La violence n’est pas que physique. Le verbe et les mots peuvent aussi détruire une vie. Beaucoup de femmes en souffrent. Campagne des 16 jours d’activisme contre les violences à l’égard des femmes et des filles oblige ! Et les témoignages recueillis sur le terrain sont assez édifiants pour amener les hommes à poser un autre regard sur la gent féminine.
« Mon mari ne s’en rend pas compte, mais il est très violent dans ses propos », confie Awa Lo sous le ton de la confidence. Mariée depuis deux ans, la femme de 32 ans peine toujours à faire fi des « commentaires désagréables » de son époux. « Ce sont des reproches à n’en plus finir au quotidien », dit-elle peinée. La femme noire aux formes callipyges affirme vivre difficilement ces mots. « Il est difficile à satisfaire. J’ai l’impression que les mots doux ne font pas partie de son vocabulaire », avoue-t-elle avec tristesse, affirmant avoir du mal à supporter la violence des mots de son compagnon.
La violence à l’égard des femmes et des filles n’est pas que physique. En psychologie sociale, la violence verbale ou violence psychologique est un acte de langage dont l’intention est de blesser ou de mettre en colère une autre personne. Cette forme de comportement implique l’utilisation du langage oral ou écrit.
« Pata pouf », « mbeur mii » sont, entre autres, les remarques auxquelles a dû faire face Mamy Diokhané. La femme de 28 ans dit avoir mal vécu ces mots. Les remarques désobligeantes sur son corps plus connues sous l’anglicisme « body shaming » ont marqué au fer rouge l’entrepreneure. « C’était vraiment violent. Il m’arrivait de retourner ces mots dans ma tête », confie-t-elle plongée dans un autre temps. Aujourd’hui, avec des années en prime, la plantureuse dame ne laisse plus personne faire des remarques sur son poids. Elle confie avoir su développer un « mental d’acier » face à cela et dit être bien dans son corps et dans sa tête.
Halima Gadj n’a pas su tenir face aux « violents mots ». En effet, l’actrice a décidé, en 2021, de quitter les réseaux sociaux à cause du cyber harcèlement dont elle a été victime au quotidien. Après une publication dans laquelle l’actrice sénégalaise Halima Gadji expose fièrement ses rondeurs, les internautes se sont moqués d’elle et ont avancé des critiques acerbes à son endroit. D’aucuns se sont même permis de lui envoyer des méthodes de suicide en message privé. Des mots qui ont eu raison de l’actrice. Elle décide tout bonnement de quitter les réseaux et de supprimer ses comptes. « J’avais décidé de quitter les réseaux sociaux à cause de multiples agressions à mon égard. J’ai tellement eu mal que j’ai failli suspendre mes comptes », livrait-elle sur son compte Instagram.
Un mal synonyme de mal-être
La violence psychologique accompagne toutes les autres formes de violence. Elle est très fréquente mais aussi très subtile, selon Madjiguene Sarr, psychologue. Elle avance que cette forme de violence est insidieuse, diffuse, à la limite hypocrite au point d’être difficile à reconnaitre. Cette forme de violence consiste à tenir des propos ou à agir de façon à lui faire peur, à l’humilier, à lui faire mal ou à lui ôter sa dignité.
« Elle se révèle par des mots, des comportements qui peuvent paraitre anodins. Mais elle finit par générer un mal être grandissant et profond chez l’individu par le fait de la répétition », a fait savoir la spécialiste. C’est l’intégrité psychologique, psychique de la personne qui est agressée. La personne est atteinte dans sa dignité. La violence se fait entrevoir par un usage répété et surtout délibéré de mots qui visent à blesser, à faire mal, à manipuler et à agresser. « Malheureusement cette forme de violence est banalisée au Sénégal. C’est ce qui exacerbe les conséquences et les effets sur la victime », relève Madjiguène Sarr. « Injures, manipulations, dénigrements, caricatures sont vraiment monnaie courante et sont légitimés », souligne la psy. La banalisation de cette forme de violence peut être due à sa subtilité, d’après la spécialiste.
La violence peut perturber l’équilibre psychologique de la personne. « Elle agit directement sur le psychisme et s’avère plus grave que la violence physique », explique-t-elle. Les conséquences peuvent aller de l’anxiété à la tentative de suicide, la dépression, le stress. La spécialiste recommande aux victimes de savoir dire non, de prendre conscience du problème, d’aller voir un spécialiste et de savoir établir des limites.
