Un rapport souligne que l’essor du marché mondial du cannabis offre des possibilités pour les Etats africains d’en tirer des recettes fiscales conséquentes et de nouvelles opportunités pour les investisseurs et les exploitants.
Alors que la légalisation du cannabis gagne du terrain à travers le monde depuis près d’une décennie, après une longue période de politiques restrictives, l’Afrique dispose du potentiel nécessaire pour devenir l’une des zones pivots pour l’approvisionnement mondial en produits issus de cette plante aux multiples usages, selon un rapport publié en novembre dernier par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « L’Afrique peut se positionner sur un marché mondial du cannabis en pleine croissance », le rapport précise que le cannabis est la drogue la plus consommée dans le monde. Plusieurs parties de cette plante sont utilisées, surtout la fleur et les feuilles qui une fois séchées portent une diversité de noms, dont « marijuana », « ganja », « herbe » ou « chanvre ».
A côté de ces produits, figure la résine de cannabis issue des sécrétions concentrées de la plante, communément appelée haschisch dans le monde occidental. Une autre catégorie de dérivés de la plante psychotrope est l’huile de cannabis ou huile de haschisch obtenue grâce à l’extraction ou à la distillation des parties de la plante à fortes teneurs en tétrahydrocannabinol (THC), une substance chimique responsable des effets hallucinogènes, stimulants et euphorisants.
Le cannabis possède plusieurs propriétés singulières dans la famille des plantes psychotropes. A l’inverse de l’héroïne ou de la cocaïne, il est presque impossible de faire une overdose de cannabis. En outre, le cannabis est beaucoup moins addictif que d’autres substances comme l’alcool, le tabac, la cocaïne et l’héroïne. Il est également de plus en plus utilisé à des fins thérapeutiques, notamment dans les domaines du traitement des crises d’épilepsie, de la diminution des effets secondaires de la chimiothérapie, de l’atténuation des symptômes de spasticité de la sclérose en plaques et des douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies conventionnelles.
En Afrique, le cannabis a été introduit au début du 16è siècle depuis l’Asie du Sud. Depuis, sa culture s’est généralisée à toutes les sous-régions. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), au moins 43 pays africains produisaient du cannabis en 2005. Globalement, le continent est le premier fournisseur mondial du produit. D’après la société britannique de consulting Prohibition Partners, le continent fournit en moyenne 38 000 tonnes de cannabis par an. Sur le plan de la répartition de l’offre, c’est le Maroc qui domine, avec l’essentiel de sa récolte qui est transformée en résine de cannabis. Le royaume chérifien serait le plus gros producteur de résine du monde devant l’Afghanistan, le Liban, l’Inde et le Pakistan.
Un essor fulgurant attendu durant les prochaines années
Mis à part le Maroc, l’Egypte en est aussi une place forte de la culture du cannabis en Afrique du Nord. En Afrique australe, la culture s’étend dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Lesotho, le Zimbabwe, le Swaziland et la Zambie alors que du côté de l’Afrique de l’Ouest, le Nigeria, le Ghana et le Sénégal sont les leaders de l’offre.
Du côté de l’Afrique de l’Est, l’ONUDC signale une culture de cannabis à une échelle relativement importante au Kenya, ainsi que des cultures de moindre ampleur dans des pays comme le Malawi et la Tanzanie.
La drogue douce est également largement consommée en Afrique. L’ONUDC estime que le continent comptait 53,6 millions de consommateurs en 2021, ce qui en fait la troisième zone consommatrice derrière les Amériques et l’Asie.
Au-delà de la production et de la consommation locale, le cannabis présente d’énormes opportunités économiques pour le continent alors que la plante psychotrope bénéficie de plus en plus d’un retour en grâce à travers le globe à la faveur d’un mouvement de libéralisation irréversible et du développement de ses usages dans le domaine médical.
Selon les cabinets Arcview Market Research et BDS Analytics en 2020, les ventes sur le marché légal du cannabis ont augmenté de 46% en 2019, à 14,8 milliards de dollars. Mieux : ces ventes devraient atteindre 47 milliards de dollars d’ici 2025.
