Le rapport souligne que le corridor destiné à relier les mines de cuivre et de cobalt du sud de la République démocratique du Congo et du nord-ouest de la Zambie aux marchés internationaux via le port angolais de Lobito est au cœur d’une lutte géostratégique entre les grandes puissances étrangères, en raison de l’importance stratégique que revêtent ces minerais.
La RDC et la Zambie peuvent transformer le corridor de Lobito, qui s’impose progressivement comme un élément stratégique sur l’échiquier mondial de l’approvisionnement en minerais stratégiques, en optant pour une coopération plus étroite axée sur le renforcement de la gouvernance conjointe, la diversification des partenaires internationaux le développement d’industries locales de transformation des ressources minières, souligne un rapport publié le 15 octobre par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « Quand le corridor de Lobito redistribue les cartes de la transition énergétique mondiale », le rapport précise que le corridor de Lobito incarne une ambition majeure : créer une voie efficace d’exportation des ressources minières stratégiques du continent vers les marchés internationaux.
Son histoire remonte à l’époque coloniale, lorsque le chemin de fer de Benguela, construit au début du XXe siècle, reliait les mines de cuivre et de cobalt de l’intérieur du continent africain au port atlantique de Lobito, en Angola.
Après avoir servi de colonne vertébrale à l’économie de la région durant des décennies, l’exploitation de ce corridor avait été interrompue à cause de la guerre civile en Angola. Ce n’est qu’après la fin des hostilités, au début des années 2000, que des travaux de réhabilitation de ce corridor ont été entrepris, grâce notamment à des financements chinois.
La ligne ferroviaire de 1300 km reliant le port de Lobito à la ville de Luau, près de la frontière avec la RDC, a ainsi été rénovée. Mais c’est l’implication d’acteurs privés qui a permis de relancer le projet de manière durable et plus ambitieuse. Un contrat de concession de 30 ans a été signé, en 2022, entre le gouvernement angolais et un consortium composé du négociant en matières premières Trafigura, du spécialiste belge des chemins de fer Vecturis et du groupe portugais de construction Mota-Engil. Appelé Lobito Atlantic Railways, ce consortium s’est engagé à investir 555 millions dollars pour moderniser les infrastructures et exploiter le corridor.
Source Trafigura.
Parallèlement, plusieurs bailleurs de fonds africains et internationaux ont annoncé des financements supplémentaires pour soutenir la modernisation du corridor et son extension vers la Zambie. En octobre 2023, un protocole d’accord a été signé entre l’Africa Finance Corporation (AFC), la Banque africaine de développement, les gouvernements angolais, zambien, congolais, ainsi que les États-Unis et l’Union européenne (UE). Ces différents partenaires ont mandaté l’AFC pour coordonner la mobilisation du financement nécessaire à la construction d’une ligne de chemin de fer de 800 km (entre Benguela-Luacano en Angola et Chingola en Zambie) coûtant plusieurs milliards de dollars et qui sera reliée à la section du corridor de Lobito arrivant en RDC. Des investissements cumulés de plus d’un milliard de dollars ont été annoncés par les Etats-Unis, l’UE et d’autres partenaires. L’Italie s’est aussi engagée à mobiliser 320 millions $ pour le projet, alors que la Banque de développement de l’Afrique australe (DBSA) a annoncé une contribution de 200 millions $.
Un gain de temps et de coût de transport des minerais
Cet intérêt croissant pour le corridor s’explique par le fait qu’il offre une alternative plus rapide et moins coûteuse aux routes traditionnelles passant par la Tanzanie ou l’Afrique du Sud pour l’exportation des minéraux critique extraits en RDC et en Zambie. En réduisant les délais d’expédition (six jours seulement entre Kolwezi, dans la ceinture de cuivre de la RDC, et le port de Lobito, contre 14 à 25 jours pour les autres routes via Durban en Afrique du Sud ou Dar es-Salaam en Tanzanie selon les estimations), ce projet apporte un avantage concurrentiel majeur aux pays exportateurs de minéraux stratégiques.
Six jours seulement entre Kolwezi, dans la ceinture de cuivre de la RDC, et le port de Lobito, contre 14 à 25 jours pour les autres routes via Durban en Afrique du Sud ou Dar es-Salaam en Tanzanie selon les estimations.
D’autant plus qu’il inclut aussi le développement des infrastructures portuaires à Lobito, avec un terminal minéralier modernisé, capable de gérer des volumes croissants de cuivre et de cobalt.
Le rapport indique également que le corridor de Lobito est devenu un champ de bataille géopolitique où s’affrontent les intérêts des grandes puissances économiques mondiales, notamment les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine.
