Daouda Ngom, professeur des universités, spécialisé en agroforesterie et non moins président des cadres du parti Pastef, s’est prêté au jeu des questions-réponses avec Le Quotidien. Cette fois-ci, avec lui, l’habit de l’opposant a cédé la place à celui de ministre de l’Environnement. Evoquant les problèmes de transition écologique, l’impact de l’usage des intrants chimiques, sans oublier la question énergétique et le développement, l’homme semble maîtriser son domaine de compétence. Pour autant, le nouveau ministre de l’Environnement et de la transition écologique pense qu’on ne peut «recréer la roue». A cet effet, beaucoup de projets de l’ancien régime vont être renforcés en y apportant une nouvelle touche. Preuve que tout n’était pas mauvais dans le bilan de Macky Sall ? Il y répond. Non sans penser que Macky Sall «était plus qu’un roi. Il s’est permis ce que Mouhamed VI ne peut se permettre au Maroc». La dissolution de l’Assemblée nationale, la reddition des comptes…, Daouda Ngom aborde tous les chantiers du nouveau régime. Sans détours.
» SOURCE LE QUOTIDIEN »
En quoi consiste votre travail quand on sait que l’écologie ne fait pas partie des priorités du gouvernement ?
La transition écologique est très importante. Dans le volet environnemental de notre programme politique, la transition écologique est le 2ème point avec l’efficacité énergétique. Elle est une évolution vers un nouveau modèle de développement économique et social, qui apporte une solution globale et pérenne aux grands enjeux environnementaux. Elle prend en compte tout ce qui est transition énergétique, agroecologie. Nous avons prévu la mise en place d’une Stratégie nationale de transition écologique pour un développement durable. Elle est transversale. Je te donne un exemple : les impacts de l’usage des produits chimiques dans l’agriculture. Ce qui a une conséquence sur les terres, l’air et les eaux. Le nouveau paradigme, c’est de demander aux agriculteurs d’utiliser moins d’intrants chimiques. On parle aussi de transition énergétique.
Le Sénégal a fait énormément d’efforts pour l’énergie renouvelable. On a commencé avec le solaire, mais il y a aussi l’éolienne. On doit répéter ces efforts dans le transport et la construction avec des bâtiments plus éco-responsables. C’est un enjeu majeur que le Sénégal ne peut rater.
Peut-on connaître les grandes lignes de la Stratégie nationale de transition écologique ?
On souhaite développer les investissements dans les énergies renouvelables. Je fais référence au solaire, à l’éolienne et à l’hydraulique. Nous allons renforcer les efforts sur les centrales solaires. C’est l’une des voies privilégiées pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Le deuxième aspect est la promotion des modes de transport propres en accroissant les investissements dans les transports publics durables et résilients. Le Brt est un acquis important. Il permet d’atténuer les impacts du transport sur le climat. Le transport de masse va diminuer l’usage des voitures personnelles. Dans cette stratégie, on parle de soutien à la rénovation énergétique des bâtiments. Car la façon de construire peut contribuer à la diminution ou à l’augmentation de la consommation d’énergie. Et quand on parle de modèle agricole durable, on fait référence à l’agro-écologie. On ne dit dit pas qu’il ne faut pas du tout utiliser les intrants chimiques, mais on souhaite un usage rationnel.
Il faut préciser que les produits chimiques de synthèse ont une conséquence sur l’eau. Par exemple, on utilise beaucoup ces produits dans la vallée du fleuve Sénégal, en même temps nous buvons l’eau du Lac de Guiers.
On veut aussi développer le secteur de la foresterie, car le pays subit une déforestation sans précédent dans sa partie méridionale. Malheureusement, c’est un trafic de bois dans la frontière sénégambienne qui en est la cause. Des efforts sont en train d’être faits, mais cela n’empêche pas la dégradation des forêts de la Casamance alors que le Sénégal n’est pas un pays forestier. Les seules reliques forestières se trouvent en Casamance et dans le Parc de Niokolokoba.
Dans la stratégie, on ambitionne de promouvoir une industrie verte. Cela montre que l’environnement est un domaine transversal. On est obligés de travailler avec les ministères de l’Industrie, de l’Agriculture, de l’Energie, des mines et du pétrole. Nous devons être la boussole des autres ministères. Les nouvelles autorités accordent une importance particulière à l’environnement, et cela nous réconforte.