D’autres firmes s’attendent à un essor fulgurant du marché durant les prochaines années. Ainsi, Statista estimait en 2019 que le marché du cannabis légal devrait grimper à 63 milliards de dollars en 2024 alors que Barclays prévoit une valeur de 272 milliards de dollars en 2028.
Ces perspectives favorables du marché sont d’abord tirées par le segment du cannabis médical qui représente la branche la plus dynamique de l’industrie.
Sur le marché du cannabis à usage récréatif, l’engouement reste aussi fort même si l’environnement réglementaire est plus restrictif que celui du marché à usage médical.
En Afrique, la plupart des légalisations nationales se caractérisent toujours par leur sévérité, mais on peut percevoir une certaine évolution avec plus d’une dizaine de pays qui ont tôt fait d’adopter des politiques volontaristes pour tirer profit des opportunités du marché. Il s’agit, entre autres, du Lesotho, du Maroc, du Zimbabwe, de l’Afrique du Sud et du Rwanda.
Le rapport élaboré par notre confrère Espoir Olodo indique d’autre part que l’essor du marché mondial du cannabis présente des opportunités pour l’ensemble des parties impliquées dans l’industrie sur le continent.
Pour les gouvernements, un cadre réglementaire plus tolérant permet de générer de nouvelles ressources fiscales liées à l’imposition du cannabis. La dépénalisation de la consommation permet aussi aux pays d’économiser les recettes qui auraient pu aller à la mise en œuvre de politiques de répression et de prohibition dont l’efficacité est largement contestée. La légalisation du cannabis peut aussi stimuler une industrie pharmaceutique basée sur les produits dérivés du cannabis et réduire la facture des importations de médicaments dans le traitement de certaines affections.
Eviter la marginalisation des acteurs locaux
Le marché offre également des opportunités d’affaires pour les entreprises et les investisseurs privés du continent qui veulent s’engager dans la production, la distribution ou encore la transformation du cannabis sous toutes ses formes. En Afrique, le marché du cannabis légal et illégal a été estimé par le cabinet New Frontier Data à 37,3 milliards de dollars en 2018. Si cette somme ne représente que 11% du gâteau mondial évalué à 344 milliards de dollars, l’industrie est toutefois en plein développement. D’autant plus que le prix d’un millilitre d’huile de cannabis sur le marché mondial peut atteindre 100 dollars alors que le prix des fleurs varie entre 2 et 4 dollars par gramme.
Par ailleurs, une dépénalisation aussi bien de la production que de la commercialisation de la plante et de ses dérivés permettrait aux exploitants africains d’améliorer leurs revenus et d’envisager des investissements à long terme dans le développement de leur production à plus grande échelle. Au Maroc par exemple, le gouvernement estime que les exploitants pourraient percevoir 12% du chiffre d’affaires total de l’industrie légale du cannabis contre 4% dans le circuit illégal.
Avec l’essor attendu du marché du cannabis, les principaux risques auxquels pourraient faire face les acteurs du secteur en Afrique sont la monopolisation de l’industrie par les grandes compagnies étrangères, la lenteur de l’évolution du cadre institutionnel et réglementaire, le niveau élevé de taxation du cannabis médical, les barrières liées aux traditions et aux croyances religieuses et les besoins élevés en intrants et en pesticides pour la culture moderne sous serre. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que le développement du marché du cannabis sur le continent durant les prochaines années sera fortement conditionné par la capacité des pouvoirs publics à relever plusieurs défis qui tourneront autour de cinq questions cruciales : la fixation d’un niveau optimal de taxation publique ; la définition de la place des acteurs locaux dans l’industrie à travers l’octroi accès préférentiel aux licences ; la stabilité du cadre réglementaire et institutionnel ; l’encadrement de la consommation récréative par le biais de l’interdiction de la vente aux mineurs et la sensibilisation des usagers sur la nature des produits ; et enfin l’adoption d’un modèle de régulation basé sur un équilibre entre les activités des opérateurs privés et le contrôle par l’Etat de la production, de la distribution, de la vente.