161 cas recensés par l’Association des juristes sénégalaises
L’Association des juristes sénégalaises (Ajs) vient à la rescousse des victimes de violence psychologique. Ndèye Madjiguene Sarr, la coordonnatrice de la boutique de droit de Pikine, reconnait que la violence psychique ou morale est sournoise et peut avoir des conséquences dévastatrices. « Nous avons reçu entre janvier et octobre pour des dénonciations, médiations, plaintes et suivis psychologiques plus de 161 cas », révèle-t-elle, soulignant qu’il est important pour les victimes d’avoir des éléments de preuves pour la plainte et des témoins. Selon Mme Sarr, la violence peut se traduire par des menaces, des insultes, de l’intimidation, de la manipulation, des dénigrements, de l’humiliation. Des actes qui sont punis par la loi. « C’est difficile de prouver cette forme de violence », relève la coordonnatrice de la boutique de droit de Pikine. Mais des sanctions sont prévues par le code pénal. Les insultes peuvent être sanctionnées d’une peine de 2 mois de prison et d’une amende de 20.000 FCfa à 100.000 FCfa. Les menaces peuvent valoir à la personne une peine de 6 jours à 5 ans de prison avec une amende de 20.000 FCfa à 200.00 FCfa.
En dehors de l’assistance juridique, l’Ajs aide les victimes de par des suivis psychologiques, des séances de sensibilisation et des actions de prévention. Une manière de guérir les maux par des mots!
Ndèye Khaira Thiam, psychologue clinicienne : «Les violences psychologiques agissent comme un tatouage»
La violence physique laisse des marques visibles à l’œil nu. Mais la violence psychologique perturbe la victime mentalement. Dans cet entretien, Ndèye Khaira Thiam, psychologue clinicienne et spécialisée en pathologies psychiatriques est revenue sur les violences psychologiques avec l’enfance comme soubassement.
Comment reconnaitre une violence psychologique ?
Elles sont insidieuses, se signalent par une perte de l’estime de soi, une incapacité à prendre certaines décisions, des pensées limitantes, voire un retournement de la violence contre soi, un dénigrement de soi permanent, des mises en danger voire des états anxio-depressifs transitoires pouvant aussi évoluer vers une chronicisation ou le développement d’authentique syndrome post-traumatiques. Impossibilité pour un sujet de se satisfaire de ses accomplissements. Le plus souvent, le sujet qui en est victime ne les repère pas tout de suite, d’autant plus que notre environnement normalise ces violences dans l’éducation des enfants.
Quelle est la particularité de la violence psychologique ?
La violence physique se voit à travers le geste d’une gifle, les traces corporelles laissées par un coup de poing, de lacérations au fil électrique, une fracture du crâne après des jets de pierre etc. Les violences psychologiques ne se voient pas. Elles ne font que se signaler par des comportements, par des manières de les projeter au dehors en répétant ce qu’on a vécu sur une personne plus vulnérable, par des manières de parler, de se présenter etc. Pourtant les bleus à l’âme sont bien là, les déchirures, les fractures à l’intérieur de soi, les béances qui détruisent un sujet encore davantage quand il s’agit d’une enfant, d’une petite fille. Les blessures physiques se soignent puis disparaissent. Les violences psychologiques agissent comme un tatouage, y compris lorsqu’on a fait un grand travail sur soi. Elles seront toujours là et certaines sont comme une identité et mettront plus de temps à se remanier.
Vous évoquez la violence exercée sur une enfant. Est-ce un facteur aggravant ?
Il y a de ces insultes, de ces chantages affectifs, de ces rétorsions, de ces brusqueries et brutalités relationnelles qui font froid dans le dos même quand on est adulte. Les filles en particulier que l’on prépare à être des victimes de violences à vie sont particulièrement visées là où les garçons poussent comme des herbes sauvages sans un minimum de cadre, les préparant à devenir des auteurs de violences diverses et variées dont les violences psychologiques.
Quelles sont donc les clés pour y faire face ?
Il faut faire un travail sur soi non seulement pour situer les traces de violences avec lesquelles on vit mais aussi celles que l’on inflige aux autres. Il y a lieu également d’encourager toutes les initiatives qui prônent le respect de soi et des autres, la bienveillance, le soin etc. Mettre un terme à toutes ces émissions ultra violentes qui encouragent des faits de violences sur autrui, qui divisent les communautés, ou qui ont comme fonds de commerce la moquerie et l’humiliation. Mieux, il faut réguler les débats, ne pas mettre d’images choquantes à des heures où des enfants peuvent encore être devant des écrans et responsabiliser les adultes devant les problématiques comportementales de leurs enfants.