Pour autant, vous ne figurez pas dans les 5 priorités du gouvernement…
On y figure, parce qu’on est transversal. Vous souhaitez réduire l’usage des intrants chimiques quand on sait qu’une usine de production d’engrais est en préparation, n’est-ce pas paradoxal ?
Dans le bassin arachidier, on utilise très peu d’engrais chimiques. C’est en fonction des zones. On parle d’utilisation rationnelle. Notre agriculture ne peut pas se passer de l’engrais chimique. Par exemple, dans les Niayes, on utilise des pesticides chimiques. Ce sont eux qui sont interdits à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, le Ddd est utilisé dans les Niayes, dans la vallée du fleuve Sénégal. Ils constituent de réels problèmes de pollution. Sur l’usage des engrais, nous avons encore une marge parce que le Sénégal est obligé de développer son agriculture. On ne peut pas s’en passer totalement. Il faut éviter les pesticides interdits à l’échelle mondiale que nous continuons à utiliser surtout dans les zones à fleurs comme les Niayes. Je suis pour l’utilisation rationnelle des intrants chimiques, car ce qui se fait dans certaines zones, c’est un dopage, un forçage des terres. On y utilise trop d’engrais chimiques alors que son usage est normé. Au début, quand on augmente l’engrais, on obtient une plus grande production. Mais quand on atteint ce qu’on appelle la consommation de luxe, cela veut dire que vous continuez à les utiliser mais cela n’influe pas sur les rendements.
Au Sénégal, tout est prioritaire, surtout la création d’emplois alors que le pays n’est pas industrialisé. Doit-on suivre le rythme en voulant faire de la transition écologique au point d’oublier les bénéfices qu’on pourrait tirer d’une industrie ? Est-il même opportun de parler de transition écologique ?
C’est opportun d’en parler. Car l’avenir, ce ne sont pas les énergies fossiles. Non seulement elles sont polluantes, mais elles vont manquer. On est en train de le vivre. Le pétrole devient de plus en plus cher. Il faut aller vers d’autres sources d’énergie. Si on se réveille et que le prix du baril de pétrole atteint les 200 dollars, que va-t-on faire, même si on va être bientôt un pays producteur ? Il faut aller vers d’autres sources d’énergie.
La transition écologique est un atout pour nous. Cela va nous permettre d’éviter les erreurs commises par les pays industrialisés. Il est possible de se développer sans polluer autant notre environnement.
Le Sénégal a eu 30% de mix énergétique, mais avec la découverte du gaz, le pays se prépare déjà à son exploitation. Est-ce que ce projet ne va pas gêner des efforts sur l’environnement ?
30% de mix énergétique ? Ce chiffre me paraît un peu trop. Le solaire ne contribue pas à hauteur de 30% de notre énergie. L’électricité provient en grande partie des énergies fossiles. Je vais vérifier ces chiffres. L’idéal est de dépasser 50%. Nous gagnons à produire de l’énergie renouvelable. Nous gagnons 4429 heures d’ensoleillement en 2023. C’est énorme. Si certains pays développés avaient ce nombre d’heures, ils allaient se passer de l’énergie fossile.
L’investissement à court terme du solaire peut être coûteux, mais tu y gagnes dans le long terme. Il existe au Sénégal des foyers qui sont autonomes en énergie car ils n’utilisent que le solaire. Dans notre programme politique, qui ambitionne de développer le solaire au Sénégal, l’objectif est de faciliter l’investissement au Sénégalais lambda. Au lieu de dépendre de la Senelec pour l’électrification rurale, on doit utiliser le solaire. Il y a beaucoup de villages qui ne sont pas électrifiés. J’habite en milieu rural. Dans la commune de Fissel, sur 21 villages, seuls 14 sont électrifiés. Le solaire est vraiment la piste idéale.
L’ancien régime avait un projet similaire…
On ne réinvente pas la roue. Il y a même une agence. On va essayer de la renforcer, il y a un existant. Le Sénégal n’a pas commencé avec nous, en 2024. Il ne faut pas l’oublier. Nous allons renforcer l’existant tout en apportant notre touche.
