Lorsqu’un membre des paramilitaires a franchi la porte du domicile familial d’Aïsha à Khartoum avec un ultimatum terrifiant – accepter un mariage forcé ou voir son père mourir-, elle n’a pas hésité.
Elle a renoncé à sa liberté, « terrorisée à l’idée qu’il tue (son) père », confie à l’AFP la jeune femme de 22 ans, d’une voix à peine audible.
L’ancienne étudiante en informatique a été séquestrée pendant un an, à quelques rues seulement de sa famille. Violée et battue, de manière répétée, avant une fausse couche.
« J’étais complètement brisée », souffle-t-elle.
Comme Aisha, dont le prénom a été modifié, des milliers de femmes soudanaises sont victimes de violences sexuelles depuis le début de la guerre entre l’armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) en avril 2023.
L’unité gouvernementale chargée de lutter contre ces violences a recensé 1.138 cas. Mais selon sa responsable, Sulaima Ishaq al-Khalifa, ce chiffre ne représente que 10 % de la réalité.
Les organisations internationales ont décrété l’usage systématique des violences sexuelles comme arme de guerre par les FSR, notamment la viol, l’esclavage sexuel et le mariage forcé.
Mais au cœur de cette violence, un lieu tente de panser les plaies : un modeste centre de soutien à Port-Soudan, sur la côte est du pays.
– Un refuge comme cas de départ –
Dans un quartier paisible, le centre Aman -un mot signifiant « sécurité » en arabe- offre un refuge aux rescapées. Fondé en août 2024, il a déjà accueilli plus de 1.600 patients, leur offrant un soutien psychologique, des soins, une aide juridique, et des formations en pâtisserie, crochet ou broderie.
Aïsha, entre deux ateliers, commence doucement à se reconstruire « et à envisager l’avenir », raconte-elle.
Dans une pièce baignée de lumière, la psychologue Lobna Ali feuillette une pile de dossiers. Les femmes qui arrivent ici, dit-elle, sont profondément meurtries. « La majorité d’entre elles ont été violées par plusieurs hommes », dit-elle.
« L’une d’entre elle a été violée par 10 combattants des FSR », poursuit-elle. Plus d’un tiers des victimes sont mineures, précise la psychologue, beaucoup arriveront enceintes. Le centre leur propose différents accompagnements juridiques, notamment à celles qui veulent abandonner l’enfant issu d’un viol.
« La première a choisi que nous leurs disons, c’est que leur santé, physique comme mentale, est notre priorité », souligne Lobna Ali.
Le conflit, désormais dans sa troisième année, a tué des dizaines de milliers de personnes, en a déplacé 13 millions et provoqué « la pire crise humanitaire », selon l’ONU.
– « Je ne peux pas tourner la page » –
Salma, 23 ans, a trouvé refuge au centre après avoir fui Hasaheisa, dans l’État d’Al-Jazira, au sud de Khartoum, où elle a été victime de harcèlement sexuel de la part des paramilitaires. Des combattants des FSR ont fait irruption dans la maison où elle se cachait avec d’autres jeunes femmes. « Ils étaient huit, se souvient Salma – prénom d’emprunt-, « certaines ont été violées, d’autres frappées avec des armes ».
« J’étais en état de choc », confie-t-elle les mains tremblantes.
En décembre 2023, des centaines de milliers de personnes ont fui la région, envahie et pillée par les FSR. Aujourd’hui, l’armée a repris le contrôle de la zone mais les blessures demeurent. « Je ne peux pas tourner la page », dit Salma.
« Je veux finir mes études, penser à l’avenir. Mais parfois, je me retrouve à revivre ce qui m’est arrivé ».
Au centre, elle voit souvent Amna, une psychologue de 23 ans, qui fut, elle aussi, captive.
Enlevée à Khartoum en raison des liens supposés de son frère avec le gouvernement, elle a passé onze jours enfermées avec des dizaines d’autres filles.
Certaines ont été mariées de force, d’autres utilisées pour des chants ou des demandes de rançon.
« Le traitement était d’une cruauté inimaginable », raconte Amna qui aide aujourd’hui les survivantes dans leur reconstruction, tout en poursuivant la sienne.
En Egypte voisine, où 1,5 million de Soudanais ont trouvé refuge, la psychologue Sara Montasser propose des suivis dans un centre communautaire du Caire. « Les survivantes doivent se sentir actrices de leur propre guérison », explique celle qui reçoit en moyenne cinq réfugiées victimes de viol par jour.
« Elles doivent comprendre que ce traumatisme explique leurs insomnies, leur anxiété et parfois leur relation difficile avec leurs enfants », explique-t-elle à l’AFP. Selon la psychologue égyptienne, les blessures commencent à guérir sur mesure que ses patients reprennent le contrôle de leur vie.