Enfoui dans le Delta du Fleuve Sénégal, à 60 km de Saint-Louis, le Parc du Djoudj est une merveille de la nature avec ses près de 3 millions d’oiseaux qui le fréquentent. Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, « site Rampsar », l’aire protégée résiste au temps et demeure un endroit privilégié des touristes, notamment étrangers. Voyage au cœur du Djoudj.
À l’Est, se trouve la commune de Diama, connue grâce à son barrage avec ses typhas touffus qui poussent vers le parc. À l’Ouest, se dressent les vastes champs rizicoles qui longent le fleuve Sénégal. Au Nord, le Parc national de Diawling sis en Mauritanie et au Sud, les cours d’eau émergent depuis Ross Béthio. Dans le département de Dagana, sur les rives du Lac de Guiers, le village de Diadiem 3 est lové dans une cuvette au cœur du plateau forestier dans le Delta du fleuve Sénégal. Dans cet espace à 15 minutes du grand erg de la Mauritanie, l’arrière-plan offre volontiers la blancheur des oiseaux qui survolent le Parc du Djoudj dont les cours d’eau se comptent par dizaines et étendus sur un endroit propice à la vie animale. Bienvenue dans le sanctuaire des oiseaux, la 3e plus grande réserve ornithologique du monde et 395 espèces d’oiseaux (soit près de 3 millions d’oiseaux).
En forme de courbe, ces espèces paradent dans l’air et donnent une dimension hautement paradisiaque au parc. Au sol, des phacochères ont succombé, la veille, aux morsures des pythons au moment où les crocodiles dressent leurs immenses gueules vers le haut. Il est 11h, le ciel s’est débarrassé de la grisaille qui a couvert le site, il y a quelques jours pour laisser le soleil reprendre ses aises dans cette partie du Walo. La température avoisine les 40 degrés. À Djoudj, c’est l’extase, l’admiration de cette aire protégée qui résiste au temps et traverse les générations. À Djoudj, les amoureux de la forêt se régalent. C’est des roselières, de l’eau douce, de l’eau salée, des prairies, de la forêt… Sur des ha de terres, une partie s’est salinisée à cause de la chaleur et par ricochet, les petits ruminants sont allés chercher des prairies plus vertes.
Perle enchanteresse de la région de Saint-Louis, le Parc national des oiseaux du Djoudj (Pnod), créé en 1971 et classé depuis 1981 en un Patrimoine mondial par l’Unesco émerveille les touristes qui savourent les oiseaux venus du monde entier pour s’abreuver, vivre et se reproduire. 6 septembre 2023, la dizaine de kilomètres de piste argilosablonneuse séparant Ross Béthio et Djoudj rend délicate la circulation qui garde encore les marques d’eaux de pluies. Situé sur les bords de la Vallée du Fleuve Sénégal, le Pnod érigé sur 16.000 ha dont 10.000 occupés par les eaux, le parc offre une chaîne de lacs et de marigots interconnectés. En le parcourant, on se délecte de vivre l’instant avec ses près de 120 espèces paléarctiques comme les flamants roses, hérons pourprés, oies de Gambie se poser sur les eaux.
Tourisme local très faible
« Nous sommes dans une réserve de biosphère transfrontalière à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal », explique Commandant Cheikh Diagne, conservateur du Parc de Djoudj. Dans ce parc situé à 60 km de Saint-Louis, les oiseaux viennent chercher refuge pour quelques jours ou quelques semaines. Avec l’été peu propice à la migration, le site s’est presque vidé de ses occupants naturels. À la place, ce sont des cours d’eau à perte de vue entourés par des typhas et les hautes dunes de la Mauritanie voisine. Ainsi, les cigognes sont depuis réparties en Europe, un peu plus tôt que d’habitude à cause de la chaleur. Mais, les spatules arrivées d’Afrique de l’Ouest au printemps avec de la terre rouge sur les plumes sont toujours là. Elles viennent nicher et faire une pause dans leur voyage. Dans les champs aux alentours, vaches et chevaux s’ébattent en toute quiétude. Pour hiverner dans le parc, certaines espèces, comme le dendrocygne veuf, traverseront le continent ; d’autres, à l’image de la sarcelle d’été, parcourront plus de 15.000 km depuis la Sibérie. « Nous recevons, dans le parc, pendant l’hiver, des oiseaux venus de la France, d’Italie et d’Espagne », souligne le commandant Diagne. Lorsqu’il met son treillis, chapeau aux formes de celle des cowboys, le conservateur au volant avale les coins et recoins du parc, secteur par secteur, pour nous plonger dans les méandres de l’aire protégée. On se dit qu’il est dans son élément. Joyeux, cet élément de la Direction des parcs nationaux revient sur l’importance de l’aire protégée. « Le Président Senghor avait constaté qu’il y avait un pillage de la ressource, une mauvaise répartition de la population et que les gens défrichaient à outrance. Il y avait tellement de mauvaises pratiques qu’il avait peur pour les générations futures. Des villageois ont été déplacés pour mettre en place le parc », note-t-il.
