Le cacao est le produit agricole coté qui connaît le plus de regain d’intérêt en ce début d’année. Avec les cours qui ont atteint des niveaux sans précédent, la fève brune ne laisse pas indifférent, entraînant une frénésie autour des approvisionnements et suscitant un espoir d’amélioration de la rémunération des planteurs. Toutefois, ces records de prix font émerger plusieurs interrogations sur la demande et la consommation des produits chocolatés à court et moyen terme. Explications.
1. Les niveaux record des prix sur le marché
Depuis le début de l’année, le cacao est la matière première agricole qui a le plus performé sur les marchés, gagnant 56,4 %, soit plus de 2300 $ la tonne en glissement annuel. Après avoir battu au début février, le record de 5379 $ remontant au 2 juillet 1977, les prix du contrat de référence du cacao pour livraison en mars à l’Intercontinental Exchange à New York ont franchi la barre des 6000 $ et atteint un plus haut journalier de 6929 $. Le 26 février dernier, les cours ont clôturé à 6884 $ la tonne. Il s’agit globalement d’une véritable percée pour l’or brun qui seulement un an plus tôt s’échangeait à 2668 $ la tonne.
Cet épisode fait aussi presque oublier les niveaux atteints en mars 2011 avec la crise post-électorale entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. L’inquiétude des marchés sur l’acheminement de l’or brun dans le contexte des combats entre les deux camps avait poussé les cours à 3775 $, le 10 mars, ce qui représentait à l’époque le tarif le plus élevé depuis 32 ans.
2. Quelles en sont les raisons ?
Les causes de la flambée des prix actuels du cacao résident d’abord dans les inquiétudes sur la production mondiale. Selon les estimations du marché, l’actuelle campagne cacaoyère 2023/2024 devrait être encore déficitaire avec 300 000 à 350 000 tonnes de cabosses en moins, ce qui constituerait un 3e épisode consécutif de manque et l’année prochaine pourrait aussi enchaîner un 4e déficit de 135 000 tonnes en 2024/2025.
En Côte d’Ivoire et au Ghana qui pèsent pour 60 % de l’offre mondiale, les problèmes se sont accumulés. Aux pluies intenses qui ont touché les plantations sur le 3e trimestre 2023 ont succédé depuis novembre-décembre, des vents de l’harmattan renforcés par le phénomène climatique El Niño, qui ont limité le développement des jeunes pousses. En Côte d’Ivoire, la production devrait ainsi reculer cette année à 1,8 million de tonnes contre 2,3 millions de tonnes.
Aux pluies intenses qui ont touché les plantations sur le 3e trimestre 2023 ont succédé depuis novembre-décembre, des vents de l’harmattan renforcés par le phénomène climatique El Niño.
Interrogé par l’Agence Ecofin, Ousmane Attaï, expert du cacao indique que la baisse anticipée de la production est aussi liée à d’autres facteurs comme la politique affichée du Conseil du Café-Cacao (CCC) visant à réduire la production depuis 2017, la contrebande vers le Libéria, le déguerpissement des producteurs dans les réserves de forêts classées dans la perspective de la nouvelle réglementation de l’UE, le vieillissement du verger et le Swollen Shoot.
« Depuis 2017/2018, le Conseil du Café-Cacao a limité la distribution des semences de cacao Mercedes à haut rendement. L’ambition était de réduire la production pour améliorer les prix. Dans l’immédiat, on ne pouvait pas observer les effets. Dès lors qu’on a interdit la distribution gratuite aux producteurs de ce matériel végétal amélioré, il fallait s’attendre à une baisse à la longue. Le Swollen Shoot est aussi un fléau et il n’y a pas encore une politique réelle de lutte contre le virus en Côte d’Ivoire, souligne l’analyste.
Au Ghana, la production est limitée par le développement du Swollen Shoot du cacaoyer qui menacerait 200 000 hectares dans le pays. La pathologie pourrait tirer la production vers son plus bas depuis 21 ans.
Au Ghana, la production est limitée par le développement du Swollen Shoot du cacaoyer qui menacerait 200 000 hectares dans le pays. La pathologie pourrait tirer la production vers son plus bas depuis 21 ans, soit 500 000 tonnes selon les estimations les plus pessimistes ou entre 650 000 et 700 000 tonnes pour les estimations optimistes. Quoi qu’il en soit, de nombreuses sources s’accordent à dire que la filière ghanéenne reste dans un état critique. La contrebande vers des pays comme le Libéria et l’exploitation minière illégale touchent fortement la filière faisant déjà perdre 150 000 tonnes de fèves l’année dernière.
3. Qui en profite actuellement ?
Actuellement, la hausse des prix du cacao profite essentiellement aux exportateurs qui ont encore un important stock physique de cacao à placer sur le marché mondial et aux négociants actifs sur les contrats à Londres et à New York.
Du côté des producteurs, la situation n’est pas homogène. Selon les experts, les pays ayant un système de commercialisation libéralisé tireront le plus profit de cette situation. Avec la flambée des prix, les pays exportateurs pourront engranger plus de recettes à travers leur vente sur le marché. Parmi les pays les mieux positionnés figurent l’Équateur, l’Indonésie, le Nigeria et surtout le Cameroun. Dans ce dernier pays, premier fournisseur d’Afrique centrale, le prix du cacao a déjà subi plusieurs ajustements à la hausse.
