le couvre-feu a pris de court tout le monde. Les actes qui ont été posés et les discours qui avaient été articulés ne présageaient pas la prise d’une telle décision. D’abord, on a vu qu’il y a eu de grands rassemblements sous la houlette d’hommes politiques qui sont au pouvoir, ensuite le Président lui-même avait appelé les Sénégalais à vivre intelligemment avec le virus pour libérer notre potentiel économique. Enfin, certains jeunes ont considéré qu’il y a une sorte de rupture entre les attitudes et les discours, d’une part et d’autre part, la décision d’instaurer un couvre-feu. Cela a créé des frustrations et ces frustrations ont été plus ou moins renforcées par le fait que le couvre-feu ne concerne que deux régions. Les habitants de ces deux régions ont considéré qu’ils font l’objet d’une discrimination négative parce qu’on a noté qu’il existe d’autres clusters au Sénégal, avec des statistiques plus ou moins importantes en termes de communication et ces régions ne sont pas concernées par le couvre-feu.»
Une frustration due à une privation de liberté où il faut forcément revoir ses habitudes, ce qui n’est pas une mince affaire pour les jeunes. Khalifa Diagne : «Dans la stratégie, l’essentiel des mesures impactent les jeunes. Ils sont privés d’activités culturelles avec la fermeture des boîtes de nuit, d’activités sportives avec l’interdiction des navétanes, des compétitions nationales et des combats de lutte. Ils sont aussi traqués au niveau des plages. Le seul terrain qu’on leur a cédé, c’est le secteur éducatif. Or, les jeunes après les activités éducatives et professionnelles, ont besoin d’évacuer leur trop plein d’énergie, de « décompresser » pour utiliser leur jargon. Dans leur attitude, de la même manière que les personnes âgées les accusent d’une absence d’empathie, eux aussi à leur tour, ils peuvent nourrir le même sentiment à l’égard de leurs anciens en cachant une frustration dont le fond est que ceux qui leur imposent ces restrictions et le couvre-feu, ont passé allègrement leur jeunesse et veulent aujourd’hui les priver de ce privilège. C’est pourquoi dans le processus de prise de décision dans le cadre de la lutte contre le covid-19, il est important de tenir compte des sciences sociales et d’éviter une médicalisation outrancière de la riposte parce que la question se gère également en dehors des cliniques.»
En plus de la frustration, le manque de communication, perçu comme un manque de respect de l’Etat à ses administrés. «La communication, elle n’a été qu’institutionnelle, on n’a pas noté une vraie communication sociale avec l’usage de supports comme ceux des relais communautaires, des Imams, entre autres, il y a une impression d’être face à une mesure très verticale, coercitive et que les jeunes ont exprimé leur ras-le-bol par rapport à cette mesure, sans parler de ceux-là qui ont leur activité de production la nuit et qui se sont sentis plus ou moins lésés», explique le sociologue Djiby Diakhaté, qui ajoute que les désagréments notés surtout chez ceux qui ont du mal à rallier leur maison «ont augmenté le mécontentement, le désarroi et cela a créé la situation que nous avons vue dans la nuit du mercredi.»