Après un peu plus d’un an de froid entre le Niger et le Nigeria, les deux pays ont décidé de réchauffer leurs relations pour la sécurité du Sahel. Le déplacement d’une délégation de haut rang conduite par le chef d’Etat-major de l’armée nigeriane dans la capitale Niamey, explique la nouvelle donne.
« C’est une rectification de la trajectoire diplomatique et stratégique entre les deux pays frères qui ont bien compris que le péril terroriste constitue une menace quasi existentielle pour chacun d’ entre eux, et bien au-delà, pour tous les États et peuples du Sahel en tant qu’espace géopolitique gangrénée par les logiques criminelles transfrontalières déstabilisatrices », indique Dr Omar BA, Enseigant-chercheur au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) à Paris.
Mercredi dernier en effet, le Nigeria et le Niger ont signé un protocole d’accord visant à renforcer leur coopération sécuritaire, suite à la visite à Niamey du chef d’Etat-major de la défense du Nigeria, le Général Christopher Musa.
Une brouille s’est installée entre les deux pays pendant de longs mois, ceci à cause du coup d’Etat de juillet 2023 au Niger qui a vu l’arrivée au pouvoir des militaires avec à leur tête le Général Abdourahamane Tiani, président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie.
La rencontre de haut niveau entre le chef d’Etat-major du Nigeria, le Général Christopher Musa et son homologue du Niger, le Général Moussa Salaou Barmou, s’inscrit dans le cadre de la normalisation des relations entre Niamey et Abuja.
« Les discussions ont porté sur l’approfondissement des relations bilatérales fraternelles entre le Niger et le Nigeria, ainsi que sur les possibilités de renforcement de la coopération en matière de sécurité », a indiqué le Colonel-major Souleymane Moussa, Chef du Bureau des opérations de l’armée nigérienne dans le communiqué qui a sanctionné la rencontre.
Cette reprise de la coopération entre les deux pays intervient dans le contexte de crise entre la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
Une coopération pour la stabilité et la sécurité du Sahel
Les deux pays ont, selon le communiqué, insisté sur la « nécessité de maintenir et d’étendre la coopération existante, y compris les opérations militaires conjointes, l’échange de renseignement et la coordination tactique »
Les deux pays ont, selon le communiqué, insisté sur la « nécessité de maintenir et d’étendre la coopération existante, y compris les opérations militaires conjointes, l’échange de renseignement et la coordination tactique ».
La prolifération des armes légères a retenu également l’attention des deux chefs d’Etat-major qui s’engagent à collaborer pour la sécurité des frontières entre les deux pays.
« La partie nigérienne a réaffirmé que le Nigeria est universellement connu pour son adhésion aux principes de bon voisinage et qu’il ne serait pas utilisé pour déstabiliser le Niger ou l’un de ses pays limitrophes », a indiqué le communiqué.
Elle a ajouté qu’elle est prête à « reprendre une participation active de coopération en matière de sécurité dans le cadre de la force multinationale mixte, FMM ».
La rencontre de Niamey a permis aux deux hauts responsables des armées des deux pays de convenir de se réunir ultérieurement pour discuter des modalités de la reprise de la coopération bilatérale en matière de sécurité. A cet effet, une invitation a été adressée au Général Moussa Salaou Barmou à se rendre à Abuja dans les jours à venir.
Que représente cet accord militaire pour la sécurité au Sahel ?
Ce rapprochement entre les deux Etats est une grande bonne nouvelle pour la région en proie à des groupes armés qui organisent des attaques contre les pays, selon les experts. Au lieu de se méfier l’un de l’autre, les deux pays vont concentrer leurs énergies sur la sécurité dans tout le Sahel et s’organiser pour enrayer la menace.
Pour l’analyste nigérien Issoufou Boubacar Kado, le problème ne se pose plus. « Le fait que les militaires du Nigeria viennent dire qu’ils ne vont plus se laisser divertir par certaines personnes étrangères au continent, ils vont continuer à renforcer leurs relations économique, diplomatique et sécuritaire avec le Niger. C’est ça l’objet de leur visite, et particulièrement leur relation militaire », indique-t-il. « Le problème est réglé maintenant ».
D’aucuns pensent que ce rapprochement pourrait jeter un coup de froid dans les relations entre les Etats du Sahel. Un avis que rejette M. Kado. Pour ce dernier, les Etats du Sahel n’ont pas de problème avec le Nigeria. « Le protocole, au contraire, renforce l’Alliance des Etats du Sahel », dit-il.
