Le Sénégal traverse une crise économique sans précédent, marquée par une chute spectaculaire de l’eurobond émis en 2018, avec une échéance prévue pour 2048. Cet actif a subi une décote de 35 % à la Bourse de Londres, tandis que les taux d’intérêt ont grimpé à près de 15 %, un record historique pour le pays.
Cette dégringolade, survenue après la visite du FMI et l’audit controversé de la Cour des comptes, traduit une perte de confiance des investisseurs internationaux. Face à cette situation alarmante, Doudou Ka, ancien ministre de l’Économie sous Macky Sall, propose des solutions pour redresser la barre, tout en appelant à une union nationale dépassant les clivages politiques.
Une crise de confiance aux lourdes conséquences
« Cette dégradation reflète la perte de confiance des investisseurs internationaux dans la capacité du Sénégal à honorer ses engagements financiers à moyen terme », analyse l’économiste Seydina Alioune Ndiaye. Les marchés ont réagi avec fermeté : les investisseurs exigent désormais une décote de 35 % pour acquérir des titres sénégalais, tandis que les vendeurs subissent des pertes en cédant ces actifs jugés à haut risque. La situation compromet également l’accès du Sénégal aux marchés internationaux. « Émettre de nouveaux titres pourrait contraindre le pays à proposer des rendements dépassant les 10 % », prévient Doudou Ka, soulignant la gravité de cette dégradation de la signature souveraine sénégalaise.
.Le besoin de financement extérieur pour 2025, estimé à 1 875 milliards de F CFA , devait en partie être couvert par un eurobond. Mais avec des conditions de marché défavorables, cette option s’éloigne. En octobre 2024, Dakar a déjà dû lever en urgence 300 millions de dollars à un taux de 6,33 % sur trois ans, une opération jugée coûteuse. En attendant un éventuel programme avec le FMI, espéré pour fin juin 2025, le pays doit trouver des liquidités pour stabiliser ses finances.
Doudou Ka attribue ce « tournant économique, qui n’a pas de précédent connu » à une double faute : « une communication maladroite et politicienne du gouvernement concernant l’état réel de nos finances publiques » et « une polémique hasardeuse et excessive du débat économique national entretenue par une partie de l’opposition ». Ces tensions, exacerbées par l’audit révélant une dette à 99,67 % du PIB et un déficit de 12,3 % en 2023, ont amplifié l’inquiétude des marchés.
Un Front National pour la Défense Économique
Face à cette crise, Doudou Ka propose une réponse structurée et collective. « Dans ce contexte exceptionnel de dégradation de notre signature souveraine, l’érection d’un Front National pour la Défense Économique (FNDE) constituerait un premier instrument pour affronter les incertitudes économiques et financières qui pèsent sur notre Nation », affirme-t-il. Ce front, qu’il envisage comme une plateforme d’unité, vise à mobiliser toutes les forces vives du pays pour surmonter les « fortes secousses qui minent les fondements de notre économie ».
Pour l’ancien ministre, l’urgence est de « tempérer les querelles et spéculations politiques ». Il insiste : « Aujourd’hui, ce qui est véritablement en jeu réside dans notre capacité en tant que nation, à faire face à l’ampleur considérable de la crise que nous traversons ». Le FNDE serait un espace de dialogue pour élaborer des solutions efficaces, loin des calculs partisans.
Recalculer la dette et rebaser le PIB
Au cœur des propositions de Doudou Ka figure une refonte du calcul de la dette publique. « D’où l’urgence, malgré les clivages partisans, d’établir un consensus politique national fort, sur la méthode de calcul du taux effectif d’endettement réel du Sénégal », martèle-t-il. Il suggère d’actualiser l’encours de la dette fin 2024 en soustrayant les crédits relais à court terme déjà couverts par des financements extérieurs, ainsi que les dettes contingentes des structures parapubliques, qui « ne présentent pas de risques financiers pour l’État central » car remboursées par des taxes ou ressources propres.
Par ailleurs, il appelle à finaliser le rebasing du PIB, entamé en avril 2023 par le ministère de l’Économie. Ce projet, prévu sur 24 mois, permettra d’obtenir un PIB actualisé, essentiel pour recalculer le taux d’endettement réel. « Ces mesures pourraient permettre au Sénégal de reprendre le contrôle de sa dette et d’accélérer la réduction de son taux d’endettement dans des proportions significatives », explique-t-il. Une gouvernance centralisée des emprunts publics est également préconisée pour éviter les dérives.
Une communion républicaine comme remède
Doudou Ka place l’union nationale au centre de sa vision. « Notre pays ne parviendra pas à surmonter cette situation d’exception sans une véritable communion républicaine à travers un Front National pour la Défense Économique », insiste-t-il. Il appelle à « faire front en plaçant les intérêts supérieurs de notre pays au-dessus de tout » pour surmonter la crise économique, budgétaire et sociale.
Opposant au régime actuel, il reste fidèle à ses principes républicains : « Ma loyauté envers la République me conduit à rester constructif malgré mon opposition politique sans concession au régime actuel et les injustices qu’il fait subir à mes proches ». Refusant toute instrumentalisation, il ajoute : « L’union nationale ne doit pas être confondue avec l’union politique. Personne ne devrait gager sa réussite politique personnelle sur l’échec du gouvernement d’Ousmane Sonko ou sur une campagne de règlements de comptes ».