Pour les États-Unis et l’Union européenne, ce corridor représente un levier majeur pour réduire leur dépendance à l’égard de la Chine, qui contrôle actuellement une grande partie de la chaîne d’approvisionnement mondiale en minerais nécessaires à la transition énergétique mondiale. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que ce vaste projet d’infrastructures ferroviaires et portuaires est considéré comme le premier corridor économique stratégique lancé dans le cadre du partenariat phare du G7 pour les infrastructures et les investissements mondiaux (PGII), qui représente la réponse à occidentale l’initiative chinoise des « nouvelles routes de la soie ».
Dans le camp d’en face, la Chine qui contrôle une grande partie des principales mines de cuivre et de cobalt en RDC et en Zambie investit dans des projets concurrents, tels que la modernisation de chemin de fer transnational Tanzania-Zambia Railway (TAZARA), reliant la Copperbelt zambienne au port de Dar es-Salaam. De plus, même si le corridor de Lobito est soutenu par les États-Unis et l’UE, ces derniers n’ont pas d’exclusivité sur le projet, et les entreprises chinoises qui opèrent en RDC et en Zambie pourraient elles aussi utiliser cette nouvelle route pour l’exportation des minerais.
La Chine qui contrôle une grande partie des principales mines de cuivre et de cobalt en RDC et en Zambie investit dans des projets concurrents, tels que la modernisation de chemin de fer transnational Tanzania-Zambia Railway.
Pour la RDC et la Zambie, le corridor de Lobito pourrait non seulement améliorer la compétitivité des exportations minières en réduisant les délais de transport et les coûts logistiques, mais aussi attirer davantage d’investissements dans leurs secteurs miniers.
Les deux pays nourrissent également des ambitions en matière de développement de leurs industries locales de transformation de minerais stratégiques, afin de capturer une plus grande part de la chaîne de valeur en produisant des produits semi-finis ou finis.
Capitaliser sur la hausse de la demande mondiale
Kinshasa et Lusaka ont déjà annoncé en 2021 un projet commun pour fabriquer des batteries de véhicules électriques, qui sera installé dans une zone franche de 2000 hectares située dans la province du Haut-Katanga, à la frontière entre les deux pays.
Le ministre congolais de l’Industrie, Julien Paluku, a annoncé, fin septembre 2024, que la première étude de faisabilité démontre qu’il faut 30 milliards de dollars américains pour développer ce vaste projet, qui permettrait de capter d’ici 2035-2040 près de 7000 milliards de dollars de revenus.
Le ministre congolais de l’Industrie, Julien Paluku.
Le développement programmé d’une industrie de batteries électriques en terre africaine est soutenu par soutenue par plusieurs partenaires, dont Etats-Unis, l’Union européenne, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) et Afreximbank.
Dans un tel contexte, la modernisation et l’extension du corridor de Lobito constitue une opportunité pour renforcer la coopération entre les deux pays, afin qu’ils puissent défendre leur intérêt commun en matière de transformation de minerais, face à des partenaires qui ont leurs propres agendas. La RDC et la Zambie, qui pèsent ensemble un total d’environ 3,5 millions de tonnes sur le marché mondial de cuivre, pourraient capitaliser sur la hausse attendue de la demande de ce métal pour mieux défendre leurs intérêts et leurs agendas à la table des négociations où ils doivent faire face à des multinationales souvent « plus fortes ». Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande du métal rouge devrait passer de 25,8 millions de tonnes en 2023 à 30,6 millions de tonnes en 2030, si les gouvernements respectent les engagements climatiques qu’ils ont annoncés, ce qui créerait un déficit de 2,2 millions de tonnes.
Le rapport note par ailleurs que coopération entre la RDC et la Zambie peut se décliner en plusieurs axes. Il s’agit en premier lieu de mettre en place une gouvernance conjointe robuste pour le développement du corridor de Lobito. Cela inclut l’harmonisation des politiques de transport, douanières et logistiques, afin de faciliter la circulation des biens et des matières premières entre les deux pays et au-delà (en incluant l’Angola). En travaillant ensemble, les deux pays peuvent aussi créer un cadre juridique et réglementaire transparent qui encourage les investissements.
Kinshasa et Lusaka gagneraient également à faire de la transformation locale de leurs minerais une priorité. Le corridor de Lobito offre un puissant levier pour attirer des investissements industriels et technologiques, surtout si les deux pays œuvrent à développer les infrastructures nécessaires et à former une main-d’œuvre qualifiée capable de répondre aux exigences de ces nouvelles industries.
Et last but not least, la RDC et la Zambie sont appelés à diversifier leurs partenaires internationaux, afin de ne pas être trop dépendantes d’une seule puissance économique. En collaborant avec d’autres acteurs intéressés par minerais critiques comme la Corée du Sud et le Japon par exemple, les deux pays producteurs pourront non seulement accéder à des technologies avancées et à des financements diversifiés, mais aussi mieux négocier les conditions d’exploitation de leurs ressources très convoitées.