Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah est réputé pour sa franchise. Ce jeudi 19 septembre, il a reconnu que les explosions meurtrières de bipeurs et de talkies-walkies attribuées à Israël sont pour son mouvement « un coup sévère et sans précédent dans l’histoire du Liban« . Un aveu marquant pour l’homme le plus puissant du Liban qui appuie sa popularité sur sa résistance à Israël.
Un soutien déterminé à Gaza et au Hamas
Hassan Nasrallah est apparu à la télévision ce jeudi, comme à son habitude : visage rond, barbe grise, coiffé d’un turban noir, le signe porté par ceux qui s’identifient comme les descendants du prophète Mahomet.
Employant comme à son habitude un ton menaçant, il a prévenu qu’Israël recevra « un terrible châtiment« , avant d’ajouter : « Quels que soient les sacrifices, les conséquences, quoi qu’il puisse arriver, nous ne cesserons pas notre soutien à Gaza et le front du Liban avec Israël ne s’arrêtera pas avant la fin de l’agression à Gaza« .
Depuis les attaques terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, Hassan Nasrallah et sa redoutable milice soutiennent le mouvement islamiste palestinien dans sa guerre ou sa résistance, c’est selon, contre Israël.
Cet engagement alimente sa popularité dans les pays arabes de la région. « Avec la souffrance subie actuellement par les Palestiniens, le gouvernement israélien est très largement perçu comme étant le plus sanguinaire, c’est une expression que j’ai pu entendre en discutant avec les gens, commence par nous expliquer Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’UCLouvain. Dans ce contexte, force est de constater qu’il y a un regain de popularité du Hezbollah. Concrètement, à part les Palestiniens eux-mêmes, c’est la seule force politique, militaire, milicienne qui se ‘mouille’ pour les Palestiniens alors que des Etats comme la Jordanie, l’Arabie saoudite ou l’Egypte ne font rien pratiquement au profit des Palestiniens. ».
Un ennemi d’Israël depuis des décennies
Hassan Nasrallah cultive son image d’ennemi farouche d’Israël depuis des décennies. Il a rejoint le Hezbollah dès sa création en 1982. C’était alors avant tout une milice chiite pro iranienne qui résistait à la présence de l’armée israélienne au Liban. En 1992, il prend la tête du mouvement, succédant à son mentor Abbas Moussaoui assassiné par Israël.
Mais c’est en 2000 qu’Hassan Nasrallah gagne le statut de héros national au Liban, le Hezbollah ayant joué un rôle central dans le retrait de l’armée israélienne après plus de vingt d’occupation du sud du Liban.
« En 2000 certainement, confirme Elena Aoun. Et ensuite en 2006 au travers de la capacité du Hezbollah à tenir tête à l’armée israélienne. » Le conflit israélo-libanais de 2006 a duré 33 jours et a montré une nouvelle fois la puissance militaire du mouvement chiite libanais.
Toutefois, la spécialiste des conflits au Moyen-Orient nuance cette popularité. « L’image du Hezbollah a été écornée en 2008 lorsque pour la première fois dans le contexte de post-guerre civile, le Hezbollah a retourné ses armes contre ses opposants politiques au Liban-même. Son image s’est également dégradée au Liban et ailleurs au Moyen-Orient de par sa participation auprès du régime du président Bachar al-Assad à la répression pendant le conflit en Syrie. »
Hassan Nasrallah avec son fils Hadi, mort lors d’une opération contre l’armée israélienne en septembre 1997. © BELGAIMAGE – HANDOUT
Nasrallah, un dirigeant puissant et respecté
Hassan Nasrallah se démarque du reste de la classe politique pour une autre raison encore. C’est sa probité. « Ce bonhomme-là vit en ermite depuis un certain nombre d’années. Ce n’est pas quelqu’un connu pour être corrompu. Il n’est pas là pour ponctionner des ressources. Il a cette réputation d’honnêteté que très peu d’autres dirigeants ont véritablement. En fait, souvent, l’establishment politique libanais dans toute sa diversité ponctionne, alors que le Hezbollah donne. C’est une forme d’Etat-providence. » Le Hezbollah a créé tout un réseau d’institutions sociales qui offrent leurs services à la communauté chiite mais pas seulement. Une action sociale étroitement liée cependant aux activités militaires du mouvement.
C’est une milice qui a la taille d’une armée et qui est quasiment plus puissante que l’armée libanaise.
Sous la houlette d’Hassan Nasrallah, le Hezbollah est devenu une force politique extrêmement puissante au Liban. « C’est une milice qui a la taille d’une armée et qui est quasiment plus puissante que l’armée libanaise. Mais le Hezbollah est aussi le parti dominant de la vie politique libanaise, a affirmé Christophe Ayad, journaliste au quotidien Le Monde dans Matin Première ce jeudi. C’est lui qui donne le ‘la’. C’est lui qui, depuis le milieu des années 2010, décide probablement de qui est Président de la République libanaise, qui est Premier ministre ; c’est lui qui forme des coalitions. Il décide de la politique étrangère de son propre pays puisque c’est lui qui décide de lancer une guerre ou pas contre Israël. C’est véritablement une sorte d’état dans l’État.« .
