En Afrique centrale, la pénurie de pièces de monnaie est devenue un problème majeur, perturbant les échanges commerciaux et la vie quotidienne des citoyens. Au cœur de cette crise se trouve un vaste réseau de trafic international qui détourne les pièces pour les transformer en bijoux en Chine. Face à ce défi, la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a récemment annoncé une stratégie visant à contrer ce phénomène.
Depuis plusieurs années, un réseau structuré opère discrètement dans la région de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), regroupant des pays tels que le Cameroun, le Gabon, le Tchad, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Congo. Ce réseau collecte massivement les pièces de monnaie locales, avant de les exporter clandestinement vers la Chine où elles sont fondues pour être transformées en bijoux.
L’attractivité de ce commerce illégal repose sur la valeur intrinsèque du métal contenu dans les pièces, souvent plus élevée que leur valeur faciale. Le trafic est si lucratif que les trafiquants n’hésitent pas à couvrir les coûts liés au transport et au dédouanement, assurant ainsi une chaîne d’approvisionnement continue.
Des répercussions économiques et sociales importantes
La raréfaction des pièces de monnaie a des effets dévastateurs sur les petits commerces et les consommateurs. Les échanges sont ralentis, les transactions deviennent complexes, et des systèmes de substitution, comme les bons d’achat ou les avoirs sur tickets, ont vu le jour pour pallier le manque de liquidités. Cependant, ces solutions temporaires ne résolvent pas le problème de fond et entraînent souvent des pertes financières pour les consommateurs.
De plus, cette crise fragilise la confiance envers le système monétaire et entrave la fluidité des échanges économiques au sein de la sous-région.
Face à cette situation critique, la Banque des États de l’Afrique Centrale a finalement décidé d’agir. Dans un communiqué officiel publié le 18 décembre 2024, la BEAC a annoncé une série de mesures pour endiguer le trafic et restaurer la circulation normale des pièces de monnaie.
Parmi ces mesures :
- La mise en circulation d’une nouvelle gamme de pièces en 2025, conçues avec des matériaux non exploitables dans l’industrie de la bijouterie.
- La distribution directe de pièces aux opérateurs économiques habilités, afin de garantir leur disponibilité sur les marchés locaux.
Cependant, ces solutions soulèvent plusieurs interrogations. Comment s’assurer que les opérateurs autorisés ne sont pas eux-mêmes impliqués dans le trafic ? Comment garantir que les nouvelles pièces ne subiront pas le même sort que les précédentes ?
Deux grandes préoccupations demeurent :
- Le contrôle de la distribution des pièces existantes. La BEAC doit impérativement surveiller les opérateurs qui récupèrent les pièces pour éviter qu’elles ne repartent clandestinement vers l’Asie.
- La gestion des anciennes pièces. Faut-il les retirer progressivement du marché ? Les échanger contre de nouvelles pièces ? Une stratégie claire et transparente est nécessaire pour éviter que les anciens stocks ne continuent d’alimenter le trafic.
Certaines voix proposent une solution radicale : fixer une date limite au-delà de laquelle les anciennes pièces deviendraient caduques. Une telle mesure pourrait forcer les détenteurs à les restituer rapidement, mais elle comporte également des risques économiques si elle est mal exécutée.
Les responsabilités partagées
Le trafic de pièces de monnaie en Afrique centrale est le résultat d’une chaîne de responsabilités partagées. Les acteurs locaux qui alimentent ce commerce illégal, les intermédiaires qui orchestrent les exportations, et les acheteurs finaux en Chine participent tous à ce système. Mais au-delà des responsabilités individuelles, c’est aussi un manque de régulation et de surveillance qui a permis à ce phénomène de prospérer.
La stratégie de la BEAC visant à introduire de nouvelles pièces représente une étape importante, mais elle ne suffira pas à elle seule. Une lutte efficace contre ce trafic nécessite une coopération régionale renforcée, une surveillance accrue des opérateurs économiques, et une sensibilisation du grand public sur les enjeux liés à ce phénomène.
La question demeure : les nouvelles pièces suffiront-elles à mettre un terme à ce commerce illégal ou ne feront-elles que déplacer le problème ailleurs ? Les mois à venir seront décisifs pour évaluer l’efficacité de cette stratégie.
En attendant, commerçants et citoyens continuent de composer avec une réalité économique complexe, où même une petite pièce de monnaie est devenue un bien précieux et rare.