La région sahélienne, principalement le Mali, le Burkina Faso et le Niger, est aujourd’hui le théâtre d’une crise sécuritaire d’ampleur dont les répercussions menacent tout le Sahel et même dans tout le Golfe de Guinée. Cette insécurité est alimentée par l’ancrage des groupes armés djihadistes, comme le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (RVIM) et l’État Islamique au Sahel (EIPS), qui exploitent les vastes étendues peu contrôlées et les faiblesses structurelles des armées locales. Les populations civiles sont les premières victimes de cette insécurité chronique, marquée par des massacres, des enlèvements et des déplacements massifs. Des villages entiers au Mali sont désertés, tandis qu’au Niger et au Burkina Faso, les infrastructures vitales comme les écoles et les hôpitaux sont souvent ciblées, aggravant les crises humanitaires.
Depuis début janvier 2025, une série d’attaques coordonnées a illustré cette montée en puissance, combinant embuscades meurtrières, explosifs improvisés et assauts armés. Une petite radiographie de l’épicentre s’impose en nous limitant sur les trois pays de l’AES :
Burkina Faso
Le 7 janvier 2025, le JNIM a revendiqué l’éclatement d’un engin explosif (IED) contre un véhicule des Forces Armées Burkinabè (FABF) près de Barga. Le même jour, des affrontements inter-groupes entre le JNIM et l’EIPS ont eu lieu près de Dori, avec la mort d’au moins deux djihadistes de l’EIPS.
Le 9 janvier, le JNIM a revendiqué la prise d’une position des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) à Kelbo, causant la mort de huit miliciens. Le 10 janvier, deux engins explosifs (IED) ont été déclenchés par le JNIM contre des véhicules des FABF près de Dédougou. Le lendemain, l’EIPS a tendu une embuscade à un convoi logistique civil à destination du Niger, escorté par des FDS burkinabè, près de Dori. Cette attaque a causé la mort de plus de 21 soldats et au moins 3 civils, incluant des chauffeurs.
Le 14 janvier, le JNIM a revendiqué l’explosion de quatre engins contre une patrouille des FABF près de Namssiguia. Le lendemain, le JNIM a revendiqué une attaque contre deux positions des VDP à proximité de Barsalogho. Le JNIM a également pris le contrôle d’une base des VDP burkinabè à Yoba le jour d’après. Le 17 janvier, plusieurs attaques du JNIM ont visé les forces armées burkinabè autour de Dori, Fada N’Gourma et Banfora.
Le 18 janvier, quatre chauffeurs marocains ont été enlevés, probablement par l’EIPS, entre Dori (Burkina Faso) et Téra (Niger). Le 19 janvier, deux attaques ont été revendiquées par le JNIM : une explosion d’IED contre une patrouille des FABF près de Kaya, et une autre contre des forces armées burkinabè à Dablo. Le 20 janvier, une attaque à l’IED a ciblé les forces de sécurité burkinabè près de Maado, au nord-ouest de Banfora.
Le 21 janvier, un convoi des FABF a été attaqué avec un engin explosif dans le département de Dablo. Le même jour, une autre attaque a visé un convoi militaire entre Monsankoy et Sankoy, faisant 4 morts parmi les soldats et permettant aux assaillants de récupérer du matériel, notamment du mortier, des kalachnikovs et des motos).
Le lendemain, plusieurs actions du JNIM ont été recensées : une embuscade avec IED contre l’armée et des milices entre Wangro et Madi (province de Comoé) ; une autre attaque similaire entre Massala et Tora ; une offensive d’envergure contre un camp militaire et la ville de Sebba, et une attaque similaire à Pama, les deux offensives entraînant la mort d’une vingtaine de soldats et de sept civils. Le 23 janvier, des photos de véhicules détruits ont confirmé les dégâts de l’attaque à Sebba.
Le 24 janvier, le JNIM a mené un assaut armé contre les forces burkinabè à Pama, et affirme avoir pris le contrôle des logements militaires burkinabè de Bama, dans la région de Fada N’Gourma.
Le 25 janvier, les forces du JNIM ont pris possession d’une base militaire burkinabè dans la province de Gourma, près de Fada N’Gourma. Enfin, le 26 janvier, plusieurs attaques ont été menées par le JNIM dans la région de Gao.
Niger
Le Niger, quant à lui, fait face à une recrudescence des attaques dans la région de Makalondi, un carrefour vital pour les échanges avec le Burkina Faso. Les convois qui empruntent la nationale 6 sont régulièrement pris pour cible par des engins explosifs improvisés. Ces actes de sabotage, souvent revendiqués par le JNIM, compromettent non seulement la sécurité des civils, mais aussi l’économie transfrontalière, essentielle à la survie des populations locales.
Le 7 janvier 2025, le JNIM a revendiqué l’explosion d’un EID contre un véhicule des Forces Armées Nigériennes (FAN) près de la mine d’or de Samira Hill, à l’ouest du Niger. Le 12 janvier, deux événements marquants ont eu lieu : le JNIM a revendiqué l’explosion de deux EID contre un véhicule militaire sur la nationale 6, près de Makalondi, un axe vital reliant le Burkina Faso à Niamey ; une ressortissante autrichienne a été enlevée à Agadez, dans le nord du Niger, par des ravisseurs non identifiés.
Le 15 janvier, un ressortissant espagnol a été enlevé au sud de Tamanrasset, en Algérie, et emmené au Mali par ses ravisseurs.