« Les gens ont compris où se trouvent leurs intérêts. Je ne pense pas qu’il y ait de problème pour ça. Actuellement, la Confédération des Etats du Sahel ne peut que se renforcer », ajoute-t-il, soulignant que le Nigeria n’a pas intérêt à avoir des problèmes avec la confédération, le pays de Tinubu étant la locomotive de l’Afrique de l’Ouest sur le plan économique.
« Je trouve que la raison a prévalu, ils sont en train de revenir à la raison », affirme l’analyste nigérien.
Une ouverture pour la CEDEAO et l’AES ?
Le Niger et le Nigeria ont plutôt compris qu’il leur faut cette coopération sécuritaire, diplomatique, judiciaire, socio-économique et géostratégique mutuelle sans laquelle il serait très difficile voire impossible de ramener la paix et de consolider davantage la sécurité et la stabilité mutuelles dans ce contexte de menaces permanentes des groupes armés dans la région.
« En outre, il faut savoir que cette fenêtre d’opportunités est prévue dans les textes régissant l’AES, car cette institution tripartite s’est dite ouverte à coopérer avec les autres États qui le voudraient et en cas d’entente mutuelle ou avec l’un d’entre eux », souligne l’Enseignant-chercheur.
Dans les articles 4 et 5 du traité portant création de la Confédération des Etats du Sahel, il est inscrit que ces Etats pourraient entrer en discussion avec ceux qui le souhaitent pour des coopérations. Et donc pour l’expert, il n’y a aucun risque ou contradiction juridique dans le fond pouvant présenter cette coopération entre le Niger et le Nigeria comme une entrave ou un obstacle pour le Mali et le Burkina Faso.
Les dirigeants de l’AES ont pris l’option d’une rupture diplomatique rejetant tout impérialisme afin de mieux s’entraider. « Sans la solidarité du Mali et du Burkina Faso le régime du Niger aurait pu être envahi et déchu », précise M. BA.
« Donc je ne vois pas une raison quelconque fondamentale à ce stade pouvant déclencher un revirement chaotique préjudiciable à cette coopération tripartite au sein de la Confédération des États du Sahel. Si les deux États avaient émis des réserves sérieuses, je pense que Niamey n’allait pas s’engager avec Abuja en vertu des textes susvisés ».
En tenant aussi compte de l’impératif catégorique du principe de réalité induit par les pesanteurs intangibles de géographie, l’histoire, les similitudes des peuples et cultures communs partagés, nonobstant les frontières statiques post indépendances, Oumar BA pense qu’une nouvelle ère s’ouvre le Niger et le Nigeria.
« Peut-être ceci pourrait constituer le point d’un nouveau départ entre la CEDEAO et l’AES ».
Il reste toutefois prudent quant à l’avenir de cette nouvelle coopération. « La graine est semée, pourvu qu’elle soit arrosée et bien entretenue pour germer et porter les fruits escomptés. S’ils coopèrent sincèrement, ils pourront réussir là où, pris isolément, ils ne pourraient le faire aisément », dit-il.
Le coup d’Etat, la pomme de discorde
Les relations entre le Niger et le Nigeria s’étaient refroidies au lendemain des sanctions décidées par la CEDEAO contre le Niger, suite au coup d’Etat de juillet 2023 qui a renversé le président élu, Mohamed Bazoum. L’institution communautaire avait demandé aux militaires qui ont pris le pouvoir de rétablir l’ordre.
Bola Tinubu, président du Nigeria et président en exercice de la CEDEAO faisait partie de la ligne dure qui n’écartait pas l’option militaire pour chasser les militaires et remettre Bazoum au pouvoir. Les relations étaient quasiment rompues entre les nouvelles autorités militaires nigériennes et celles du Nigeria.
Le Niger a donc rejoint le Mali et le Burkina Faso, également dirigés par des militaires à la suite des coups d’Etat, pour créer l’Alliance des Etats du Sahel. Ces trois pays ont par la suite décidé de leur départ de la CEDEAO qui, depuis quelques mois, les appelle à revenir au sein de l’institution.
Le Niger et le Nigeria étaient déjà en alliance avec le Tchad et le Cameroun au sein de la Force multinationale mixte (FMM) pour lutter contre la criminalité transfrontalière, un organe dont le mandat a été élargi plus tard à la lutte contre les groupes djihadistes qui menacent le Sahel.