La hausse du prix de l’oignon, vendu à 1200 FCfa le kg, est indépendante de leur volonté. Rattrapés par un choc exogène et la rupture de la production locale, les commerçants du marché aux légumes de Thiaroye-Gare se dédouanent et soutiennent que le Magal de Touba, prévu dans moins d’un mois, n’a aucun lien avec ce renchérissement. Les ménagères tentent de trouver des astuces pour servir des repas succulents malgré la conjoncture.
Odeur, sol boueux et noirâtre, les allées dégagées, les tables disposées par-ci et par-là. Les étalages de légumes à même le sol, des voitures qui déchargent des légumes bloquant des allées déjà étroites… C’est l’ambiance au marché de Thiaroye-Gare ce lundi à 12h. Le parc d’oignon est presque vide. Cette partie du marché, d’habitude bien ravitaillée, a changé de visage. Seules quelques dizaines de sacs sont interposés çà et là. Les commerçants causent tranquillement sous les abris en paille qui leur servent de hangars. « Il n’y a pas d’oignon sur le marché. Nous avons constaté une rupture de stock réelle. Nous sommes à la fin de la campagne de l’oignon local et le début des importations. C’est pourquoi nous avons noté cette tension. Les prix ont flambé », confirme Pape Ndao, commerçant grossiste au marché de Thiaroye. Le sac de 25 kg est vendu entre 25 000 FCfa pour l’oignon importé et 22 000 FCfa pour le local. Mais, pour le commerçant, cette hausse est aussi justifiée par la rareté du produit. « L’oignon local que nous vendons actuellement vient de Potou et de Gandiole. Mais, dans ces zones, le stock est presque épuisé », dit-il.
Responsable du parc d’oignon, ce commerçant compte, avec un autre vieux, des liasses de billets de banque. À la question de savoir si, l’année dernière, à la même période, les prix ont atteint ce niveau, il rétorque : « C’est la première fois que nous vivons une situation pareille avec l’oignon, surtout local. Le prix du sac n’a jamais atteint 17 000 FCfa. C’est pareil aussi pour les prix à l’importation. Nous achetons actuellement le sac de 25 kg à 15 000 FCfa. Avec le prix du transport, cela avoisine les 17000 FCfa. C’est pourquoi nous le vendons à 20 000 FCfa et ceux qui revendent en demi-gros l’échangent à 22 000 ou 22 500 FCfa », poursuit M. Ndao.
Faute de disponibilité d’un produit de bonne qualité, notre interlocuteur explique que l’oignon qui était jeté auparavant ou vendu entre 2500 et 3000 FCfa maximum, à savoir l’oignon rouge long de Florence, est, aujourd’hui, commercialisé entre 14 000 et 15 000 FCfa le sac de 25 kg. S’activant dans la vente en gros d’oignon et de pomme de terre depuis 36 ans, le vieux Ndao explique qu’à la même période de l’année dernière, le prix était entre 12 000 et 13 000 FCfa. « Il y a aussi les effets du changement climatique qui font qu’on perd de plus en plus de surfaces arables. Et cette situation est vécue partout à travers le monde. Si les choses ne changent pas, nous arriverons à un niveau où ce que nous cultivons ne pourra pas nous nourrir », avertit le commerçant.
« Un choc exogène »
À quelques mètres du lieu de négoce du vieux Pape Ndao, Adama Guèye a devant lui moins de 10 sacs d’oignon rouge long de Florence, une variété à petit bulbe allongé qui, en général, est peu consommée par les ménages sénégalais à cause de son bulbe trop petit. Assis sur une table posée sous un grand parasol, ses deux béquilles à côté de lui, ce demi-grossiste accuse les commerçants d’avoir « créé » ce renchérissement des prix. « Ils achètent le sac à 20 000 FCfa auprès des grossistes et le revendent à 23 000 FCfa. Mais, le Magal n’a rien à voir avec cette hausse. Moi, je m’approvisionne auprès des grossistes qui viennent sur le marché. Et parfois, je me rends à Dakar où j’achète auprès des importateurs. Je ne pense pas que les prix puissent baisser parce que c’est un choc exogène », témoigne-t-il.
D’après lui, malgré cette rupture, l’oignon sera toujours disponible sur le marché. Il y a deux bateaux qui sont déjà au Port autonome de Dakar et un autre est attendu ce jeudi 10 août.
Si Adama Guèye accuse les commerçants, du côté des détaillants, on appelle l’État à la rescousse pour le dédouanement des conteneurs accostés au port de Dakar. « Nous demandons à l’État de nous aider à dédouaner les bateaux qui sont déjà au port. Aujourd’hui, il n’y a que deux conteneurs qui sont arrivés sur le marché pour ravitailler plus de 300 commerçants. Chaque conteneur fait 1200 sacs. Et quand nous l’avons réparti, nous nous sommes retrouvés avec, au minimum, cinq ou six sacs chacun », regrette Mame Goor Diouf.
