Au Sénégal, l’actualité politico-judiciaire, marquée par l’inculpation de plusieurs personnalités impliquées dans la gestion du fonds Force Covid-19, met en lumière un dispositif juridique encore peu connu du grand public : la caution pénale. Décryptage d’un mécanisme à la croisée du droit, de l’éthique et de la lutte contre l’impunité.
En l’espace de 48 heures, plus de 258 millions de francs Cfa ont été recouvrés dans le cadre des procédures judiciaires liées à la gestion des fonds Force Covid-19. Cette information a été révélée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar, Ibrahima Ndoye, soulignant ainsi la dynamique engagée par la justice sénégalaise.
Ce mécanisme, spécifique au droit pénal, permet à une personne mise en cause — qu’elle soit inculpée, placée sous contrôle judiciaire ou en garde à vue — de verser une somme d’argent afin d’obtenir, sous certaines conditions, une liberté provisoire. Toutefois, il convient de préciser que le versement d’une caution ne garantit nullement la libération. Le juge d’instruction reste souverain dans sa décision, qu’il prend après une analyse rigoureuse du dossier.
Elle n’efface ni les faits reprochés, ni les poursuites engagées
« Nous ne sommes pas des agents de recouvrement, nous sommes des autorités judiciaires », a tenu à rappeler le procureur Ibrahima Ndoye. Une mise au point nécessaire, dans un contexte où certains semblent confondre la procédure judiciaire avec des négociations financières. La caution pénale n’efface ni les faits reprochés, ni les poursuites engagées. Elle a pour seul objectif de garantir la présence de l’inculpé à chaque étape de la procédure, tout en respectant la présomption d’innocence.
Le chef du parquet financier, M. Sylla, a d’ailleurs annoncé un chiffre encore plus éloquent : plus de 15 milliards de francs CFA recouvrés en sept mois par le Pool judiciaire financier (Pjf), grâce aux saisies et aux cautionnements. Ces résultats traduisent une volonté affirmée de conjuguer rigueur judiciaire et efficacité dans la lutte contre la corruption.
Pas un passe-droit réservé aux puissants
Au Sénégal, la législation est claire : l’article 140 du Code de procédure pénale autorise la mise en liberté sous caution pour des infractions telles que le détournement ou la soustraction de deniers publics. Toutefois, cette possibilité est strictement encadrée par des conditions : absence de risque de fuite, garanties suffisantes de représentation (domicile fixe, emploi, liens familiaux solides), et, surtout, absence de trouble à l’ordre public.
Autrement dit, la mise en liberté conditionnelle s’accompagne de nombreuses obligations : interdiction de quitter le territoire national, comparutions régulières devant les autorités judiciaires, ou encore interdiction de tout contact avec certains témoins.
« Le cautionnement est une garantie. Il permet au juge d’assurer le bon déroulement de la procédure, de s’assurer que l’accusé comparaîtra en cas de charges retenues, et de préserver les intérêts de l’État en cas de condamnation », a précisé Ibrahima Ndoye. Ce dernier a insisté sur le fait que l’efficacité de la justice ne se mesure pas uniquement à la traque des délinquants, mais aussi à la capacité de l’État à recouvrer les fonds publics détournés et à concilier répression et respect de l’intérêt général.
La caution pénale ne constitue donc pas un passe-droit réservé aux riches, aux élites, mais un droit ouvert à tout justiciable remplissant les conditions exigées par la loi. À titre d’exemple, les demandes de mise en liberté sous caution formulées par les hommes d’affaires Farba Ngom et Tahirou Sarr ont été, à ce jour, rejetées par le parquet financier.
Motifs de rejet ?
Les deux hommes sont poursuivis pour blanchiment de capitaux, faux et usage de faux, escroquerie portant sur les deniers publics, à la suite d’une enquête menée par la Cellule nationale de traitement des informations financières. Les faits reprochés portent sur plusieurs dizaines de milliards de francs CFA.
Le juge peut refuser la mise en liberté sous caution si le prévenu présente un risque de fuite — notamment s’il possède plusieurs passeports ou des ressources financières considérables —, s’il existe un risque de récidive, de trouble à l’ordre public, de destruction de preuves ou de pression sur les témoins. Certaines infractions graves comme le terrorisme, le viol ou le trafic de stupéfiants peuvent également justifier un refus.
Enfin, si le magistrat estime que le mis en cause est susceptible d’influencer le cours de l’enquête, il peut légitimement s’opposer à sa libération, comme le rappelle le juriste Amath Thiam.
La caution pénale ne saurait être perçue comme une échappatoire pour les puissants, mais bien comme un maillon essentiel d’un système judiciaire soucieux du respect de l’État de droit.
Encore faut-il qu’elle soit comprise comme telle par l’opinion publique. Car une justice bien expliquée est aussi une justice mieux acceptée.