Site fréquenté par 30 à 40 touristes par jour en période d’hiver, selon le conservateur du Parc du Djoudj, il faut débourser 5.000 de FCfa par personne pour s’offrir une parade et goûter aux délices de la biodiversité. Cette dernière offre dans le site la présence au-delà des oiseaux des animaux comme les crocodiles, les phacochères, les chacals ou les pythons. « Le tourisme local est très faible. Nous enregistrons souvent la visite d’étrangers », précise M. Diagne. Pour la gestion et la conservation du parc, les 7 villages sont mis à contribution. Ainsi, 36 jeunes travaillent en étroite collaboration avec le conservateur. « On a souvent des formations en renforcement de capacités en termes d’identification des espèces et de suivi écologiques. Ainsi, on peut accompagner des chercheurs et des touristes », signale Abou Diop, président du Collectif des écogardes du Parc du Djoudj. « Chaque 25 du mois, on verse nos recettes au Trésor public. À longueur de journée, on accueille des touristes avec un droit de stationnement de 10.000 Fcfa », informe Commandant Diagne. Plus de 50 ans après sa création, Djoudj résiste aux défis du temps. Ils se nomment changements climatiques, braconnage, avancée des cultures rizicoles, pêche illicite…
AVANCÉE DES CULTURES RIZICOLES, PÊCHE ILLICITE, BRACONNAGE …
Djoudj, patrimoine en péril
S’il n’est pas encore sur la liste des sites critiques, le Parc du Djoudj fait face à des défis qui peuvent compromettre son existence. Ils s’appellent avancées des terres agricoles, pêche illicite, braconnage, pollution… le conservateur du parc demande aux autorités d’agir pour la sauvegarde de cette aire protégée, classée patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981.
C’est une avancée vertigineuse qui pourrait remettre en cause l’avenir du Parc national d’oiseaux du Djoudj. Des projets de culture rizicole de la Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du Fleuve Sénégal (Saed) entourent le parc et risquent de l’engloutir. En un mot, ces typhas ceinturent l’aire protégée. D’après une cartographie de la Direction des parcs nationaux, de 1974 à 1984, il y a eu 5.500 ha de terres agricoles autour du parc. Mais de 1985 à 1995, le chiffre a plus que doublé en passant à 11.723 ha avec des empiétements sur le parc. Récemment, de 1996 à 2016, il est désormais à 22.766 de terres agricoles. « L’avancée des terres agricoles est une menace », alerte Commandant Cheikh Diagne, conservateur du Parc national des oiseaux de Djoudj Djoudj
D’après M. Diagne, le développement des cultures rizicoles constitue un frein « non seulement en termes d’occupation, mais en termes de gestion des effluents agricoles ». Il ajoute : « Quand ils font du drainage, ils drainent dans le parc. Ce sont des eaux chargées de pesticides et d’engrais. Ce n’est pas bon pour la santé des écosystèmes parce que ce sont des eaux contaminées ». Mais dans l’aire protégée, la pêche illicite est aussi un vrai défi. Pour faire face à la pauvreté, les villageois n’hésitent pas à se tourner vers le braconnage ou la pêche illicite. « Les populations, compte tenu de la précarité, s’attaquent à la ressource halieutique. S’il y a une campagne agricole pas rentable, les villageois compensent dans le parc. Ils viennent pêcher à outrance alors que la capture est interdite dans une aire protégée. Nous avons des piscivores, des granivores, des insectivores qui vivent de cela », explique le conservateur du parc.
Malgré tout, Djoudj n’est pas encore considéré comme un parc menacé. « On n’est pas sur la liste des sites critiques. L’année dernière, j’ai reçu l’Unesco en mission réactive par rapport à cette question de statut, mais Djoudj n’est pas inscrit sur la liste des sites critiques. On est plutôt sur la liste verte. On a un statut de bonne gestion, de bonne gouvernance. Les unités de contrôles font état de gestion de conservation acceptable. On touche du bois, mais on fait face à des pressions et des menaces », fait savoir Cheikh Diagne.
