L’ancien ministre de la Justice, Maître Aïssata Tall Sall, a récemment affirmé qu’il serait “impossible d’abroger la loi d’amnistie” qu’elle a défendue devant l’Assemblée nationale lors de son passage au gouvernement. Elle s’est également positionnée comme une “spécialiste en droit” pour tenter de disqualifier toute opposition citoyenne ou critique venant de non-juristes. Aujourd’hui, il est nécessaire, non seulement de démonter ces propos sur le plan juridique et factuel, mais aussi de réaffirmer que le débat sur la justice et la vérité dépasse les cercles d’initiés pour appartenir à tous les citoyens.
- LA LOI D’AMNISTIE N’EST NI INTOUCHABLE NI IREVERSIBLE :
Maître Aïssata Tall Sall avance qu’il serait impossible d’abroger la loi d’amnistie sinon on sera dans un État de non droit. Cette affirmation est scientifiquement infondée. En droit, une loi peut toujours être modifiée, suspendue ou abrogée par une autre loi, conformément au principe de la souveraineté du peuple et de ses représentants. Une loi d’amnistie n’échappe pas à ce principe. Elle peut être revisitée si elle est jugée contraire à l’intérêt général ou aux normes supérieures, notamment les engagements internationaux du Sénégal, tels que :
- Le statut de Rome : L’article 7 dudit statut définit les crimes contre l’humanité comme des actes graves commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile, en connaissance de cette attaque. Ces actes incluent notamment : les Meurtres, Torture, Emprisonnement ou privation grave de liberté, Persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses ; Actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances.
- Les principes relatifs à l’interdiction de l’impunité pour des crimes graves, adoptés par les Nations Unies.
- La convention contre la torture du 5 février 1985 et L’alinéa 4 et 5 de l’article 295-5 du Code Pénal Sénégalais affirme ceci : Aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout acte d’exception, ne pourra être invoquée pour justifier un quelconque acte de torture.
L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne pourra être invoqué pour justifier la torture.
Si cette loi d’amnistie protège des auteurs de violations graves des droits humains (meurtres, tortures, détentions arbitraires), elle est en contradiction avec les obligations internationales du Sénégal. Elle pourrait donc être révoquée ou limitée, notamment en excluant de son champ d’application les actes considérés comme crimes graves ou violations flagrantes des droits humains.
- DES FAITS INDÉNIABLES : le sang versé et l’injustice subie :
Entre 2021 et 2024, le Sénégal a vécu des événements tragiques où plus de 80 jeunes ont été tués et les auteurs toujours inconnus, d’autres emprisonnés et torturés. Ces crimes ne sont ni des accidents isolés ni des faits anodins : ils témoignent d’un système de répression systématique dirigé contre des manifestants non armés et des citoyens exprimant leur opposition à un régime dictatorial.
Je me permets ici de partager mon expérience personnelle, qui illustre la gravité de ces violations :
- En raison de mes positions politiques et de mon engagement citoyen, j’ai été séquestré, torturé, fracturé et emprisonné pendant 9 mois sans aucune base légale.
- Durant cette période, j’ai été privé de mes droits fondamentaux, au mépris total de la Constitution sénégalaise, du Code de procédure pénale, et des conventions internationales signées par notre pays.
Ces faits, comme tant d’autres, sont une honte nationale. Ils ne peuvent être effacés par une loi d’amnistie conçue pour protéger les responsables. La justice véritable exige la reconnaissance des crimes, l’identification des coupables, et leur traduction devant les juridictions compétentes.
- LE DROIT EST UN OUTIL AU SERVICE DE LA JUSTICE , ET NON UN PRIVILÈGE DE JURISTES :
Madame le Ministre a également tenté de réduire ce débat à un “débat technique”, réservé aux spécialistes du droit. Or, la justice n’est pas l’apanage des juristes ; elle appartient à tous. Toute personne, qu’elle soit juriste, étudiant ou simple citoyen, a le droit de poser des questions sur l’équité, la justice et les lois qui gouvernent notre société.
En tant que jeune Sénégalais engagé, on tient à rappeler que :
- Le droit n’est pas un dogme figé, mais un outil évolutif, façonné par les besoins et aspirations des peuples.
- Ce n’est pas parce que vous êtes avocate ou ancien ministre de la justice que votre raisonnement juridique est indiscutable. Même l’étudiant en première année de droit, le militant de base ou le simple citoyen peut parfaitement démonter votre argumentaire infondé, dès lors qu’il est basé sur des faits et des principes.
Notre génération refuse ce complexe d’infériorité. Nous croyons fermement que la justice ne peut être laissée à l’appréciation exclusive d’une élite déconnectée des réalités de la majorité.
- L’IMPÉRATIF MORAL ET JURIDIQUE D’UNE ABROGATION :
Une loi d’amnistie qui protège des auteurs de crimes graves n’est pas une loi de réconciliation, mais une loi d’impunité. En maintenant cette loi, nous envoyons un message selon lequel les violations des droits humains, aussi graves soient-elles, peuvent rester sans conséquence.
La lutte contre l’impunité est une exigence morale et juridique. L’abrogation de cette loi serait une première étape pour honorer la mémoire des victimes, réhabiliter les survivants et restaurer la confiance entre l’État et ses citoyens.
Sénégalaises, Sénégalais, ne laissez personne vous faire croire que ce débat ne vous concerne pas. Ne laissez personne vous intimider en vous parlant de “technicité juridique”. La justice est votre droit, votre affaire.
Nous, jeunes de cette génération, portons la voix des victimes. Nous refusons l’impunité. Nous appelons à une mobilisation massive pour exiger l’abrogation de cette loi injuste et l’instauration d’un État de droit où personne, pas même les forces de l’ordre ou les politiciens, ne sera au-dessus des lois.
La justice pour tous ou pour personne.
Pape Abdoulaye TOURE
Étudiant en Master, option Carrières Judiciaires et Sciences Criminelles.
Président de la Coalition Le Temps De La Jeunesse, DAFA JOTT 🇸🇳✌️