La scène pourrait être tirée d’un thriller : un magnat, une raffinerie révolutionnaire, et une mafia qui n’a rien à envier aux cartels de la drogue. Pourtant, c’est bien la réalité. Aliko Dangote (photo), l’homme le plus riche d’Afrique, est au cœur d’une saga où l’industrie pétrolière nigériane se débat entre réformes, jeux d’intérêts obscurs et turbulences économiques.
Avec une capacité de 650 000 barils par jour, sa raffinerie pétrolière inaugurée en mai 2023 promettait d’être une bouée de sauvetage pour le Nigeria, un pays dont les importations de carburant coûtent des milliards de dollars chaque année. L’installation promettait d’ailleurs de permettre au gouvernement d’économiser près de 8 milliards de dollars par an en réduisant ses importations de carburants.
En juillet dernier, un accord avait été signé avec la société publique du pétrole (NNPC), qui prévoyait que cette dernière fournisse à l’usine 385 000 barils par jour, payables en nairas. Une décision destinée à réduire la pression sur les réserves de devises étrangères du pays. Cependant la NNPC n’a pas respecté ses engagements. Edwin Devakumar, vice-président de Dangote Industries Limited a décrit les livraisons comme « des cacahuètes ». En conséquence, la raffinerie, au lieu de fonctionner à pleine capacité, se voit contrainte d’importer du brut depuis les États-Unis.
À cette équation complexe s’ajoute une nouvelle exigence : le paiement par Dangote Refinery du pétrole brut en dollar. Cette volte-face alimente les soupçons. En juin dernier, Dangote mettait en garde contre une « mafia du pétrole », affirmant : « je savais qu’il y aurait un combat, mais je ne savais pas que la mafia pétrolière était plus puissante que celle de la drogue ».
Selon les experts, cette mafia représente un cartel de négociants bien connectés, habitués à profiter d’un système opaque où le brut nigérian est exporté pour être raffiné à l’étranger avant d’être réimporté. Une raffinerie locale menace de mettre fin à ce circuit lucratif, privant ces acteurs de parts de marché au Nigeria et en Afrique de l’Ouest. Donc acheter en devise et vendre dans une devise inférieure reviendrait à signer pour des pertes colossales surtout avec un naira en chute libre depuis plusieurs mois. La monnaie locale a en effet, perdu plus de 200 % de sa valeur face au dollar en 18 mois. Cette situation pourrait surtout menacer la viabilité même du projet.
Dans ce contexte, la NNPC justifie ses manquements par des problèmes structurels : baisse de la production pétrolière, dettes colossales et préfinancement d’exportations pour rembourser des prêts. Mais cette réalité, bien qu’indéniable, ne dissipe pas les doutes sur d’éventuelles pressions orchestrées.
L’échec de la raffinerie serait une tragédie pour un pays où les files d’attente pour le carburant sont devenues un symbole d’un système défaillant. L’ambition de Dangote, malgré les vents contraires, reste intacte. Pourtant, la question demeure : le Nigeria est-il prêt à affronter les forces qui veulent sa chute ? Ou le pays, malgré l’opportunité historique que représente cette raffinerie, choisira-t-il de préserver ses vieux démons ?