Le rapport souligne que le nouveau label de la présence militaire russe en Afrique est obligé de s’aligner totalement sur les intérêts de Moscou, contrairement à la société militaire privée qui opérait avec une certaine autonomie.
Nouveau bras armé de la Russie en Afrique, Africa Corps a tendance à rompre avec le modèle économique du groupe paramilitaire Wagner, qui consistait à créer ses propres entreprises spécialisées dans l’exploitation les ressources naturelles. Il s’appuie sur des compagnies déjà existantes et intensifie de la coopération économique officielle avec les pays où il opère, selon un rapport publié le 23 mai dernier par l’Institut polonais des affaires étrangères (PISM).
Intitulé « Africa Corps – A new iteration of Russia’s old military presence in Africa » (Africa corps-Une nouvelle version d’une ancienne présence militaire russe), le rapport fait remarquer que la mort du fondateur de Wagner, Evgueni Prigojine, dans le crash d’un avion survenu quelques semaines après une rébellion avortée contre le Kremlin, n’a pas affaibli la présence russe sur le continent. Au contraire, cette présence s’est renforcée après la création vers la fin de l’année 2023 d’Africa Corps, une nouvelle structure armée placée sous la tutelle du ministère russe de la Défense qui a repris les opérations de Wagner en Afrique.
La présence militaire russe s’est ainsi étendue au Burkina Faso et au Niger, et probablement au Tchad et à d’autres pays.
Suite à la mort d’Evgueni Prigojine, l’empire Wagner a été divisé entre les différentes composantes des services de sécurité russes comme les renseignements militaires (GRU), le service fédéral de sécurité (FSB) et le service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie (SVR). Ce rattachement à l’Etat de la nouvelle structure armée dédiée aux opérations africaines a donné lieu à une évolution majeure. Alors que Wagner opérait en Afrique avec une autonomie partielle, Africa Corps doit être totalement aligné sur les intérêts de l’État russe.
Cette nouvelle orientation a notamment donné lieu à un changement de position entre les deux généraux qui se livrent une lutte armée pour le pouvoir au Soudan depuis avril 2023. Alors que Wagner a soutenu ouvertement les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) loyales au numéro deux du régime, Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », pour accéder aux ressources aurifères du pays, Africa Corps a choisi l’autre camp. L’organisation a décidé tout récemment de soutenir le général Abdel Fattah al-Burhane en fournissant des armes et des munitions à l’armée régulière en échange d’une base navale sur la mer rouge.
Le rapport souligne d’autre part que le rattachement d’Africa Corps à l’Etat russe a également engendré un changement au niveau de la sphère économique des activités des troupes russes en Afrique. D’abord, l’accès aux ressources naturelles est devenu une motivation affichée plus ouvertement que du temps de Wagner, même s’il est difficile d’estimer l’ampleur des bénéfices que l’organisation en tire, ainsi que le potentiel d’alimentation du budget de l’État russe en excédents.
Une vision à long terme émerge
Sur un autre plan, Africa Corps est en train de s’éloigner du modèle de coopération avec les pays d’accueil mis en place par Wagner, qui reposait sur la création de compagnies minières directement rattachées à la galaxie Prigojine. Le nouveau label de la présence militaire russe en Afrique préfère désormais s’appuyer sur des entreprises minières déjà existantes, et intensifier les relations économiques formelles entre Moscou et les pays africains où il opère.
Au Mali, le conglomérat russe Krastsvetmet a été chargé de la construction de la plus grande raffinerie d’or d’Afrique de l’Ouest qui aura une capacité de production de 200 tonnes par an. Un projet similaire fait également l’objet de discussions entre Moscou et la junte au pouvoir au Burkina Faso.
L’implication de la Russie dans ces projets indique qu’une vision à long terme émerge et cadre parfaitement avec les objectifs des pays africains visant à augmenter la valeur ajoutée du secteur minier en encourageant la transformation locale des minerais.
Les autres manifestations de cette intensification de la coopération officielle sont la signature par l’entreprise publique russe Rosatom d’accords avec le Mali et le Burkina Faso pour la construction d’installations nucléaires civiles et d’une centrale solaire au Mali.
Au Niger, les discussions qui ont eu lieu entre Moscou et les autorités militaires en janvier dernier ont, entre autres, porté sur l’exploitation de gisements d’uranium par des sociétés publiques russes, selon l’influent homme politique nigérien pro-russe Oumarou Abdourahamane. Un éventuel accord dans ce domaine entraînerait une perte de l’accès de l’Union européenne aux gisements nigériens, dont elle tire environ 25 % de son approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires, et constituerait ainsi un succès politique pour la Russie.
Le rapport indique par ailleurs que l’objectif initial déclaré par Africa Corps qui consistait à déployer 20 000 à 40 000 hommes sur le continent semble irréaliste, tout en notant qu’un total de 10 000 contractuels serait un chiffre plus raisonnable et atteignable.
Début mai dernier, le nombre de combattants que la structure armée a déployés dans les pays africains était estimé à près 6000, dont environ 2000 au Mali, plus de 1600 en République centrafricaine, 100 à 300 au Burkina Faso, 100 à 200 personnes au Niger. En Libye, le nombre de combattants est passé de 800 début janvier 2024 à 1800 quatre mois plus tard. Mais on est encore loin de l’objectif initial.