L’un des villages reflétant mieux la diversité ethnique de la Casamance, Niaguis, est aussi une contrée qui a payé un lourd tribut à la rébellion indépendantiste. Sa population qui n’a jamais connu de déplacement vit toujours hantée par les démons de la division et par la dévastation de son environnement.
Les stigmates du conflit qui a éclaté en Casamance en 1982 sont encore perceptibles chez certains habitants de Niaguis, situé à dix kilomètres de la commune de Ziguinchor. Cette localité où vivent près de 4.000 âmes est traversée par la route nationale numéro 6 qui la sépare en deux. Certains le considèrent comme le plus long village de la zone. Mais, « Niaguis, c’est un passé triste », se désole le chef de village, Alassane Ndiaye, dont la maison donne juste sur la route nationale. Les habitants n’ont jamais quitté leurs maisons, malgré l’intensité du conflit durant la décennie 1990. « Si l’on avait bougé, tout l’arrondissement allait s’effondrer », ajoute M. Ndiaye à la tête du village depuis 2013.
Situé sur la rive gauche du fleuve Casamance, cet ancien peuplement Baïnouk souffre toujours de blessures de la rébellion en Casamance. Délation anonyme, calomnie, enlèvements, en somme, les multiples règlements de compte entre habitants éclaboussent le quotidien de ses résidents pendant les heures sombres de la rébellion (1998). Cette plaie a affecté les relations. « Ce qui fait mal dans cette affaire, au-delà du problème d’indépendance, c’est le climat de suspicion qui a brisé la cohésion sociale et installé le village dans la terreur. Les rumeurs selon lesquelles tel a tué ton père, un tel a fait cela, restent toujours gravées dans certains esprits », confie-t-il, la mine triste. Ce phénomène a jeté à la vindicte populaire certaines familles. Une étape douloureuse qui n’aide pas le retour de la quiétude, d’autant plus qu’il y a des gens qui sont toujours marginalisés. D’autres qui ont préféré tout bonnement s’installer ailleurs, abandonnant leur terre.
De la crise de l’autorité
Pour Alassane Ndiaye, revenir sur la crise elle-même n’est pas important. Au-delà des blessures psychologiques engendrées par la méfiance et la haine, la guerre a fait naître une autre crise : celle de l’autorité parentale. Ici, il était courant de voir des responsables de famille fuir devant leurs enfants, voire fondre en larme, car humiliés par des porteurs d’armes. Des pratiques monnaie courantes qui ont démystifié des pères de famille et leur ont fait perdre l’autorité. « Nous, les chefs de village, en savons quelque chose », dit-il. Selon lui, l’enfant pense que son père, c’est le pouvoir. Quand il a besoin d’être protégé, il court toujours vers ce dernier. Quand il voit son père verser des larmes ou prendre ses jambes à son cou parce qu’on a tapé à sa porte, il perd ce pouvoir.
Guidel paralysé par le conflit
Derrière la végétation de mangrove, juste à l’entrée du village de Niaguis, se cache une structure massive, surplombée par un résidu de ferraille. Le barrage de Guidel, du nom d’un village établi à quelques encablures de la frontière avec la Guinée Bissau. L’infrastructure est installée entre 1978 et 1979. Mais, « elle n’a jamais bénéficié aux populations, car, jamais fonctionnelle », avoue Paul Mendy, habitant à Baraka Bounao, un village arrosé par un affluent du fleuve Casamance. Selon M. Ndiaye, « il était prévu des aménagements annexes ». Mais, trois (3) ans après sa construction, la crise a éclaté, « finalement les gardiens avaient quitté les lieux. Tout s’est arrêté », se souvient le responsable de Niaguis. Le lieu était devenu un point de passage des groupes armés. Proche de la route nationale, des assaillants y faisaient parfois irruption et arrachaient impunément les biens d’autrui.
Cependant, le dysfonctionnement du barrage de Guidel provoqué par la crise a eu une conséquence écologique sur toute cette étendue de végétaux. Les aménagements inadaptés aux bas-fonds n’ont pas permis de freiner la salinisation des terres dont le constat a été fait depuis la sècheresse de 1968. Habituellement, l’eau de pluie lessivait la vallée, ce mouvement étant interrompu, le taux de sel à augmenter. L’eau ne circule plus normalement d’un marais à un autre. Les palmiers à huile commencent à jaunir à partir des feuilles.
Au moment de la réhabilitation de la RN6, le pont a été barré. « On pouvait marcher même sur ce qui fut une profondeur de 5 mètres, mais l’entreprise de construction de ce tronçon, Arezki, ne l’a pas curée à la fin des travaux », affirme le représentant des résidents. Les autorités ont été saisies sans succès. Lors d’une visite des chantiers, Abdoulaye Daouda Diallo, alors Ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, Alassane Ndiaye a souligné le problème, et l’agent de Arezki avait promis que sa société allait enlever le sable sous le pont, « mais jusque-là rien ». Aujourd’hui, l’eau de nombreux puits du village de Niaguis sont saumâtres, posant avec acuité l’équation de l’eau potable dans la zone.
Population paysanne, la crise a aussi modifié les méthodes culturales et les spéculations. La production de riz et de l’arachide constituait l’activité phare des autochtones. Face au crépitement des armes, raids des éléments armés et attaques sporadiques, personne n’avait le temps de rester dans un champ d’arachide ou de riz. À la place du binage, sarclage autour des billons, les populations ont tout simplement choisi de planter des anacardes estimant que la tâche sera moins ardue et le risque d’être surpris par les bandes armées réduit. Cette situation a suscité la spéculation foncière dans la zone. Aujourd’hui, « à cause des plantations d’anacarde, nous n’avons plus d’espace pour cultiver, alors que la commercialisation des noix ne nourrit pas convenablement les producteurs », se plaint le chef du village de Niaguis, Alassane Ndiaye qui invite l’État à prendre en charge la fixation du prix des noix d’anacarde.