La Zlecaf doit créer un marché unique de plus de 1,4 milliard d’habitants pour un PIB cumulé de plus de 3400 milliards $. Depuis que son opérationnalisation a été actée en 2021, l’idée de cette zone de libre-échange continentale suscite de grands espoirs. Par exemple, selon les données de la Banque mondiale, la mise en œuvre de la Zlecaf pourrait accroître les revenus des pays africains de 9%, soit 571 milliards de dollars, et contribuer à sortir 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté, d’ici 2035. Si l’impact en termes de croissance pour plusieurs secteurs des économies africaines est certain, des obstacles majeurs doivent encore être surmontés, y compris celui de la mauvaise gestion du foncier en Afrique. Cette dernière question est débattue sous divers angles à la CLPA 2023 en cours à Addis-Abeba, et les dirigeants, experts, organisations de la société civile et autorités traditionnelles cherchent des solutions aux problèmes fonciers en Afrique afin d’accélérer la mise en œuvre de la Zlecaf.
L’accès sécurisé aux terres, clé de réussite de la Zlecaf
La Zlecaf vise à créer un marché unique et intégré pour les biens et les services, facilité par la libre circulation des personnes en Afrique. Son objectif annoncé est de stimuler le commerce intra-africain en éliminant les barrières tarifaires et non tarifaires entre les pays membres, ce qui favorisera le développement économique, l’industrialisation et la croissance durable sur le continent.
Source : CLPA 2023
Intervenant dans un panel à la CLPA mercredi 22 novembre, Dr Stephen Karingi, directeur Intégration régionale et Commerce de la CEA, a indiqué que la production de ces biens, peu importe le secteur concerné, nécessite l’accès au foncier. De plus, indique-t-il, la mise en œuvre effective de la Zlecaf d’ici 2045 nécessitera de gros investissements dans les usines, les routes et autres infrastructures.
Ce besoin en investissement dans les infrastructures a déjà été soulevé par plusieurs rapports. Selon la BAD, les échanges au sein de l’Afrique sont nettement plus faibles que dans d’autres régions, avec des exportations intra-africaines représentant entre 16 et 17 % du total des exportations africaines, contre 59 % pour l’Asie (2017). Une situation que l’institution attribue principalement à des systèmes de transport et de logistique inefficaces et d’importantes lacunes en termes d’infrastructures au niveau des centres économiques et des ports d’entrée en Afrique.
Selon le Land Matrix Initiative, entre 2010 et 2020, en Afrique subsaharienne, 7,3 millions d’hectares (environ 3 fois le Rwanda) sont passés sous contrat de location ou d’acquisition.
Construire des kilomètres de routes supplémentaires pour déplacer les biens d’un pays à un autre, ou agrandir les usines et autres infrastructures de stockage afin d’augmenter les capacités, nécessite l’accès sécurisé aux terres. L’enjeu que représentent les terres en Afrique est d’autant plus crucial que les données de plusieurs sources concordantes révèlent que le continent est de loin le continent le plus ciblé par les acquisitions foncières à grande échelle. Selon le Land Matrix Initiative, entre 2010 et 2020, en Afrique subsaharienne, 7,3 millions d’hectares (environ 3 fois le Rwanda) sont passés sous contrat de location ou d’acquisition.
Des risques de litiges fonciers plus importants
L’augmentation du nombre de transactions foncières à grande échelle sur les dernières années en Afrique s’accompagne d’une croissance des risques de litiges fonciers. Selon un rapport de Land Matrix paru en 2022, malgré l’adoption de nouvelles lois relatives à l’acquisition des terres dans de nombreux pays africains, aucune évolution importante n’a été observée sur le terrain, particulièrement en ce qui concerne les acquisitions à grande échelle.
Source : Land Matrix
Le document évoque comme problème récurrent dans toutes les transactions en Afrique « le manque continu de données et l’état préoccupant de la transparence en ce qui concerne les acquisitions de terres à grande échelle (LSLA) ».
Les autres défis comprennent, entre autres, des processus consultatifs faibles ou inexistants, le non-respect de la législation nationale, y compris les lois sur les investissements et les terres, peu de considération pour les droits de tenure légitimes, y compris la tenure informelle des communautés locales et des peuples autochtones, le non-respect des droits de l’homme, l’absence de garanties, l’expropriation illégale ou encore l’application minimale des mesures de compensation convenues.
