Alors que les océans pourraient contenir plus de plastiques que de poissons d’ici 2050, scientifiques et militants s’associent pour la préservation des océans et rappellent l’importance d’agir à la racine du problème en réinterrogeant nos façons de façon de produire, consommer et recycler le plastique à terre.
Le constat est accablant. Chaque année, entre 9 et 14 millions de tonnes de plastiques sont déversées dans les océans. D’ici 2050, ces derniers pourraient même contenir plus de plastiques que de poissons, alerte la fondation Ellen MacArthur. Face à ces chiffres gargantuesques, les projets se multiplient pour nettoyer les océans. Sur les plages, on ne compte plus les initiatives citoyennes pour ramasser les déchets plastiques qui s’y accumulent. En mer, des projets comme celui de l’association hollandaise Ocean Cleanup visent, eux, à récupérer les déchets directement dans les océans, notamment grâce à un système de filet tendu entre deux bateaux.
Des initiatives louables face à l’impact des déchets plastiques sur la biodiversité marine et les animaux marins, mais qui ne peuvent pour autant constituer une réponse pérenne et efficace à la pollution plastique des océans, explique Henry Bourgeois-Costa, directeur des affaires publiques à la Fondation Tara Océan. « Dans le milieu océanique, plus de 90 % des plastiques font moins de 5 mm, c’est-à-dire qu’ils sont à l’état de microplastiques, entame l’expert dans le domaine de l’économie circulaire et de la pollution plastique pour La Relève et La Peste. Que ce soit en terme de coût économique ou de temps, il serait impossible de passer les océans à la passoire pour tenter de les récupérer. » Et de renchérir : « Il ne serait même pas certain que ce soit souhaitable, puisqu’on pourrait perdre des composantes essentielles pour la biodiversité. ».
Agir « là où on peut avoir un impact réel »
Ces microplastiques, la Fondation Tara les étudie depuis près de quinze ans grâce aux expéditions scientifiques qu’elle mène avec la goélette Tara. Lancée en 2019, la mission « Tara Microplastiques » a notamment permis de remonter aux sources des principaux fleuves d’Europe afin d’identifier les sources de pollution plastique et d’analyser leur impact sur la biodiversité.
« Les résultats de la mission ne sont pas encore publiés, mais ce qui est sûr, c’est qu’on sait désormais que ces fleuves européens ne sont pas plus vierges de microplastiques que les océans, détaille Henri Bourgeois-Costa. Cette pollution invisible est partout. »
Ce constat posé, la réponse prônée par la Fondation Tara Océan est sans appel : pour lutter contre la pollution plastique des océans comme des fleuves et la présence massive de microplastiques, les solutions sont à terre. « Il faut qu’on agisse là où on peut avoir un impact réel, poursuit Henri Bourgeois-Costa, c’est-à-dire en agissant directement sur nos manières de produire, consommer et recycler les plastiques, avant qu’ils n’arrivent en mer. »
Partager des exemples innovants de gestion du plastique
Un constat partagé par l’association Plastic Odyssey. Fondée par Simon Bernard, Alexandre Dechelotte et Bob Vrignaud, l’association lutte contre la pollution plastique en mer grâce à un dispositif singulier : son navire laboratoire. Depuis l’année dernière et pour encore deux ans, celui-ci fait escale dans les trente villes côtières du globe les plus touchées par la pollution plastique afin de rencontrer les acteurs locaux et discuter des meilleures façons de gérer la production, la consommation et le recyclage des déchets plastiques à terre.
« Nos escales durent environ trois semaines, développe Alexandre Dechelotte pour La Relève et La Peste. Pour le moment, nous sommes allés dans plusieurs pays méditerranéens, en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine. Notre bateau suscite beaucoup de curiosité, ce qui nous permet de créer des échanges extrêmement riches entre des acteurs locaux qui travaillent tous à leur échelle à valoriser les déchets plastiques. »
En Colombie par exemple, l’équipage du navire a été particulièrement marqué par ses échanges avec Javier Chia, qui travaille à remplacer les matériaux de construction traditionnels tels que le béton et le bois par des planches de plastique.
béton et le bois par des planches de plastique.
« Des petites maisons ont été construites grâce au plastique, qui ressemble à s’y méprendre à du bois, s’enthousiasme Alexandre Dechelotte. Ce projet fait partie des initiatives très inspirantes qu’on s’attelle à partager lors de nos différentes escales. Notre idée, c’est vraiment de transmettre et de faire circuler les savoirs partout où on va pour agir à l’origine du problème et permettre, à terme, une meilleure préservation des océans. »
« En tant que citoyens, nous avons du pouvoir »
Alors que le navire de Plastic Odyssey passe actuellement l’hiver au Panama, l’équipage reprendra ensuite la mer pour rejoindre, in fine, le continent asiatique où « il y a énormément d’enjeux de réduction du plastique », souligne Alexandre Dechelotte. La Fondation Tara Océan s’apprête, elle, à dévoiler dans les prochains mois les résultats de la mission « Tara Microplastiques » afin d’orienter les mesures à prendre pour mieux protéger les océans.
« Il y a des portes de sortie à la crise, insiste Henri Bourgeois-Costa. Les actions citoyennes de ramassage de déchets sont importantes et si elles peuvent éviter ne serait-ce que la mort d’un dauphin étouffé, c’est déjà une victoire. Mais là où ça se joue vraiment, c’est à l’échelle politique, poursuit le directeur des affaires publiques de la Fondation Tara Océan. Il faudrait par exemple un cadre réglementaire plus strict pour encadrer la production de plastique. Et pour ça, il ne faut pas oublier qu’en tant que citoyens, nous avons du pouvoir. Jusqu’à preuve du contraire, nous sommes encore en démocratie. On peut donc agir en faisant pression sur nos élus, en soutenant les associations, en changeant nos modes de consommation. Notre pouvoir, il faut qu’on s’en serve. »