Site classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, Djoudj souffre toujours de la pollution et du manque d’eau, de la salinisation des terres… « Il faut aussi des projets pour assurer la survie des populations environnantes. Tant qu’il y aura la pauvreté, c’est difficile de garder un kg de fortune dans un océan de misère. C’est révoltant de voir que les gens vivent dans la précarité alors que le parc rapporte des milliards », conclut M. Diagne.
MANQUE DE MOYENS, ÉQUIPEMENTS VÉTUSTES …
Le plaidoyer du conservateur
Avec 10 millions de FCfa comme budget, le Parc national des oiseaux du Djoudj n’a pas les moyens à la dimension de son rang. Le conservateur du site sonne l’alerte pour maintenir la renommée de l’aire protégée. « On demande l’amélioration des infrastructures. Il faut vraiment des pistes d’accès et des postes de commandement reconstruites et des postes avancées. Nous demandons un renforcement de la logistique, surtout le matériel nautique, les moyens de travail. Nous avons des pirogues qui ne garantissent plus en sécurité parce que délabrées et nous avons besoin de moteurs pour la navigation », a listé le commandant Cheikh Diagne. Ce dernier réclame aussi plus de ressources humaines par rapport au suivi écologique, mais également pour la communication avec les villageois. « Il nous faut aller dans le sens de mieux remplir notre mission à travers des outils adaptés. Je veux parler des moyens modernes tels que les drones. On en a, mais ça ne suffit pas », souligne M. Diagne.
DJIBY SEYE, COORDONNATEUR DU COMITÉ INTER VILLAGEOIS DU PARC DU DJOUDJ
« Trois plans d’aménagement et de gestion du parc peinent à être mises en œuvre »
Des jeunes sont occupés à conduire les charrettes d’âne, d’autres se tournent dans la culture du riz. Dans les villages qui entourent le Parc du Djoudj, vastes maisons en paille, absence de goudron et précarité se posent comme décor. Avec l’inexistence quasi totale de services sociaux de base, ces sites se morfondent dans la précarité alors qu’ils jouxtent un patrimoine mondial de l’Unesco. Pourquoi les villages ne bénéficient pas des retombées économiques du parc ? Djiby Sèye, coordonnateur du comité intervillageois composé de 7 villages, nous a reçus chez lui à 500 mètres du Djoudj. Entretien.
Comment les populations se sont-elles organisées pour participer à la gestion du parc ?
D’abord, le parc est entouré de 7 villages, dont 4 villages maures, 1 peul et 2 wolofs. Nous sommes à Diadiem 3 dans la commune de Diama. Ces villages habitaient dans le parc avant sa création en 1971. Dieu a fait que lorsque le parc a été créé, les villageois qui exploitaient les ressources du parc, ont été déguerpis. Ce fut des moments très difficiles, mais quand vers les années 1994, la Direction du parc a initié une politique d’intégration des populations dans la gestion du parc, il a été mis en place un plan quinquennal de gestion intégrée du Djoudj. À cette époque, il y avait la sécheresse et l’on voulait aussi que les populations s’impliquent dans la gestion du parc. C’est la raison pour laquelle on a mis en place le Comité inter villageois du parc. Il y avait aussi d’autres instances très importantes comme le Comité de gestion du parc, le Comité scientifique et le comité d’orientation qui travaillaient dans le projet qui avait deux objectifs. Premièrement : inciter les populations à la protection du parc, mais aussi leur faire bénéficier des retombées du parc. Les populations se sont manifestées par la mise en place d’un corps d’écogarde composé d’hommes et de femmes. Il s’agissait de notre contribution pour appuyer le parc en termes de conservation contre les aménagements, les divagations… Deuxièmement, il y a un volet important qui concerne le tourisme.
Le parc améliore-t-il le quotidien des villageois ?
