Même si elle n’est pas encore confirmée, l’hypothèse de l’entrée en lice de Kamala Harris après le retrait de Joe Biden de la course à la présidentielle change la donne. Elle dispose de nombreux atouts, à commencer par son charisme, mais doit composer avec quelques faiblesses, notamment sur le volet international.
Dès l’annonce du renoncement de Joe Biden à se représenter à la présidentielle américaine, les dons ont recommencé à affluer dans les caisses de campagne démocrates avec quelque 145 millions de dollars récoltés en quelques heures. Le flot s’était presque tari depuis la lamentable performance du président américain lors du débat télévisé le 27 juin face à Donald Trump. La pression pour son retrait depuis n’avait fait que monter. L’espoir d’une victoire est revenu avec la très probable investiture de Kamala Harris le 19 août prochain lors de la convention démocrate.
« La décision a été très difficile pour Joe Biden, mais il n’a fait finalement que mettre en œuvre ce qu’il disait il y a quatre ans, laissant entendre qu’il ne ferait qu’un seul mandat et passerait le relais à sa colistière Kamala Harris », relève Laurence Nardon, responsable du programme Etats-Unis à l’Ifri (Institut Français des Relations Internationales) soulignant qu’il a ainsi finalement tenu promesse. Une décision courageuse saluée aussi bien par les poids lourds du parti que par les électeurs dont quelques centaines s’étaient massées devant la Maison-Blanche brandissant des pancartes « merci Joe ».
Tous rendent hommage à sa décision de mettre fin à une carrière politique exceptionnelle y compris par sa longévité. Tous aussi, comme nombre de dirigeants étrangers, saluent le bilan d’un président qui fut l’un des meilleurs des dernières années à la fois sur le plan intérieur laissant un pays dont tous les voyants économiques au vert et plus encore sur la scène internationale avec notamment son soutien déterminé à l’Ukraine face à l’agression russe.
Une nouvelle donne dans la campagne
L’entrée en lice de Kamala Harris, avant même qu’elle ne soit confirmée comme candidate, crée une nouvelle donne dans la campagne. Face à une candidate de 59 ans aux racines indiennes et jamaïcaines, le ticket républicain composé de deux hommes blancs et conduit par un septuagénaire de 78 ans d’à peine trois ans plus jeune que Joe Biden est l’incarnation d’un monde qui fut et d’une Amérique toujours plus ouvertement conservatrice et bigote. Les projecteurs sont désormais braqués sur le camp démocrate au moins pour plusieurs semaines dans l’attente d’une investiture de l’actuelle vice-présidente qui serait de loin la plus logique même si elle n’est pas encore certaine.
Pour la première fois depuis les années 1970, la convention d’investiture sera ouverte. Les quelque 4 000 délégués élus seront libres de décider qui ils souhaitent pour candidats et non plus tenus par le mandat reçu des primaires puisque Biden se retire. Il y a certes des risques de confusion. Ce sera aussi l’occasion de vastes débats dans un parti qui semblait jusqu’ici endormi et résigné au soutien à Joe Biden depuis l’annonce de sa nouvelle candidature, en 2023, parce qu’il apparaissait, comme quatre ans plus tôt, un point d’équilibre parmi les différents courants démocrates. Il semblait même le seul à même de battre Donald Trump dans un duel semblable à celui de 2020 au grand dam d’une bonne partie des électeurs américains.
Kamala Harris avec le soutien de Joe Biden a une bonne longueur d’avance. Sa candidature est aussi appuyée par des personnalités de poids comme Hillary et Bill Clinton, l’ex-secrétaire d’Etat américain, John Kerry, la figure de la gauche américaine, Alexandria Ocasio-Cortez. Mais l’ex-président Barack Obama s’est contenté d’exprimer sa « confiance » dans son parti pour instaurer « un processus qui permettra l’émergence d’un candidat exceptionnel », sans la mentionner. Elle devra donc s’exposer à la contradiction et conquérir le soutien de son camp.
Une sérieuse menace pour Donald Trump
« Les démocrates n’ont pas l’assurance d’échapper au désastre annoncé mais ils retrouvent quelques chances d’empêcher un retour de Donald Trump à la Maison Blanche », souligne Laurence Nardon. Rien, certes, n’est encore joué face à un Donald Trump investi triomphalement à la convention républicaine de Milwaukee et salué dans son camp comme protégé par la providence divine pour avoir échappé aux balles lors d’une tentative d’assassinat le 13 juillet. Le leader républicain plastronne en clamant que Kamala Harris « est encore plus facile à battre » que Joe Biden. Mais la virulence même de ses attaques montre qu’il prend la menace très au sérieux.