Après une brève hésitation, Elena Aoun confirme qu’Hassan Nasrallah est l’homme le plus puissant du Liban. Mais avec une certaine nuance. « Dans le jargon universitaire, on appelle ces acteurs-là des ‘acteurs véto’. Il peut empêcher l’élection d’un président mais il ne peut pas imposer un président. C’est triste à dire, mais d’une certaine manière, le Hezbollah est un pôle de stabilité dans un Etat libanais fragilisé. Et c’est terrible de devoir dire cela d’un mouvement qui ne devrait pas exister, qui est issu d’un environnement toxique, qui continue à maintenir un environnement toxique au Liban et dans la région.«
C’est triste à dire, mais d’une certaine manière, le Hezbollah est un pôle de stabilité dans un Etat libanais fragilisé.
Elena Aoun insiste également sur le contexte politique au Liban dont Hassan Nasrallah a su bénéficier. « Souvent on entend que le Hezbollah est un Etat dans l’Etat. Je dirais d’une certaine manière que le Hezbollah est un Etat dans un non-Etat puisque le Liban lui-même est extrêmement fragile et l’ensemble de l’establishment politique fait tout ce qu’il faut pour maintenir cette vulnérabilité.«
Nasrallah, marionnette de l’Iran ?
Reste une question, Hassan Nasrallah est-il une marionnette de l’Iran et le Hezbollah, un jouet aux mains de Téhéran ? Dès sa création, au début des années ’80, le Hezbollah a été soutenu par l’Iran. De tout temps, le mouvement a été financé et armé par le régime des ayatollahs.
De toute évidence les liens entre le Hezbollah et l’Etat iranien sont intenses, mais Elena Aoun appelle une nouvelle fois à la nuance et évite de parler de subordination. « Même aux origines, les activistes, les combattants du Hezbollah ont toujours eu leur propre cause, qui n’est pas uniquement limitée aux désidératas des Iraniens. Je perçois cette relation comme étant une alliance, avec une véritable convergence des intérêts. Et même aujourd’hui, le Hezbollah obéit à son propre agenda, combien même il converge avec celui de l’Iran sur beaucoup de points, sans lui être aveuglément inféodé. ».
Un dirigeant mis sous pression par Israël
Fort de ce rôle social, politique et militaire central, le Hezbollah et son leader, Hassan Nasrallah sont des acteurs majeurs au Liban et au Moyen-Orient. Mais comment va-t-il réagir aux attaques répétées d’Israël. Lors de son discours télévisé ce jeudi, Hassan Nasrallah a rappelé que pour lui, le seul moyen de ramener le calme dans la région « est d’arrêter la guerre à Gaza« . Mais il a promis aussi « un enfer » à l’armée israélienne si elle venait à occuper le sud du Liban.
Quelle forme pourrait prendre cette menace ? Jusqu’où Hassan Nasrallah est-il prêt à aller ? Plusieurs spécialistes du Moyen-Orient excluent le scénario d’une guerre totale entre le mouvement chiite libanais et l’armée israélienne.
« Il n’a pas les moyens de répliquer de manière extrêmement rapide, ni extrêmement forte, d’autant qu’il n’en a pas l’envie, analyse Christophe Ayad. Depuis le début de la guerre à Gaza, le Hezbollah se contente de harceler Israël, avec des effets réels puisqu’il y a 100.000 Israéliens qui ont dû quitter leur foyer dans le nord d’Israël pour s’installer dans le centre et dans le sud du pays, pour se mettre à l’abri des roquettes. Et ça, ça lui suffit. Ce qu’il voudrait, c’est une sorte de harcèlement permanent d’Israël et un affaiblissement. Mais pas une guerre totale. Il sait qu’il a tout à y perdre. Si jamais il utilise ses armes de précision, ses missiles qui peuvent atteindre Tel-Aviv, Jérusalem et même le sud d’Israël, il sait que là, il ouvrirait la porte à une guerre totale dont le Liban ne se remettrait probablement pas. Parce que le Liban n’a pas les moyens aujourd’hui de se reconstruire.« .
Les décombres d’un immeuble dans la périphérie de Beyrouth après une frappe israélienne qui a coûté la vie à deux dirigeants du Hezbollah, ce vendredi 20 septembre. © AFP
La fragilité du Liban est également mise en avant par Elena Aoun qui pointe, en conclusion, l’extrême prudence du chef du Hezbollah jusqu’ici. « En réalité, aujourd’hui, la balle reste dans le camp des Israéliens. C’est Israël qui a un agenda d’expansion du conflit. On l’observe au travers des frappes, du type d’armement mobilisé, du type de cible qu’il est en train de privilégier (Ce vendredi, deux hauts responsables du Hezbollah ont été tués lors d’une frappe israélienne près de Beyrouth, ndlr). Mais la question se pose : si demain, les Israéliens décident de mener des bombardements massifs, si on revoit, par exemple, une tentative de détruire l’ensemble de la banlieue sud de Beyrouth (un bastion du Hezbollah, ndlr) comme on l’a vu en 2006, il y aura peut-être à un moment un seuil à partir duquel la retenue du Hezbollah ne pourra plus être de mise.«
Et Elena Aoun de regretter que « la communauté internationale ne se mobilise pas, d’autant que la demande du Hezbollah est claire : ‘arrêtez le conflit à Gaza et on arrête’. Il n’y a aucune autre condition qui est posée à l’arrêt des actions du Hezbollah. Or la diplomatie, que ce soit sur le Liban ou sur Gaza, est totalement en panne« .