Je rappelle que le parc accueille, au moins, 14.000 visiteurs par an. Les populations ont ainsi créé une boutique artisanale pour montrer nos traditions et nos cultures. Les femmes se chargeaient de cet aspect. On avait aussi un campement villageois qui faisait de la restauration et de l’hébergement. On avait également des pirogues. Dans les recettes qu’on tirait de ce tourisme, il y avait une redevance à hauteur de 8% qu’on donnait au parc pour contribuer à la marche de ce patrimoine. Le plan prévoyait la création d’un comité de santé ainsi que l’aide aux populations qui ont des problèmes d’accès à l’eau. Malheureusement, ledit plan est arrivé à terme en 2003. Ensuite, il y a eu le programme Compact qui a été financé par le Fonds mondial pour l’environnement. Ainsi, chaque village a eu droit à un projet financé dans l’aménagement et la conservation. Malheureusement, tous ces projets sont terminés. À la fin de ces projets, la collaboration entre les populations et le parc a continué, je ne dirais pas que les objectifs ne sont pas atteints, mais il reste beaucoup de choses. De plus, ces organes cités plus haut comme le Comité inter villageois du parc, le Comité de gestion du parc, le Comité scientifique et le comité d’orientation ne fonctionnent plus.
Pourquoi ces instances ne fonctionnent plus ?
Cela fait partie des manquements qui ont créé des problèmes. Quand on est ensemble et qu’on n’a pas de dynamique organisationnelle, le travail ne sera pas bien fait. Le Djoudj est une réserve de biosphère transfrontalière entre la Mauritanie et le Sénégal. On ne sent pas cette gestion de réserve de biosphère. Il faut faire de la sensibilisation parce que la population a un rôle à jouer. L’autre chose est que le parc est menacé. Il subit une forte pression de l’élevage, dans la pêche illicite. On ne peut pas oublier les changements climatiques.
Pourquoi les populations s’attaquent aux ressources du parc ?
Les lieux de pêcheries traditionnelles sont tous aujourd’hui envahis par les typhas parce qu’il y a de l’eau douce et la prolifération des végétaux aquatiques. Par conséquent, les pêcheries traditionnelles ont disparu. Si l’on ne mange donc pas du poisson de Saint-Louis, on va manger autre chose que du poisson. La situation démographique a fait que les jeunes ont grandi et chacun veut subvenir à ses besoins. Ils vont s’attaquer au parc. Résultats des courses, la pêche illicite a pris des proportions inquiétantes dans le parc. Cela mérite une réflexion de la direction du parc. Aujourd’hui, je ne vois aucun projet de développement depuis le programme Compact. Nous sommes concurrencés dans le cadre du tourisme par l’hôtel du Djoudj qui a ses pirogues. Pour aider les populations, il fallait leur laisser l’exclusivité du plan d’eau avec les jeunes qui gèrent les pirogues. On doit aussi gérer les entrées parce que chaque touriste qui entre dans le parc, paye 5000 Fcfa et les véhicules stationnés paient 10.000 Fcfa. Mais l’argent est versé au Trésor. On pourrait pourtant ponctionner dans cette somme une redevance pour aider les villages à se développer. Avec le tourisme, on a 500.000 voire un million de Fcfa par village par an. Cela ne peut pas nous conduire au développement. Ce sont donc des aspects qui pourront permettre aux villageois de se développer grâce au parc. Il faut diminuer la pression que subit le parc en mettant en place des projets pilotes. Aujourd’hui, nous réclamons les assises du Djoudj pour voir si l’objectif fixé à travers ces plans quinquennaux pour intégrer ces populations est atteint ou pas. On pourrait dresser des perspectives et voir la dynamique organisationnelle du Djoudj.
Que faites-vous pour sensibiliser les populations contre la pêche illicite et le braconnage ?
C’est un phénomène qui est là et s’est accéléré depuis 3 ans. On arrête des gens pour les mettre en prison, mais ça ne règle pas le problème. Le Djoudj doit dépasser d’arrêter des gens pour les mettre en prison, vu sa dimension internationale. On doit engager une réflexion sur l’utilisation rationnelle et durable de la ressource. On avait mis en place une charte de gestion durable des ressources avec des repos biologiques, de la pisciculture. On ne peut pas laisser des ressources ici et voir les gens mourir de faim. Ils vont attaquer le parc. Ici, l’émigration clandestine n’est pas une option pour les jeunes. Je ne dirais pas que le parc ne nous apporte rien. Ce serait vraiment malhonnête de dire cela. La direction du parc nous a invités à venir travailler avec elle dans le cadre d’une collaboration. Mais on ne voit pas de projets de développement pour les villageois. Des efforts sont donc là, mais il faut plus réduire la divagation du bétail, la pêche illicite. En matière de conservation et de développement durable, des partenaires sont prêts à nous accompagner. Les populations doivent être mieux sensibilisées par des experts de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, des cabinets pour engager des discussions. Moi, j’ai assisté à 3 plans d’aménagement et de gestion du Djoudj, mais sa mise en œuvre complète pose problème.