En Italie à Ecomondo, un des plus grands salons internationaux consacrés aux technologies vertes, la Sonaged (Société nationale de gestion intégrée des déchets du Sénégal) se positionne comme un acteur clé de la transition vers une économie circulaire en Afrique de l’Ouest. Dans un entretien exclusif accordé à l’Agence Ecofin, Khalifa Ababacar Sarr, le nouveau DG de la société (en poste depuis juin 2024) a partagé sa vision et ses ambitions pour la gestion des déchets urbains au Sénégal et dans les pays de la sous-région. De la production d’engrais et d’électricité à partir de déchets organiques, à l’adoption de pratiques circulaires inspirées des retours d’expérience d’Ecomondo, la Sonaged explore de nouvelles voies pour répondre aux défis en matière de durabilité.
Louis-Nino Kansoun : Vous avez été nommé récemment à la tête de la Sonaged. Parlez-nous de cette société et du contexte de votre participation à Ecomondo.
Khalifa Ababacar SARR : Je suis le Directeur général de la Sonaged, j’ai été nommé à ce poste fin mai, j’ai pris service le 21 juin dernier. C’est une société que je connais très bien, parce que de 2015 à 2020, je suis le responsable national de la cartographie des déchets, où on a répertorié tous les déchets au Sénégal, avec une plateforme interactive, l’interconnectivité des déchets et des sites de forte production comme les marchés, les garages, etc. Nous sommes aujourd’hui à Ecomondo, à la suite d’une convention, signée il y a de cela trois ans, entre l’ex-UCG (Unité de coordination de la gestion des déchets au Sénégal, NDLR) qui est devenu en 2022 la Sonaged, une société anonyme qui coiffe tous les programmes de gestion des déchets, dont un grand projet qui s’appelle Promoged (Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides au Sénégal). Je crois que nous pouvons nous réjouir de voir ici à Ecomondo plusieurs délégations africaines, notamment du Maghreb et aussi de l’Afrique de l’Ouest. Nous ne devons plus traîner les pieds. Depuis 1960, nous avons perdu énormément de temps. En tant que représentants du Sénégal, nous sommes à Ecomondo pour montrer toute notre ouverture, pour dire au reste du monde que nous devons collaborer pour avancer.
LNK : Au salon Ecomondo, les échanges et expositions tournent autour de plusieurs thématiques parmi lesquelles on retrouve le développement durable, les technologies vertes, l’écologie, l’énergie, l’agriculture ou encore l’économie circulaire. Pour une société comme la Sonaged, présente sur le segment de la gestion des déchets, les liens avec l’économie circulaire sont évidents, n’est-ce pas ?
KAS : Les liens avec l’économie circulaire sont fonctionnels. On peut faire une analogie avec le cycle de l’eau, l’eau qui arrive est utilisée, nettoyée puis rejetée dans la nature pour la production d’autres ressources. De la même manière, les déchets ne peuvent plus rester en rade, parce qu’aucun déchet n’est inutile. Même les déchets biomédicaux peuvent servir aujourd’hui dans les usines de création d’énergie. Dans certaines usines modernes qu’on vient de visiter, on capitalise même la chaleur, même les fumées, il n’y a rien qui échappe. Dans nos pays, on doit de plus en plus voir les déchets comme un atout dont nous devons nous servir pour refaire nos villes.
Je crois que l’Afrique a longtemps aidé le monde en fournissant de la matière première. Mais il est temps aujourd’hui que nos matières premières demeurent chez nous, pour qu’on puisse d’abord se construire, avant de construire d’autres pays. C’est pour cela que le 3R est important. Réduire, réutiliser et recycler. A la Sonaged, nous œuvrons pour la transformation des déchets en engrais, en électricité. Les déchets peuvent être réutilisés dans la menuiserie plastique, les abris provisoires.
LNK : Un acteur clé de la gestion des déchets au Sénégal, mais également en Afrique selon vos déclarations. Comment comptez-vous procéder ?
KAS : Nous envisageons d’abord d’aller à la conquête des pays qui sont limitrophes, puis les pays d’Afrique de l’Ouest. Récemment, nous étions en Gambie, où nous avons signé une convention de partenariat très poussée avec la National Environment Agency, dirigée par Dr Dawda Badgie, qui, sous les auspices des autorités du pays, nous a invités à collaborer avec le gouvernement.
