Le rapport souligne que la quantité de poissons utilisée pour produire l’huile servant à nourrir les saumons dans les fermes aquacoles au Norvège aurait pu répondre aux besoins annuels de 2,5 à 4 millions de personnes en Afrique de l’Ouest.
L’industrie norvégienne du saumon d’élevage entraîne une perte des moyens de subsistance et des problèmes de malnutrition en Afrique de l’Ouest en privant les populations locales d’énormes quantités de poissons sauvages, selon un rapport publié le 10 janvier par l’ONG Feedback Global et une coalition d’organisations ouest-africaines et norvégiennes.
Intitulé « Blue Empire : How the Norwegian salmon industry extracts nutrition and undermines livelihoods in West Africa », le rapport précise que les entreprises spécialisées dans la production du saumon d’élevage, dont la majorité sont basées au Norvège, extraient près de 2 millions de tonnes de poissons sauvages chaque année pour nourrir les saumons en élevage, selon des données relatives à l’année 2020. Ces volumes considérables représentent environ 2,5 % des captures mondiales de pêche marine.
Une bonne partie de ces poissons sauvages est capturée dans la zone de pêche 34 de l’Atlantique Centre-Est définie par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (« FAO 34 »), une zone située au large de la côte ouest de l’Afrique et qui s’étend du détroit de Gibraltar jusqu’à l’embouchure du fleuve Zaïre. Il s’agit de poissons largement consommés dans la région, tels que l’anchois, la sardine, le sprat et le hareng, le reste étant constitué de poissons essentiels à l’écosystème marin, comme le lançon.
La majorité de ces petits poissons très nutritifs sont transformés en huile de poisson, un ingrédient clé de l’alimentation des saumons d’élevage, ainsi qu’en farine de poisson.
Feedback Global et ses partenaires ont calculé que la quantité de poissons utilisée pour produire l’huile servant à nourrir les saumons dans les fermes aquacoles au Norvège aurait pu répondre aux besoins annuels de 2,5 à 4 millions de personnes en Afrique de l’Ouest.
Divulguer les sources d’approvisionnement
Le rapport souligne également que la baisse des stocks des poissons ciblés menace les moyens de subsistance des acteurs du secteur de la pêche artisanale comme les pêcheurs, les transformateurs et les poissonniers. Le déclin des populations de poissons dans la région alimente les tentatives d’émigration clandestine vers l’Europe et les catastrophes humaines qui les accompagnent.
L’épuisement des ressources halieutiques dans les zones de pêche traditionnelles favorise aussi les migrations des pêcheurs entre les États côtiers de la région, qui peut être une source de conflits entre les pays.
Les principaux responsables de cette situation sont les quatre géants de l’alimentation animale, MOWI, Skretting, Cargill et Biomar, qui fournissent près de 100% des aliments utilisés par les producteurs norvégiens de saumon d’élevage.
Pour satisfaire l’appétit vorace de l’aquaculture mondiale pour les poisson sauvages, l’industrie de la farine et de l’huile de poisson s’est développée en Afrique de l’Ouest ces dernières années. Au cours des dix dernières années, le nombre d’usines de farine et d’huile de poisson (Fish meal and fish oil/FMFO) est passé de 5 à 49 dans la région.
Malgré les engagements publics en matière de durabilité, l’adoption par les producteurs de saumon d’aliments alternatifs pour remplacer les poissons sauvages reste marginale. Dans ce contexte, l’ambition affichée par la Norvège de plus que tripler la production de saumon d’ici 2050, à 5 millions de tonnes, pourrait augmenter considérablement la demande de poissons sauvages provenant des côtes ouest-africaines.
Le rapport recommande au gouvernement norvégien de stopper la croissance du secteur du saumon d’élevage, d’exiger une transparence totale dans la chaîne d’approvisionnement des producteurs locaux et de s’assurer que les objectifs de développement durable ne soient pas compromis.
Les acteurs industriels du secteur, dont les producteurs de saumon et les fabricants de farine et d’huile de poisson, sont, quant à eux, appelés à divulguer de manière transparente leurs sources d’approvisionnement et à cesser de s’approvisionner dans des zones où le niveau d’insécurité alimentaire est élevé.