Venus des villages ou des familles pauvres pour bénéficier de l’aide d’un parent plus ou moins aisé en ville, ils sont nombreux ces enfants et adolescents qui subissent des maltraitances dans des familles d’accueil à Conakry. Punitions sévères, viol, travail forcé…Des faits graves qui relèvent parfois de la traite des personnes et qui constituent le lot de ces enfants se voyant privés des droits, même les plus élémentaires. Guinéenews a mené une enquête sur ces victimes de l’adoption coutumière.
En Guinée, la pratique admet qu’un enfant sans parents ou ayant des parents pauvres soit confié à un membre de la famille pour s’en occuper comme le sien. Il y a certes de nombreux cas de prise en charge adéquate, mais dans de nombreux autres cas, les adoptants refusent ou ne peuvent pas subvenir aux besoins matériels et sociaux de l’enfant, exposant celui-ci à toutes les vulnérabilités. Qui va sauver ces enfants ? La pratique se déroulant en dehors de tout cadre légal, seuls quelques cas graves attirent l’attention de la police, des ONG et de la presse.
L’adoption est pourtant légalisée en Guinée. Mais les textes qui l’encadrent restent largement méconnus. Conséquence : l’adoption coutumière est presque la seule qui est connue et pratiquée par les populations. « La loi reconnaît deux modes d’adoption en Guinée. Elle peut être plénière ou simple », explique le juriste et consultant Alpha Oumar Diallo.
« L’adoption est plénière lorsqu’elle crée, par l’effet de la loi, un lien de filiation entre un enfant et une autre personne. Elle ne peut être demandée que par des époux non séparés de corps et ayant au moins cinq ans de mariage. Elle peut aussi être demandée par toute personne, même de nationalité étrangère, âgée de plus de 30 ans. Dans tous les cas, aux termes de l’article 159 du Code l’enfant, l’adoption plénière ne peut avoir lieu que s’il y a de justes motifs et si elle présente un intérêt pour l’enfant », renchérit le juriste. Quant à l’adoption simple, l’article 184 du Code de l’enfant la permet quel que soit l’âge de l’adopté. « Si l’adopté est âgé de plus de quinze ans, il doit consentir personnellement à l’adoption », précise le Code civil.
Dans la pratique, on est souvent loin de l’esprit de la législation nationale, mais aussi de la philosophie de l’adoption à la française – qui a inspiré le législateur guinéen – où l’adoption est avant tout un droit pour l’enfant qui est en besoin d’une attention parentale et non un droit des adultes à se voir confier un enfant parce qu’ils le désirent.
Trop souvent, une constatation s’impose : à Conakry, comme ailleurs en Guinée, des familles adoptent de façon coutumière un enfant parce qu’elles en ressentent le besoin pour les assister dans le travail (souvent ménager) ou bien parce qu’elles ont été dans l’obligation d’accepter cet enfant sous leur toit. « Junior (nom d’emprunt) est l’enfant d’un oncle qui est décédé au village, témoigne madame F. Sangaré, couturière domiciliée au quartier Kountia, dans la périphérie de Conakry. Après le décès, ma mère a voulu que mon mari et moi l’adoptions. Au départ, mon mari s’y est opposé au vu de nos moyens financiers. Mais sur l’insistance de ma mère, il a fini par l’accepter». Ce qui frappe en voyant Junior, cet enfant d’une dizaine d’années, c’est son habillement en haillons et ses cheveux non coiffés. « Nous n’avons pas les moyens, mais nous réussissons quand même à nous occuper de lui ; il est à l’école et nous le traitons comme s’il était notre enfant », nous dit madame Sangaré, cherchant certainement à nous convaincre des efforts qu’elle et son mari fournissent pour prendre soin de Junior.
Qu’elle soit décidée ou imposée aux parents, l’adoption coutumière fait beaucoup de victimes parmi les enfants adoptés. Viol et harcèlement sexuel chez les filles, déscolarisation, manque de soins médicaux, supplices… Toutes choses qui, dans certains contextes précis ( cf encadré) peuvent relever de la traite des êtres humains, et donc de crimes graves.
Rencontrée à Kagbélen, C.K. ,16 ans, (on respectera aussi son anonymat) est arrivée dans la banlieue de Conakry quand elle avait 9 ans. « C’est une enseignante qui m’a envoyée à Conakry. Je n’ai aucun lien de parenté direct avec elle. Elle est plutôt liée à ma grand-mère. Quand on est arrivés dans la capitale, l’enseignante m’a confié à sa belle-sœur. » nous confie la jeune fille J’avais voulu qu’on me scolarise, mais cette dernière voulait que je reste à la maison pour l’aider dans les travaux ménagers, pour s’occuper de ses enfants et vendre des bonbons au marché » . Après cinq ans de travaux ménagers auprès de celle qu’elle appelle ‘Tantie’, C.K. a été finalement confiée en 2022 à une couturière. Mais elle doit souvent s’absenter de l’atelier de couture pour aider à la maison. « Il y a deux ans, quand Tantie est retombée enceinte, je n’ai presque plus été à l’atelier pour apprendre », déplore-t-elle.
