Le Président de la République a prononcé le 11 décembre 2020 au musée des civilisations noires, un discours aux allures triomphalistes, consacré au dialogue politique au Sénégal. Après l’avoir lu, je me suis posé la question de savoir si l’opposition et le Président de la République parlent du même dialogue.
Dans le dialogue dont il parle je le cite : « Sur 27 points en discussion, 25 ont déjà trouvé un consensus ». Et, cerise sur le gâteau, ‘’les points posés par l’opposition ont été intégralement pris en charge » [c’est moi qui souligne] et les 2 points restants sont mineurs, pas dans leur contenu mais parce qu’il n’a pas voulu diviser (sic) l’opposition sur la question du chef de l’opposition. Sur la question relevant du chef de l’Etat à la fois président de parti politique, il considère qu’il n’y avait pas sens à séparer les deux.
En ma qualité de porte-parole des partis politiques présents à la salle des banquets du palais de la République, le 28 mai 2019, il me revient, par-delà le droit du citoyen que je suis, le devoir de l’acteur politique, de dire ce que je pense de ce discours à notre opinion publique. Nous sommes loin du compte au regard des préoccupations du Front de résistance nationale. Le décalage est énorme entre le discours de Macky Sall et les faits.
Tout d’abord, à ma connaissance, jusqu’au moment où ces lignes sont écrites, aucune des nombreuses commissions qui ont travaillé pendant de longs mois n’a remis son rapport. En effet, hormis la commission politique qui n’a remis qu’un rapport d’étape, aucune autre n’a rédigé son rapport. Rappelons donc ce qui suit :
- L’Opposition s’est unanimement prononcée pour une Haute Autorité en charge des élections en lieu et place du ministre de l’Intérieur. Cette revendication, fondamentale pour nous, et que le Président a d’ailleurs soutenue dans une autre vie, ne figure même pas dans son énumération. Tout le monde sait le poids énorme de cette question par rapport à tout le reste.
- Toute l’opposition regroupée dans le FRN avait inscrit dans sa plateforme la restitution de leurs droits civils et politiques à Karim Meïssa Wade et à Khalifa Ababacar Sall après avoir exigé la libération de l’un et le retour de l’autre dans sa famille. Ce point n’a pas été évoqué dans le propos du Président de la République.
- La question du parrainage à la présidentielle qui avait permis d’éliminer une vingtaine de candidats parmi les plus sérieux n’est toujours par résolue. Elle ne figure pas dans son énumération.
- Dans cet ordre d’idées, l’introduction du bulletin unique bruyamment revendiquée par l’opposition de l’époque aujourd’hui aux affaires, a été écartée par les plénipotentiaires du pouvoir.
- L’audit et l’évaluation du processus électoral et du fichier électoral sur pièce et sur place depuis la refonte de 2016, jusqu’à la présidentielle de 2019 n’a toujours pas encore démarré. C’est à cet audit qu’étaient référés les points relatifs au parrainage pour l’élection présidentielle, à la caution pour les élections locales, au bulletin unique, aux autorités en charge des élections.
- D’autres questions tout aussi importantes pour notre système démocratique si sérieusement malmené n’ont pas été également évoquées par le Président de la République comme celle de la décentralisation en attente au sein de la commission décentralisation et territorialisation des politiques publiques. On avait déjà eu un avant-goût, dans cette commission, de la controverse en cours aujourd’hui sur la Ville de Dakar. En effet, des proches du pouvoir commençaient à plaider pour un statut spécial de Dakar sous-entendant la nomination par décret de l’Autorité qui devrait diriger la Ville. Cette proposition avait suscité une réaction d’indignation de notre parti à l’époque.
- La mise en place d’un cadre normatif de l’action politique et citoyenne (renforcer les droits fondamentaux des citoyens et les libertés des acteurs politiques) reste également en l’état.
- La question du rôle et de la place de la justice dans le processus électoral n’a pas été traitée
Arrêtons ici l’énumération des points clés qui n’ont pas été discutés ou n’ont pas débouché sur des consensus.
En dépit de tout ce qui précède il apparaît clairement dans ce discours du 11 décembre 2020 que, pour le Président de la République (et de l’APR), les objectifs du dialogue sont largement atteints. Il affiche, à cet égard, une conception singulière de ce qu’est un dialogue entre l’opposition et le pouvoir. Le dialogue ne serait pas, à l’en croire, un exercice pour trouver un gentleman agreement entre le pouvoir et son opposition permettant à chaque camp d’assumer ses devoirs et d’exercer ses droits dans la paix et la stabilité jusqu’aux prochaines échéances, mais a pour vocation la disparition de l’un des termes de l’équation et, en l’occurrence ici, l’opposition. Le Président semble si fier de désigner ses nouveaux alliés anciennement dans l’opposition présents dans la salle comme la preuve irréfutable du succès de son dialogue. Il y a là deux points essentiels à retenir. D’abord cette conception des rapports entre opposition et pouvoir est une véritable catastrophe démocratique. Ensuite le Président a tranché définitivement le débat sur le double dialogue.
En conséquence de ce qui précède le dialogue dont parle le Président de la République n’est pas celui auquel l’opposition a pris part.
Je retiens également l’exercice périlleux auquel Macky Sall s’est livré avec une comptabilité, j’allais dire une arithmétique dont il est le premier à savoir qu’elle n’est absolument pas opérationnelle en politique. Il affirme : « Cela fait plus de 85 % de l’électorat qui se retrouve dans la majorité. Qui n’aimerait pas ça ? ». Il sait que la politique, ce sont des êtres humains qui la font et non des moutons et des lapins. Combien représentent ceux qui ont voté et fait voter des candidats de l’opposition en 2019 et qui sont restés ancrés dans l’opposition ? Combien étaient du côté du pouvoir avant novembre 2020 et qui n’y sont plus (y compris ceux qui ne le font pas savoir) ? Souvent, vous pouvez penser être dans le mode de l’addition alors que vous êtes, dans le fond, sur celui de la soustraction. N’est-ce pas ce qui arrive au Président ? Et il ajoute pour boucler la boucle : ‘’Notre dialogue n’est pas que politique… il a également été économique, social… ». J’ai pour ma part rappelé plus haut qu’aucune commission n’a achevé son travail. Je ne vois donc pas comment il peut se référer à un dialogue économique et social dont il ne détient aucune conclusion.
Pour finir :
Avec le discours du musée des civilisations noires sur le dialogue, on peut légitimement considérer, que « fa la léeb doxe tàbbi géej ». Comme on parle de tuer un match dans le football, Macky a tué le dialogue.
Le 28 mai 2019, à la salle des banquets, j’ai parlé d’une crise de confiance qui était profonde entre l’opposition et le pouvoir. La tournure prise par le dialogue ne va pas combler cette fracture. Les ruses et les calculs politiciens nous rattraperont tôt ou tard. En tout cas, l’opposition qui a pris part à ce dialogue l’a fait pour faire économiser au pays d’éventuelles crises résultant d’un processus non consensuel de dévolution du pouvoir. Il lui reste à présent à tourner la page à son tour et à s’organiser afin de poursuivre le combat avec détermination et opiniâtreté pour mettre en déroute toutes les stratégies de confiscation future de la volonté du peuple.
*Ancien ministre d’Etat auprès du Président de la République
Député à l’Assemblée nationale
Secrétaire général d’And-Jëf/Pads