Les tarifs rapportés entre le 15 et le 19 février 2024 par Investir au Cameroun se situaient entre 3100 et 3300 Fcfa en moyenne dans le Centre et l’Ouest. Cela représente près du triple du tarif appliqué en Côte d’Ivoire et inscrit les planteurs camerounais parmi les mieux rémunérés au monde.
Si vers la fin janvier, le kilogramme coûtait 2730 Fcfa dans la région Est du Cameroun, les tarifs rapportés entre le 15 et le 19 février 2024 par Investir au Cameroun se situaient entre 3100 et 3300 Fcfa en moyenne dans le Centre et l’Ouest. Cela représente près du triple du tarif appliqué en Côte d’Ivoire et inscrit les planteurs camerounais parmi les mieux rémunérés au monde.
4. Quels impacts sur la transformation et la demande en produits chocolatés ?
La hausse des prix du cacao a suscité depuis l’année dernière de nombreuses inquiétudes du côté des professionnels de la confiserie et des broyeurs de cacao. Sur le dernier trimestre 2023, les dernières données de broyage relayées par l’Icco indiquent que les volumes traités ont reculé respectivement de 2,5 % en Europe, 8,4 % en Asie et 2,9 % en Amérique du Nord.
Ce faible repli s’explique selon les analystes par le recours des transformateurs aux stocks existants de fèves brunes accumulés lorsque les cours étaient plus bas. Les fabricants de chocolat s’appuient en effet sur les marchés futurs pour se protéger du risque de hausse des prix et payent à l’avance du cacao sur 6 à 9 mois.
De fait, l’évolution dans les prochains mois des stocks des entreprises de confiserie comptera dans le délai d’ajustement des prix de vente au détail des barres de chocolat à ceux du cacao brut. Quoiqu’il en soit, les observateurs s’accordent sur le fait qu’une augmentation des tarifs du chocolat pourrait être préjudiciable pour la consommation.
Quoiqu’il en soit, les observateurs s’accordent sur le fait qu’une augmentation des tarifs du chocolat pourrait être préjudiciable pour la consommation.
Après plusieurs années de croissance tirée par les prix bas du cacao, la demande pourrait ainsi entrer dans une phase plus modérée avec la réduction du pouvoir d’achat lié à l’inflation et une plus grande sensibilité à la variation du produit.
Selon les données de Euromonitor relayées par Bloomberg, les prix du chocolat ont déjà grimpé de 17 % aux USA sur les deux dernières années. Plus globalement en Europe et en Amérique du Nord, des données recueillies pour Reuters par l’institut d’études de marché Nielsen, les consommateurs d’Europe et d’Amérique du Nord ont subi des appréciations de prix des produits chocolatés d’environ 20 % entre 2021 et 2022.
Selon certains analystes, plutôt que de procéder encore à des hausses de prix, les chocolatiers peuvent réduire la teneur en cacao de leurs produits de chocolat pour atténuer l’impact de l’augmentation des coûts de la matière première cacaoyère dans leurs produits et pouvoir ainsi continuer d’offrir des produits chocolatés à un prix abordable. Une hypothèse déjà écartée par Nestlé, fabricant des barres chocolatées KitKat. « Nous avons une longue histoire dans le domaine du cacao et des produits aromatisés au cacao… modifier les recettes et les profils de saveurs parce que les prix du cacao ont augmenté serait, à mon avis, une erreur. Ce n’est qu’une variation supplémentaire du coût des matières premières à laquelle nous devons faire face», a confié à Reuters, Mark Schneider, directeur général du géant suisse.
En attendant, certains tirent déjà la sonnette d’alarme. Hershey, un des plus gros acteurs de l’industrie du chocolat a indiqué s’attendre à un recul de la croissance de ses bénéfices cette année après une baisse de ses volumes de vente de 6,6 % sur le 4e trimestre 2023.
5. Jusqu’à quand les tensions pourraient durer sur le marché ?
Selon les observateurs, les tensions sur le marché sont parties pour durer au moins jusqu’à l’arrivée de la nouvelle récolte en octobre prochain. Alors que les prix ne cessent de progresser, jour après jour, certains pronostiquent à court terme, le franchissement de la barre des 7000 $ dans les prochaines semaines. La persistance du temps sec et des fortes températures dans plusieurs zones de production en Côte d’Ivoire continue d’alimenter les craintes sur l’état de la petite traite qui débutera d’ici avril prochain et sont de nature à entretenir les inquiétudes du marché.
S’exprimant à l’Agence Ecofin, Paul Joules, analyste à la Rabobank indique que si par le passé les épisodes de forte hausse ont été suivis par des baisses marquées, les problèmes touchant les filières ouest-africaines sont de nature système systémique, ce qui pourrait soutenir les tarifs.
« On pourrait observer des prix élevés du cacao encore sur les 18 à 24 prochains mois. Cependant, la baisse des ventes de chocolat pourrait empêcher les tarifs du cacao brut d’atteindre des niveaux exagérés. La demande pourrait s’effondrer d’autant plus que le pire reste en venir en termes de prix de vente au détail pour les consommateur », souligne l’analyste.
Du côté de la production, la hausse des prix mondiaux et leur transmission vers le bas de la chaîne au niveau des producteurs devrait stimuler à court terme les investissements dans les engrais et produits phytosanitaires et améliorer la productivité dans de nombreux pays comme l’Équateur, le Cameroun ou encore le Nigeria.