Le continent africain s’impose de plus en plus comme un acteur clé du marché mondial des centres de données. Porté par des investissements massifs, le secteur, bien qu’en retard par rapport aux autres régions du monde, affiche des perspectives de développement prometteuses.
L’Afrique connaît une transformation numérique rapide, marquée, entre autres, par une augmentation significative du nombre de centres de données à travers le continent. Selon le « Digital Progress and Trends Report 2023 » de la Banque mondiale, publié en mars 2024, le nombre de centres de données en Afrique de l’Ouest et de l’Est est passé de 9 en 2012 à 134 en 2022. Cette croissance témoigne de l’adoption croissante des services cloud et de stockage de données sur le continent, dans un contexte de transformation numérique.
L’expansion des centres de données en Afrique est portée par des investissements publics et privés. Si les infrastructures publiques demeurent peu nombreuses, celles d’acteurs privés tels qu’Equinix, Amazon, Oracle, Huawei, Raxio ou encore Africa Data Centres se multiplient, renforçant leur présence sur le continent. En février 2024, Equinix a annoncé un investissement de 390 millions de dollars pour construire de nouveaux centres de données, notamment en Afrique de l’Est. De son côté, Oracle a inauguré son premier centre de données en Afrique du Sud en janvier 2022, avec pour ambition de déployer ses offres de cloud computing sur l’ensemble du continent.
Leaders régionaux
Dans ce marché qui devient hautement concurrentiel, certains pays africains se positionnent déjà comme des hubs régionaux pour les centres de données. C’est le cas de l’Afrique du Sud, du Nigeria, de l’Égypte et du Kenya.
Pays | Nombre de centres de données |
Afrique du Sud | 47 |
Egypte | 18 |
Nigeria | 16 |
Kenya | 14 |
Plusieurs atouts expliquent l’attrait des investisseurs pour ces marchés, notamment des politiques publiques incitatives qui favorisent l’investissement. L’Afrique du Sud et le Nigeria font partie des rares pays africains qui figurent dans l’IMD World Competitiveness Booklet 2024. L’indice classe 67 économies jugées parmi les plus dynamiques du monde en fonction de quatre facteurs : la performance économique, l’efficacité des pouvoirs publics, l’efficacité des entreprises et l’infrastructure. Ces facteurs reflètent divers aspects de la compétitivité, tels que la stabilité macroéconomique, la politique fiscale, la qualité des institutions, l’ouverture des marchés, le dynamisme des entreprises, l’innovation, l’éducation, la santé et les performances environnementales.
Un autre facteur déterminant de l’attrait des investisseurs pour l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Egypte et le Nigeria porte sur leur infrastructure de connectivité. La connexion de ces pays à de nombreux câbles sous-marins de fibre optique assure une connexion Internet haut débit indispensable à l’efficacité de leurs services Cloud. L’Afrique du Sud par exemple, bénéficie d’un accès à neuf câbles sous-marins de fibre optique internationaux, reliant le continent aux grandes régions numériques du monde, selon la plateforme spécialisée Submarine Networks. Ce qui en fait un point stratégique pour le trafic de données.
Pays | Nombre de connexion aux câbles |
Egypte | Une quinzaine |
Afrique du Sud | 9 |
Nigeria | 8 |
Kenya | 6 |
Par ailleurs, ces pays affichent aussi un niveau avancé de numérisation des services publics et privés, qui favorise la demande pour les services des centres de données. L’Afrique du Sud se distingue à la 1re place africaine avec un indice d’e-gouvernement de 0,8616. L’Égypte, le Kenya et le Nigeria occupent respectivement les 6e, 8e et 20e places sur le continent, avec des indices de 0,6699, 0,6314 et 0,4815.
Les défis à relever
Malgré un potentiel immense, plusieurs obstacles entravent le développement du marché des centres de données, essentiel pour soutenir la transformation numérique de l’Afrique. L’un des principaux freins est l’accès limité à une énergie fiable et abordable. Les centres de données sont gourmands en électricité, nécessitant une alimentation stable 24 heures sur 24. Or, de nombreux pays africains font face à des coupures d’électricité fréquentes et à des coûts énergétiques élevés. Les énergies renouvelables, bien que prometteuses, ne sont pas encore suffisamment déployées pour répondre à cette demande croissante. Le besoin énergétique de l’Afrique est évalué à 190 milliards de dollars d’investissements annuels entre 2026 et 2030 pour répondre aux objectifs énergétiques et climatiques du continent. Le continent ne représentait en 2020 que 3,3 % de la consommation mondiale d’énergie primaire (selon la BP Statistical Review of World Energy), malgré ses vastes ressources en hydrocarbures et son immense potentiel en énergies renouvelables.
Bien que des progrès significatifs aient été réalisés ces dernières années grâce à l’arrivée de câbles sous-marins et à l’expansion des réseaux de fibre optique, la connectivité reste un défi majeur dans de nombreuses régions d’Afrique. Plusieurs câbles restent concentrés dans les centres d’affaires. Leur déploiement à l’intérieur des pays reste faible. Plusieurs pays sans littoral vivent ce faible accès à la fibre optique avec plus d’acuité. Sur une superficie de l’Afrique de 30 millions de kilomètres carrés, seuls 1 337 158 km de fibre optique étaient opérationnels en juin 2024, selon Africa Bandwidth map. Cette fragmentation du réseau limite l’attractivité des investissements.
Dans certains pays africains, les cadres réglementaires et politiques ne sont pas encore adaptés pour favoriser le développement des centres de données. Les procédures administratives complexes, les taxes élevées sur l’importation de matériel informatique, et le manque de politiques incitatives pour les investisseurs étrangers freinent l’expansion du marché. De plus, les préoccupations liées à la souveraineté des données et à la protection de la vie privée nécessitent des lois claires et harmonisées à l’échelle régionale. La perception des risques est également un facteur qui influence l’investissement. En Afrique, les investisseurs potentiels, tant locaux qu’internationaux, perçoivent souvent le continent comme un marché à haut risque en raison de l’instabilité politique, des problèmes de sécurité et des fluctuations économiques dans certaines régions. Bien que cette perception soit en train de changer, elle continue de dissuader certains acteurs du secteur de s’implanter sur le continent.
Perspectives
Malgré ces défis, le marché des centres de données en Afrique qui ne représente encore qu’environ 1 % de la capacité mondiale offre des opportunités considérables. La demande croissante en services cloud, en stockage de données et en traitement local d’informations devrait continuer à stimuler le secteur. Pour surmonter les obstacles, une collaboration étroite entre les gouvernements, les investisseurs privés et les organismes internationaux sera essentielle. Des initiatives visant à améliorer l’accès à l’énergie, à simplifier les régulations, et à former une main-d’œuvre qualifiée pourraient accélérer le développement de ce marché stratégique. Si les freins au développement des centres de données en Afrique sont réels, ils ne sont pas insurmontables.