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Ces différents facteurs favorisent la multiplication des litiges fonciers sur le continent, lesquels conflits sont cités parmi les causes de la faible mise en valeur des terres acquises ou des retards de développement constatés sur les projets prévus sur ces terres. Selon un autre rapport du LMI datant de juillet 2019, environ la moitié des transactions conclues sont opérationnelles (54 % sur 399 transactions), mais seulement 11 % de la superficie sous contrat dans ces transactions sont effectivement cultivés. « La spéculation foncière et hydrique explique en partie ce phénomène. Les autres raisons comprennent le manque d’informations fiables préalables sur le potentiel de production des terres acquises, les conflits frontaliers avec les exploitations LSLA voisines ou les petits exploitants, les difficultés liées à l’importation des intrants de production, les restrictions financières des investisseurs et l’insécurité quant à la validité à long terme de la transaction foncière », expliquent les auteurs du document.
Harmoniser les réglementations à différents niveaux
« Les Etats africains se font concurrence pour attirer les investissements dont ils ont besoin pour stimuler le développement économique (…). Mais, la plupart des pays doivent renforcer considérablement la gouvernance des droits fonciers pour créer un environnement stable et attractif propice aux investissements ». Ces mots prononcés en 2017 par M. Munden, sont encore d’actualité aujourd’hui.
« La plupart des pays doivent renforcer considérablement la gouvernance des droits fonciers pour créer un environnement stable et attractif, propice aux investissements »
Compte tenu de l’importance du foncier pour l’atteinte des principaux objectifs de développement du continent, y compris la mise en œuvre de la Zlecaf, les initiatives se sont multipliées ces dernières années pour trouver des solutions régionales. Cependant, les différents efforts consentis tardent à porter leurs fruits à cause de la complexité de la question foncière. Intervenant lors d’un panel à la CLPA 2023, Tsotetsi Makong (Secrétariat de la ZLECAF), a indiqué que la Zlecaf ne peut pas être mise en œuvre facilement et dans les délais s’il n’y a pas une cohérence entre les textes de gouvernance foncière à l’intérieur des pays et une harmonisation des réglementations sur le plan régional.
Pour d’illustrer son propos, il a donné l’exemple d’une bouteille d’eau dont la production et la mise sur le marché local nécessite l’implication de plusieurs ministères (eau, santé, agriculture, foncier) et le respect des lois de plusieurs organismes. Si les réglementations entre ces différents organismes étatiques ne sont pas cohérentes, l’investisseur peut hésiter à mettre ses fonds dans la production de cette bouteille d’eau.
Au-delà des problèmes de cohérence entre les cadres règlementaires au niveau national, sortir cette bouteille d’eau du pays où elle est produite pour un autre pays africain peut être encore plus difficile, si l’investisseur doit être confronté à un autre cadre réglementaire. Selon M. Makong, pour faciliter la mise en œuvre de la Zlecaf, les lois doivent être mises en place après des négociations entre les différents ministères homologues des pays, afin de s’assurer qu’elles sont en ligne avec l’esprit de la Zone de libre-échange continentale.
Ne pas négliger les impacts sur les populations
Selon les différents experts et décideurs participants à la CLPA 2023, il ne fait pas de doutes qu’une bonne gouvernance foncière a le potentiel d’accélérer la mise en œuvre de la Zlecaf. Cependant, fait remarquer Eileen Wakesho, directrice d’un programme de protection des terres communautaires au Kenya, il ne faut pas oublier les questions de bien-être des populations et quels profits ces dernières tirent de la mise en œuvre de la Zlecaf. En effet, explique-t-elle, si l’aspect macro-économique de ce projet est souvent mis en avant, les discussions ne se concentrent pas suffisamment sur les impacts sur la vie des populations, des femmes et des jeunes enfants. Ce sont ces populations qui doivent céder leurs terres, sans compensation équitable, sans être certaines de tirer profit des richesses créées. Selon elle, le plus important à l’heure actuelle n’est pas la rapidité avec laquelle la Zlecaf est mise en œuvre, mais surtout sa qualité.