Le 1er décembre 1944, des dizaines de soldats africains appelés « tirailleurs » sont exécutés par l’armée française dans le camp de Thiaroye, au Sénégal. Ces hommes, qui ont combattu pour la France lors de la guerre et anciens prisonniers des nazis, réclamaient le paiement de leur solde. Selon la version officielle, la répression fait suite à une mutinerie. Une thèse réfutée par l’historienne Armelle Mabon, maître de conférences à l’Université Bretagne Sud. Elle dénonce un mensonge d’Etat et un crime de masse prémédité. Invitée du « Monde Afrique », elle revient sur ce massacre camouflé pendant plus de soixante-dix ans.
C’est un scandale d’Etat longtemps passé sous silence. Le 1er décembre 1944, après avoir servi sous le drapeau tricolore pendant quatre ans, des tirailleurs sénégalais ont été tués par l’armée française. On ignore encore leur nombre exact.
Ce massacre a eu lieu sur le camp militaire de Thiaroye, dans les environs de Dakar. Tout juste revenus de la Seconde Guerre mondiale, 1 300 hommes venaient d’y être débarqués depuis la Bretagne. Selon la Grande Muette, certains d’entre eux ont été exécutés pour réprimer une mutinerie. Or on sait aujourd’hui que ces victimes, enterrées sur place sans que l’on sache précisément où, réclamaient leur solde.
Ne pas tomber dans l’oubli
En 2014, dans un discours certes expiatoire mais incomplet, François Hollande, alors président de la République, avait fait l’impasse sur la qualification de « crime de masse » du massacre de Thiaroye. Originaires des lieux, Aïcha Euzet, Babacar Dioh et Magui Diop, respectivement auteure, comédien et chanteuse, se mobilisent pour que cette page sombre de l’histoire coloniale ne tombe pas dans l’oubli.
Avec l’historien Martin Mourre, ils partent à la rencontre de Biram Senghor, fils d’un des tirailleurs. De son père, matricule 32124, qui avait été enrôlé de force, sa famille n’a récupéré qu’une valise et un papier taché de sang. En fouillant les rapports officiels, ils confrontent les versions troubles, parfois divergentes, données par les autorités coloniales.
Où en sont vos actions juridiques ?
Les descendants de condamnés, le descendant d’une victime, et moi-même en tant qu’historienne, nous avons saisi la justice administrative. Un fils de condamné a demandé la révision du procès de son père, mais il n’y est pas arrivé. Pour avoir des éléments nouveaux, il faudrait que nous ayons accès aux vraies archives ! Celles que nous pouvons consulter sont des rapports remplis sur ordre, falsifiés.
Les vraies archives sont restées à Dakar auprès des forces françaises au Sénégal, dissoutes en 2011. J’ai saisi la justice administrative pour consulter ces archives. Mais on ne sait pas où elles sont. Le ministère des Armées dit qu’elles n’existent pas. J’ai saisi le conseil d’État.