Le 19 janvier, plusieurs IED ont visé des véhicules armés nigériens sur la nationale 6, entre Makalondi et Torodi, dans l’ouest du Niger. Le lendemain, le Front de Libération de l’Azawad (FLA) a annoncé avoir récupéré le ressortissant espagnol enlevé quelques jours plus tôt. Celui-ci a été remis aux autorités algériennes.
Le 22 janvier, deux attaques distinctes ont frappé le Niger : une attaque contre des civils à Yeldou, dans la région de Dosso, et une explosion d’IED revendiquée par le JNIM, visant les FAN près de la mine d’or de Samira Hill.
Mali
Au Mali, les groupes armés djihadistes s’en prennent directement aux positions avancées des Forces armées maliennes (FAMa), combinant tirs d’artillerie légère et offensives au sol. Leur objectif : piller des équipements militaires pour renforcer leur arsenal.
Ainsi, le 6 janvier 2025, des groupes armés djihadistes ont attaqué la ville de Nioro au Mali, combinant tirs d’artillerie légère et offensive terrestre. Cette attaque survient après qu’un message audio diffusé la veille a annoncé la mort d’un important chef religieux de Nioro, enlevé fin décembre. Le 8 janvier, les FAMa ont déclaré avoir repoussé une attaque terroriste à Diangassagou, dans la région de Mopti. Le lendemain, le JNIM a attaqué la position des FAMa à Diallassagou et aurait temporairement pris le contrôle du site. Bien que les FAMa affirment avoir repoussé l’assaut en tuant 14 assaillants, les djihadistes se seraient exfiltrés en emportant du matériel militaire et des véhicules.
Le 12 janvier, le JNIM a mené une attaque contre une base de la milice Dan Na Ambassagou (DNA) dans le village de Simdé. Le 15 janvier, les FAMa ont repoussé une attaque du JNIM contre leur poste de Wabaria, près de Gao, et rapportent avoir tué six assaillants. Le 17 janvier, le JNIM a revendiqué l’utilisation d’un engin explosif (IED) contre des forces des FAMa entre Gomitra et Sébabougou, dans la région de Kayes.
Le 19 janvier, plusieurs attaques à l’IED revendiquées par le JNIM ont eu lieu. Une patrouille des FAMa a été visée à l’est de Niafunké, dans la région de Tombouctou, où l’explosion aurait tué 4 soldats et blessé gravement un autre. Un véhicule des FAMa a également été pris pour cible au nord de Tessalit, tandis qu’un autre engin explosif a été utilisé dans la région de Tombouctou contre un véhicule FAMa. Le 20 janvier, le JNIM a revendiqué deux nouvelles attaques à l’IED. Un véhicule des FAMa a été visé à Tessalit, dans la région de Kidal, et un autre a été frappé entre Niena et Sikasso.
Le 24 janvier, deux explosions d’IED ont touché les FAMa. Un convoi militaire entre Bandiagara et Bankass a été attaqué, et un autre véhicule FAMa a été visé à Konna. Enfin, le 26 janvier, dans la région de Mopti, le JNIM a revendiqué une attaque contre un véhicule des FAMa et du groupe Wagner entre Bandiagara et Bankass, affirmant que l’explosion avait détruit le véhicule et tué ses occupants.
Des solutions minimes jusqu’à présent
Le 22 janvier 2025, le ministre nigérien de la Défense, le général Salifou Mody, a annoncé la création d’une “force unifiée” de 5 000 soldats issus des armées du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Cette force, qui devrait être opérationnelle dans les prochaines semaines, vise à lutter contre les groupes jihadistes dans la région du Sahel.
L’objectif est de mutualiser les efforts des trois pays de l’AES face aux menaces communes, notamment dans la zone dite “des trois frontières” où les attaques sont les plus nombreuses. Bien que cette force commune représente un effort de coopération régionale, son efficacité face à l’ampleur des défis sécuritaires dans la région reste à démontrer.
Les trois pays de l’AES constituent un vaste territoire enclavé de 2,8 millions de kilomètres carrés, ce qui soulève des questions sur la capacité de 5 000 hommes à couvrir efficacement une telle zone.
Une menace qui s’étend et interpelle le Sénégal
La détérioration sécuritaire au Sahel ne reste pas confinée à cette région. Les groupes armés terroristes, profitant de la porosité des frontières et de l’instabilité politique, étendent progressivement leur influence vers le Golfe de Guinée. Cette dynamique inquiète profondément les pays côtiers, qui voient émerger sur leur territoire une menace auparavant concentrée au nord, et tout particulièrement le Bénin et tout le pourtour de la CEDEAO.
Cette incapacité de l’AES, malgré ses renforts russes, à contenir efficacement les groupes armés sur le plan régional exacerbe donc les risques pour tous les pays de la zone. Si les efforts conjoints ne sont pas rapidement intensifiés, l’expansion des groupes armés terroristes pourrait menacer à terme la stabilité de l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble.
Le Sénégal a déployé des unités du GARSI dans la zone Est, au regard du déplacement du danger désormais dans cette partie du pays. Notre pays est conscient du danger et nos unités sont constamment en alerte. Il s’y ajoute que nous sommes l’une des seules démocraties encore stables et à ce titre avons une responsabilité de jouer les premiers rôles pour le retour de la paix et la stabilité partout dans les pays du champ. Un premier pas posé dans ce sens a été la médiation proposée à Dakar et que les autorités ont accepté avec notamment le choix d’Abdoulaye Bathily. Poser des pas similaires à terme pourrait déboucher sur des solutions durables dans une zone régie par l’incertitude et les menaces diverses.
Babacar P. Mbaye
Expert en géopolitique