«Les pays africains comptent utiliser notamment leurs ressources en gaz naturel comme énergie de transition pour atteindre les objectifs d’accès universel à l’électricité à moindre coût tout en facilitant la création d’emplois», avait soutenu le Président Macky Sall. Votre commentaire là-dessus…
Les hydrocarbures peuvent nous permettre de booster notre industrie. Notre tissu industriel est très faible. On ne peut pas parler d’industrie sans énergie. Il nous faut profiter de cette manne pétrolière et gazière pour développer notre industrie. Au parti Pastef, nous avons un modèle industriel de développement par succession aux importations.
Sans énergie, on ne peut pas développer l’énergie. En 1960, nous avions le même niveau en termes d’industrie que la Tunisie. Aujourd’hui, elle est très loin devant nous. Nous misons sur le secteur primaire pour y parvenir. Et pour développer l’agriculture et la pêche, entre autres, il faut de l’énergie. Effectivement, les productions d’hydrocarbures peuvent être un atout pour nous pour les prochaines années. C’est l’industrie qui peut réduire le chômage. Ce n’est ni la Fonction publique ni l’Administration, c’est le secteur privé.
Parlons de la baie de Hann. Les projets se succèdent mais les résultats sont les mêmes. Quelle sera la solution de Diomaye ?
Il y a un projet qui a été lancé récemment. Il va falloir faire un diagnostic. On a besoin de savoir ce qui a été fait sur la baie de Hann et essayer de réorienter ces projets. C’est vrai que ça fait plus de 20 ans qu’on nous parle de la baie de Hann mais le problème demeure. Il faut une solution pragmatique. Il faut reprendre les projets, les renforcer et tout faire pour arrêter la pollution de la baie de Hann. On va se baser sur ce qui existe déjà.
Il y a un aspect très important, c’est l’éducation environnementale. Si vous essayez de dépolluer et que les entreprises et les populations continuent les mêmes pratiques, ça ne marchera jamais. Il faut discuter avec les entreprises pour arrêter les sources de pollution. Il faut aussi sensibiliser les populations. Car si elles s’approprient la question, ça devient plus facile.
De Yoff à Guédiawaye, le littoral perd 1 à 1, 5 m par an de terrain, selon des chiffres officiels. Qu’allez-vous faire ?
L’érosion côtière est un problème mondial. Avec la hausse des températures à l’échelle mondiale, on constate l’augmentation du niveau de la mer à cause de la fonte des glaciers. Ce qui fait que les pays qui sont en dessous du niveau de la mer rencontrent d’énormes problèmes d’innovations, etc. Le Sénégal n’est pas épargné, surtout sur la Petite-Côte. A Saly, beaucoup d’hôtels ont perdu leur plage. Lutter contre l’érosion côtière, c’est s’attaquer au problème du changement climatique. C’est le point 12 dans le chapitre 10 de notre programme. C’est la lutte contre le changement climatique et ses impacts. Nous envisageons de créer un Centre national de compétences sur ressources du changement climatique. Qui sera une plateforme de dialogue et de renforcement des compétences sur le changement climatique. Nous comptons mettre en œuvre un programme de résilience territoire-climat. Il sera là pour une gestion plus efficace des risques et catastrophes climatiques.
On parle de l’érosion côtière, mais il y a aussi le problème des inondations, de la sécheresse. On doit aussi proposer un système de protection des productions car l’agriculture est liée au climat. Nous avons une agriculture pluviale. Si la pluie diminue, cela aura un impact sur notre agriculture, tout comme sur l’élevage. Nous mettrons en place une facilité nationale sur la finance climatique. Il y a beaucoup de fonds sur le climat. Nous avions la Direction de la transition écologique, du changement climatique et du financement vert. Elle va aider les parties prenantes à avoir accès à ces financements. On va même proposer au gouvernement un fonds souverain sur l’environnement et le climat. Il devra être alimenté par des prélèvements de 5 à 10% sur l’exploitation des ressources naturelles. L’application des responsabilités sociales des entreprises peut aider à alimenter ce fonds.
Propos recueillis par Malick GAYE – mgaye@lequotidien.sn