Notre président, Bassirou Diomaye Faye, dès son arrivée, a fait le tour des pays qui sont autour de nous, pour la diplomatie du bon voisinage, dans l’esprit du donner et du recevoir. Les pays africains doivent comprendre que chaque pays a quelque chose dont un autre pays du continent a besoin. Donc nous devons travailler d’arrache-pied pour que les barrières de langue sautent et pour que nos cultures communiquent entre elles pour qu’on puisse développer notre continent.
LNK : Que voyez-vous comme obstacles pour l’atteinte de vos objectifs tant au niveau local que régional ?
KAS : L’obstacle principal, c’est le financement. Aujourd’hui, vous savez que des sociétés comme les nôtres ont quand même une partie adossée sur le fonctionnement de l’État, ce qui n’est pas durable, car les budgets de l’État doivent servir à tous les secteurs, notamment la santé, l’éducation, etc. A chaque fois qu’on évoque les déchets avec des constitutionnels ou bien des collaborateurs, on attend qu’il y ait une pseudo-crise pour qu’on puisse agir. De ce que nous avons vu durant notre parcours en Asie, il y a des villes qui sont autonomes, comme Amagasaki ou Osaka au Japon, qui ont leurs ressources à travers les déchets, parce qu’elles produisent pour injecter dans le secteur de l’énergie et reçoivent des dividendes. Pour arriver à cela dans nos villes, nous avons besoin de partenaires. Je ne dis pas comme les structures comme l’AFD et autres, qui viennent avec beaucoup de conditions. On a besoin d’un financement très flexible en Afrique pour faire des bonds en avant.
LNK : Ne peut-on pas classer parmi les éventuels obstacles la perception qu’ont certains Africains des thématiques comme la gestion des déchets, l’économie circulaire, qu’ils trouvent moins prioritaires par rapport à des questions comme la faim, l’accès à l’énergie, etc. Comment cela peut-il être surmonté ?
KAS : Il faut aller vers l’éducation environnementale, l’écoresponsabilité, l’écogestion et l’écocitoyenneté. Tout le monde doit comprendre qu’après avoir mangé, il reste des déchets qu’il faut gérer et qui peuvent servir à plusieurs applications, y compris la création d’engrais bio pour avoir des produits sains dans la consommation. Je crois que tout est lié, même l’énergie dont vous parlez, quand on fait de la captation de vapeur où on crée de l’énergie avec les déchets. Je crois que nul dans ce monde-là ne peut dire qu’il n’est pas concerné par les déchets. Nous devons aider nos populations à s’éduquer davantage pour avoir un meilleur monde, dans un cadre sain et épanouissant.
LNK : Une entreprise africaine comme la Sonaged qui vient en Italie, est-ce qu’elle espère aussi conclure des partenariats avec des entreprises locales ? Est-ce qu’il y a des technologies locales présentées à Ecomondo dont vous pouvez vous inspirer ?
KAS : Bien sûr. Pour ne rien vous cacher, dans nos services aujourd’hui, on emploie par exemple des ingénieurs issus des écoles polytechniques. Au Sénégal, on compte au minimum trois grandes écoles polytechniques, en l’occurrence l’école supérieure polytechnique de Dakar, l’école polytechnique de Thiès, et l’institut polytechnique de Saint-Louis. Ces écoles, situées dans trois régions différentes, forment des ingénieurs qui ont besoin de se frotter avec les ingénieurs établis en Italie, au Japon, et ailleurs dans le monde. Cela peut aider à affiner les programmes d’enseignements, trouver des idées inspirantes et parvenir à des produits made in Africa.
Tout à l’heure, nous avons visité dans les stands des véhicules qui balaient les rues, ou bien même des véhicules qui marchaient avec l’électricité et qui font par exemple du rapprochement avec les déchets de construction, de bâtiments, etc. Tout cela pour vous dire qu’il est temps de rompre avec notre conception unilatérale pour aller vers le bilatéral afin que nos pays puissent mener une coopération gagnant-gagnant dans le sillage du développement universel.
Propos recueillis par Louis-Nino Kansoun, depuis Rimini (Italie)