Toujours en quête de surnoms moqueurs pour ses opposants, il a commencé à l’appeler « Kamala l’hilare » (« Laffin’Kamala »), en référence à son rire tonitruant, la décrivant comme « cinglée ». Il écorche son prénom volontairement et les ténors républicains la décrivent comme une gauchiste invétérée, alors même que nombre des démocrates lui reprochent encore une sévérité jugée excessive notamment à l’égard de la petite délinquance quand elle était procureure de Californie. Ce cap à droite toute choisi par Donald Trump qui a rapidement abandonné les accents rassembleurs ébauchés après le choc de l’attentat offre potentiellement un vaste espace politique à la probable candidate démocrate.
Le choix du colistier va être déterminant
L’ex-procureure de Californie devenue sénatrice a pour elle de nombreux atouts à commencer par un charisme personnel qui paraissait évident en 2020 et qu’elle ne sut pas mettre en avant pendant ses quatre années aux côtés de Joe Biden. La vice-présidence américaine est, certes, toujours une fonction ingrate mais elle y fut invisible et même parfois lamentable notamment sur le dossier de l’immigration dont elle fut chargée. Cela lui vaut encore aujourd’hui dans la bouche de Donald Trump l’épithète infamante de « Tsarine des migrants ».
Après l’arrêt de la Cour Suprême laissant les différents états américains libres de décider de la légalité de l’avortement, elle prit fait et cause pour la préservation de ce droit y gagnant une certaine popularité. Néanmoins depuis octobre 2023, Kamala Harris n’a jamais dépassé 40 % de soutien dans les sondages. Elue de Californie, état démocrate par excellence, elle ne suscite guère d’enthousiasme dans le Middle West ni dans la « ceinture de rouille », ces Etats désindustrialisés comme la Pennsylvanie, l’Ohio ou le Michigan, qui feront la décision le 5 novembre prochain. Le choix de son colistier va donc être déterminant. On évoque le gouverneur de Pennsylvanie, Josh Shapiro, ou bien un profil sécuritaire, comme l’ancien pilote de chasse et astronaute Mark Kelly, sénateur de l’Arizona.
Manque d’expérience sur le volet international ?
Le grand point de faiblesse d‘une candidature de Kamala Harris est sa méconnaissance des enjeux internationaux en un moment crucial alors que les Etats-Unis doivent à la fois soutenir Kiev dans sa résistance face à la Russie, monter en puissance en Asie face à un pouvoir chinois toujours plus agressif et éviter un embrasement du Moyen-Orient. Certes, elle peut compter, si elle arrive à la Maison-Blanche, sur l’équipe qui travaillait autour de Joe Biden, et notamment le patron du département d’État, Antony Blinken et le conseiller à la sécurité Jake Sullivan. Mais dans les moments cruciaux, c’est au président de trancher. La longue expérience acquise par Joe Biden vétéran de la guerre froide dans les plus de 40 ans passés à la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants et du Sénat est irremplaçable. Déjà depuis un an, il avait plusieurs fois envoyé Kamala Harris le remplacer dans des réunions internationales de haut niveau, notamment sur la sécurité internationale, pour la préparer au cas où.
Ces rendez-vous vont encore s’intensifier, y compris ces prochains jours avec l’arrivée à Washington du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, invité par le parti républicain à parler devant le Congrès le 24 juillet. Il devrait rencontrer la veille Joe Biden à la Maison-Blanche. Une visite quelque peu embarrassante, alors même qu’il est l’objet d’un mandat d’arrêt pour crime de guerre et crime contre l’humanité émis par la Cour Pénale Internationale de La Haye. Certes les Etats-Unis ne reconnaissent pas cette juridiction mais selon un sondage Gallup de juin, seulement 23 % des électeurs démocrates soutiennent les opérations de Tsahal à Gaza et à peine 12 % ont une opinion favorable du chef du gouvernement israélien. Les jeunes et les minorités sont, sans surprise, les plus critiques. Kamala Harris avait aussi fait entendre – discrètement – sa différence. Le soutien de l’administration Biden à Israël n’en reste pas moins bien réel même si elle presse pour arriver au plus vite à un arrêt du carnage.