La belle-sœur de l’enseignante a confié à son tour C.K. à une vieille femme. « Cette femme ne fait rien pour moi. Tout ce dont je bénéficie, c’est le logement et parfois le manger », se plaint l’adolescente qui assure que le mari de sa logeuse a tenté plusieurs fois de l’agresser sexuellement: « Un matin, alors que j’étais couchée au salon et que sa femme était absente, il m’a fait signe de la main pour le rejoindre dans sa chambre. J’ai fait semblant de ne rien comprendre. Il est venu alors s’assoir à côté de moi, dans le canapé où j’étais allongée. Il était en sous-vêtement. Souriant, il a commencé à me caresser la cuisse. J’ai crié, il a regagné rapidement sa chambre. Mais quand les voisins ont accouru dans notre salon, je n’ai pas osé leur dire la vérité. Je leur ai juste dit que j’avais vu un scorpion » Et la jeune fille de poursuivre : « après, il m’a dit que si je racontais quoi que ce soit à sa femme, je serais responsable de leur divorce et que je le payerais fort ». Prise entre la peur de voir le couple adoptant divorcer et celle d’être renvoyée de la maison, C. a préféré garder le silence sur les harcèlements dont elle est victime dans cette maison.
En dépit de tout, C.K. sait qu’elle doit désormais se battre pour terminer son apprentissage : « J’ai le don d’apprendre vite. Je crois que dans deux ans maximum, je peux être une bonne couturière. Je dois le faire pour mes parents qui sont pauvres, surtout pour ma mère qui ne vit plus avec mon père » dit la jeune fille qui espère bénéficier un jour de l’aide d’une personne de bonne volonté.
Sans dire que nous connaissions C.K, nous avons pu rencontrer la vieille dame qui héberge la jeune fille. Lorsque nous lui avons demandé ce qu’elle pense de l’adoption des enfants d’autrui, elle a répondu : « nous sommes en Afrique, si tu as la possibilité d’aider l’enfant d’un parent, il faut toujours le faire. Moi-même j’ai une fille que j’adopte et tout se passe bien. Nous l’avons d’ailleurs inscrit dans un atelier de couture ». Que pense-t-elle des cas où l’enfant adopté est victime de maltraitance ? « Il faut reconnaître qu’il est difficile de s’occuper de l’enfant d’autrui. Je n’occulte pas le fait qu’il y ait des personnes méchantes, mais dans la plupart des cas, il suffit d’une petite correction pour qu’on te traite de méchant ou de méchante. On met en avant le fait que cet enfant n’est pas de toi », répond-t-elle.
Coiffure, couture, broderie…les métiers les plus ciblés
C.K. est loin d’être seule dans ce cas. À l’atelier où elle apprend la couture, sa condition de vie est presque identique à celle d’Hélène, une autre jeune fille venue de Kotizou, dans la préfecture de Macenta. Helène était censée poursuivre ses études une fois arrivée à Conakry. Arrivée dans la capitale en troisième année d’école primaire, elle a été déscolarisée pour aider l’épouse de son oncle dans les travaux ménagers et dans la vente des condiments au marché. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’elle a été inscrite dans l’atelier de couture. « Ce qui me fait surtout mal, c’est que je ne bénéficie d’aucune affection. Quoi que tu fasses, ils (les parents adoptifs) ne sont jamais contents », se plaint-elle.
Coiffeuse depuis 10 ans, madame Aissatou Bangoura dirige un atelier de 12 apprenties, dans le quartier Sonfonia. Rien ne la surprend quand on parle de l’exploitation des jeunes filles par les parents adoptifs. « Pour vous dire vrai, toutes ces filles que vous voyez dans les ateliers de couture, de coiffure ou de broderie sont pour la plupart des filles adoptées. Rares sont les filles qui vivent dignement chez leurs parents biologiques et qui décident d’apprendre un métier comme la couture, la coiffure ou la broderie » estime Aissatou Bangoura pour qui la coiffure n’a pas été, pour elle non plus, un choix délibéré: « Je voulais étudier, mais ma tante ne me l’a jamais permis. Elle préférait me voir l’aider dans les travaux domestiques… Et quand elle a trouvé qu’il était tard pour m’inscrire à l’école, elle m’a envoyé dans un atelier de coiffure ». Aissatou Bangoura se souvient que dans les années 2000, toutes ses condisciples étaient des adoptées. Et encore aujourd’hui, seule une de ses 12 apprenties vit chez ses propres parents. « Si tu n’es pas une fille qui a une force de caractère, tu ne vas jamais t’en sortir », estime la coiffeuse.
Dans la commune de Ratoma, nous avons sillonné une dizaine d’ateliers de coiffure, de couture et de broderie. Parmi la vingtaine d’apprenties que nous avons interrogées, plus de la moitié vivent en situation d’adoption coutumière.