Suite au report de l’élection présidentielle, des échauffourées se sont produites un peu partout à Dakar. Des évènements qui ont paralysé une bonne partie de l’activité économique du pays.
Il est 15 h, Grand Yoff. En ce début d’après-midi, le soleil darde intensément ses rayons sur le marché animé. Les vendeurs à la sauvette pullulent sur les trottoirs exigus, rendant la circulation quasi impossible pour les passagers qui tentent tant bien que mal de se frayer un chemin entre les étals disposés le long de l’accotement de la route centrale du marché. Le vrombissement des moteurs des véhicules passant sur cet axe fréquenté et les sons préenregistrés des hauts parleurs tournant en boucle rythment l’ambiance des lieux.
En dépit de cette animation bigarrée du marché, les commerçants trouvés sur place n’affichent pas la mine des beaux jours. Depuis l’annonce du report de la présidentielle ayant occasionné des échauffourées, les clients se font rares, ralentissant considérablement leur activité, constatent plusieurs commerçants rencontrés.
Dans une des ruelles passantes du marché, se trouve une boutique investie par un groupe de commerçants. Ils discutent dans une ambiance bon enfant, en prêtant une oreille attentive à la radio fixée au plafond distillant les dernières informations politiques. Derrières ces visages pleins d’entrain, se cache un sentiment d’amertume et de désolation. C’est le cas de Mame Balla Ndiaye. Ce jeune vendeur d’accessoires est manifestement écœuré par cette situation et considère que c’est « l’hydre du mal qui se renouvelle ». Il affirme ne pas voir l’ombre d’un client depuis ce matin. « J’ai fermé ma boutique pour venir discuter avec mes amis commerçants. Depuis ce matin, je n’ai reçu aucune visite de la part de mes clients habituels », lâche-t-il, sans tiquer en montrant du doigt toutes les boutiques fermées se trouvant le long de la ruelle, peu bondée de monde. « Bon nombre de commerçants n’ont pas ouvert leur commerce, de peur que des manifestants ne les pillent. Je pense qu’ils ont raison, c’est hyper risqué d’ouvrir sa boutique dans ce climat d’insécurité. Je n’aurais pas dû venir aujourd’hui. Tout ce temps perdu, c’est de l’argent », ajoute le jeune commerçant en tortillant la barbe.
Manque à gagner
Confortablement assis devant le comptoir, le propriétaire de la boutique, embouche la même trompette. Ibrahima Lo soutient que son commerce est fortement impacté par le climat d’insécurité qui règne à Dakar, depuis un certain temps.
« Les clients ne vont pas prendre le risque de sortir. Moi aussi, je ne peux pas prendre le risque d’exposer mes produits qui ont une certaine valeur marchande. C’est vraiment irritant, mon commerce est gage de ma survie économique », déclare le vendeur sur un ton lugubre.
Le commerce en ligne et le transfert d’argent impactés
Au coin de la ruelle se trouve une autre boutique peu fréquentée, le propriétaire, Khadim Cissé, met de l’ordre dans son magasin bien garni. Le commerçant s’active principalement dans la vente en ligne. Mais, son activité est quasi au point mort, depuis qu’internet mobile a été suspendu. « Je ne peux pas travailler sans internet. J’expose tous mes articles à travers l’application WhatsApp, Instagram entre autres », explique le commerçant. « Vous voyez ce sac, c’est un colis que je devais livrer à Keur Massar. Malheureusement, les motos ne circulent pas aujourd’hui, à cause des contrôles policiers corsés. Il m’est impossible de travailler dans ces conditions. En temps normal, je me retrouvais avec 60.000 FCfa voire plus, mais en de pareilles circonstances, je me retrouve avec 15.000 tout au plus », avance Khadim Cissé.
Juste en face du magasin de Khadim, se trouve un point de transfert d’argent. Les agents trouvés sur place discutent dans une atmosphère lénifiante. « Les usagers ne peuvent pas faire de transferts d’argent à cause l’interruption de la connexion des données mobiles », lâche Ousmane, les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur. Il affirme que la plupart des banques avec lesquelles il travaille ont fermé leurs portes à cause des manifestations.
Même situation du côté des transporteurs
Une myriade de voitures est garée devant la pharmacie de la Patte d’oie, une silhouette à la dégaine rapide se faufile entre les taxis « clandos » en tenant à la main un bout de papier sur lequel il note soigneusement l’ordre d’arrivée des taxis. Abdoulaye est le rabatteur du garage, il s’active à indiquer aux passagers les voitures qu’ils doivent prendre. « Certains véhicules desservent Ouakam, il y en a aussi pour d’autres localités », renseigne Abdoulaye, qui scrute l’arrivée des passagers, qui, selon lui se font de plus en plus rare en ce début d’après-midi. « Beaucoup de clients ont peur de sortir de chez eux. Tous ces conducteurs attendent la venue des clients pour remplir leurs voitures. On peine à voir des passagers, à cause de la situation instable du pays », se désole le rabatteur.
A un jet de pierre des « clandos », se trouve un point de regroupement de motos-taxis. Les conducteurs assis sur leurs bécanes braquent leurs regards sur les voitures qui passent. Parmi cette flopée de conducteurs, Ismaëla Ndour, jeune étudiant en informatique, qui s’est mué en conducteur, juge exaspérante la situation actuelle qui est, selon lui, exacerbée par les contrôles policiers « corsés ». « J’ai enfourché ma moto depuis ce matin, et je n’arrive pas à dénicher de clients. Pour le moment, je n’ai gagné que 2.000 FCfa », affirme le jeune conducteur, qui souligne que beaucoup de conducteurs n’ont pas sorti leurs motos de peur d’être rackettés par les caïds qui se mêlent aux foules austères. Nonobstant le climat d’insécurité instauré par le report de la présidentielle, les commerçants espèrent un retour à la normale de leurs activités.