Les artères de Dakar continuent d’être envahies par de nombreux mendiants, venus de pays de la sous-région à la recherche d’une vie meilleure et de plus sécurité.
Ils sillonnent les trottoirs, squattent les autoponts, les esplanades des mosquées et autres édifices publics de la capitale.
En banlieue comme au centre-ville de Dakar, ces mendiants, majoritairement des femmes, se placent à des endroits où ils sont facilement visibles des passants afin de se faire repérer par des âmes charitables.
A Keur Massar, dans la lointaine banlieue dakaroise, la plupart d’entre eux se mettent devant l’église Saint François d’Assise, sous un autopont et aux abords de la route menant vers Malika.
Aïssata, la trentaine, porte un pagne africain que cache presque entièrement une burka noire qui ne laisse entrevoir que ses yeux.
“Nous avons fui le Niger en raison de l’insécurité, En tant que femmes, nous sommes des proies faciles pour les agresseurs qui n’hésitent pas à abuser de nous, ou à abattre certaines d’entre nous quand l’envie les prend”, confie la jeune femme arrivée à Dakar l’année dernière, avec ses deux filles et son nouveau-né.
Originaire d’un village très reculé du Niger, elle déclare qu’elle ne peut pas toujours compter sur son mari pour la défendre des attaques des groupes armés contre les populations.
A Dakar, Aissata tente de construire une nouvelle vie avec d’autres femmes dans un bâtiment en construction qui leur a été prêté.
Trafic entouré d’omerta
Mais elle est loin d’être la seule femme de son pays à avoir pris la route de l’exil. Comme elle, nombre de ses compatriotes ayant rejoint le Sénégal, l’ont fait pour fuir notamment l’insécurité et la pauvreté.
Et leur parcours ressemble à s’y méprendre à celui des migrants clandestins. La filière est en effet tenue par un réseau de convoyeurs privés qui agissent dans l’omerta le plus total. Ainsi, tout candidat au départ est tenu d’observer la plus grande discrétion pour ne pas courir le risque d’être laissé en rade.
“Un convoyeur privé nous a aidées à effectuer le trajet de Moto Gatta (région de Tillabéri au Niger) à Dakar. Ce n’était pas un chemin direct, on a eu à faire des escales et à monter dans différents véhicules. C’est à lui que mes parents ont payé [les frais du voyage]”, raconte une adolescente nigérienne de quinze ans, qui vit désormais avec ses deux parents au Sénégal.
Elle explique que le convoyeur “a ensuite coordonné avec d’autres gens” les aider à passer la frontière.
La jeune fille, originaire de Windi Boula (près du fleuve Niger), est habillée à la manière de la plupart des filles et femmes qui arpentent les rues de Keur Massar pour faire la manche. Un pagne noué à la taille, le corps presque entièrement recouvert d’une burka de couleurs vives pour certaines et sombres pour d’autres.
La jeune fille, qui s’exprime dans un wolof approximatif, déclare que c’est la pauvreté qui l’a poussée ainsi que sa famille à quitter le Niger.
“Là-bas, nous pouvions rester des jours sans avoir de quoi manger. Mes parents sont pauvres, toute ma famille aussi. Je ne suis jamais allée à l’école à cause de nos ressources financières limitées”, dit-elle.
Elle jure que l’argent ayant servi à payer les frais de son voyage a été collecté auprès de membres de sa famille élargie.
Ce voyage, si l’adolescente et sa famille ont pu se le payer avec de l’argent, il en va différemment pour d’autres, comme Bineta.
Selon cette dernière, les convoyeurs n’hésitent pas à proposer des relations intimes aux candidates au voyage en contrepartie de la prise en charge de leurs frais de voyage, jusqu’à leur arrivée à destination.
Concurrence avec les mendiants sénégalais
Les mendiantes venues de la sous-région ont une astuce bien rodée pour s’attirer la générosité des Dakarois. Elle consiste à poster des enfants de deux à trois ans non loin de l’endroit où elles prennent place afin d’interpeller les passants et de collecter plus facilement l’aumône.
Une pratique loin d’être du goût de certaines mendiantes sénégalaises, comme Maty Thiaw que semble beaucoup déranger la présence massive dans la capitale sénégalaise de ses collègues de la sous-région.
“Elles sont omniprésentes à Dakar. Leur présence envahissante entrave fortement notre activité. Nos gains journaliers se trouvent diminués, car elles ne se contentent pas simplement de mendier, mais envoient également leurs enfants de très bas âge le faire”, fustige-t-elle.
“Les gens sont attendris par eux et ça c’est naturel. Nous, on n’a quasiment plus rien et c’est en grande partie à cause d’elles”, vitupère la quinquagénaire, assise sur un seau en plastique, non loin de l’Institut Islamique de Dakar.
Vivre avec la peur constante de se faire rapatrier
De peur d’être renvoyés dans leur pays d’origine, certains mendiants rechignent à toute discussion sur leur métier, la moindre question sur leur travail réveillant la crainte d’une opération de recensement en vue d’un éventuel rapatriement.
Yama, une Guinéenne accompagnée de son mari non-voyant, vit constamment avec cette peur. Elle confie que c’est parce qu’elle ne parvenait plus à joindre les deux bouts dans son pays, qu’elle a décidé de venir mendier au Sénégal. Selon elle, c’est un pays dont la population, “très généreuse”, fait beaucoup d’offrandes.
En mars 2022, le gouvernement sénégalais, de concert avec les autorités nigériennes, avait procédé au rapatriement d’au moins un millier de mendiants : 478 enfants, 413 femmes et 162 hommes venus de Kantché et Magaria, dans la région de Zinder, au Niger.