Présent sur ce marché depuis plus de 18 ans, ce détaillant étale par terre, devant son magasin, de l’oignon et de la pomme de terre importés. Il se rappelle le bon vieux temps où ils pouvaient décharger jusqu’à 30 conteneurs par jour. « C’est juste pour la survie de notre business, mais à ce rythme, rien ne marche. On peut rester une semaine sans même avoir trois conteneurs. Nous sommes tous préoccupés par cette hausse des prix. Nous ne pouvons pas disposer d’oignon correctement. Vous voyez par vous-même, nos cantines sont presque vides. Actuellement, nous n’avons que 10 ou 20 sacs chacun, alors qu’en temps normal, nous avions 1000 tonnes ou plus », ajoute-t-il d’un air désemparé.
Achetant le sac d’oignon importé à 22 000 ou 23 000 FCfa auprès des grossistes, il le revend en tas de deux kg à 2000 FCfa. « Ils nous vendent le kilogramme à 950 FCfa et nous le revendons à 1000 FCfa. Nous ne gagnons que 50 FCfa sur chaque kilo et 1250 FCfa par sac alors que nous payons pour la location de nos magasins entre 25 et 40 000 FCfa le mois », déplore notre interlocuteur.
Les ménagères désorientées
Du côté des ménagères, c’est le même cri du cœur. Fatou Guèye est déboussolée. Son sac à la main, elle avance d’un pas lent vers les demi-grossistes. Elle s’approche des tas de 1000 et 2000 FCfa, puis recule. Elle revient auprès d’un autre étalage où sont exposés des tas d’oignon de diverses tailles. « Tout est cher actuellement. Les condiments, les légumes, c’est pareil. C’est intouchable. Si vous achetez quelque chose aujourd’hui, vous revenez le lendemain, on vous dira que son prix a grimpé. C’est vraiment difficile pour les ménages. Le tas de quatre oignons moyens que vous voyez coûte 500 FCfa », narre-t-elle, le regard triste.
Cette dame, comme la plupart des ménagères, confie qu’elle essaie de joindre les deux bouts ; et parfois, elle se rabat sur le produit de mauvaise qualité, l’oignon rouge long de Florence, à bas prix, pour avoir de la quantité. « Avant, je n’ai jamais acheté cet oignon de mauvaise qualité, mais je n’ai plus le choix avec cette conjoncture », fait savoir Fatou Guèye. Coumba Ndiaye, ménagère et vendeuse de légumes, de renchérir : « Je n’ai jamais vécu une situation pareille au marché Thiaroye depuis ma naissance. Et je pense que les choses ne feront qu’empirer ».
CHEIKH BAMBA NDAO, DIRECTEUR DU COMMERCE INTÉRIEUR
« On attend 6000 tonnes d’oignon d’ici mercredi au plus tard »
Après les 2400 tonnes d’oignon importé arrivées sur le marché national, le week-end, il est attendu, au plus tard mercredi, 6000 tonnes de plus. L’information a été donnée par le Directeur du Commerce intérieur, Cheikh Bamba Ndao, dans un entretien téléphonique qu’il nous a accordé. D’après lui, son équipe travaille pour éviter toute spéculation sur le prix à l’approche du grand Magal de Touba qui aura lieu dans moins d’un mois.
Il est noté, depuis quelques jours, une tension sur le marché de l’oignon au Sénégal. Qu’est-ce qui la justifie ?
Cette tension résulte, d’une part, d’un déficit de l’offre. Nous sommes dans une période où la production locale est insuffisante et les importations qui devaient prendre le relai sur le marché tardent à se réaliser. D’autre part, au niveau international, le Maroc avait fermé ses frontières ; ce qui a entrainé la suspension des exportations. Il y a eu également des retards de récolte en Europe, principalement en Hollande qui est notre principal fournisseur. Ce sont autant de faits cumulés qui font qu’on a noté cette tension sur le marché de l’oignon. On est en train de prendre toutes les dispositions pour améliorer la disponibilité du produit et la stabilité des prix.
Quand est-ce que le gel des importations d’oignon a été levé ?
Depuis le 11 juillet dernier. Mais, après 25 jours, les importations tardent à se réaliser compte tenu de la raréfaction du produit sur le marché. C’est une situation qui fait que même sur l’international, les prix sont à la hausse, le sac d’oignon coûtant environ 20 euros (16 000 FCfa). Sans compter le problème de disponibilité du produit.
Quel est le dispositif mis en place pour faire face à cette situation ?
Nous travaillons, en relation avec les importateurs, pour leur faciliter les importations. Durant le week-end écoulé, on a eu 2400 tonnes d’oignon. Et on attend, d’ici mercredi au plus tard, 6 000 tonnes. Par ailleurs, nous travaillons, d’une manière diplomatique, pour voir s’il y a une possibilité d’avoir un couloir pour libérer encore un quota pour le Sénégal en provenance du Maroc. L’avantage qu’on a avec le Maroc, c’est que c’est juste deux jours de voyage pour que le produit arrive à Dakar. Donc, nous y travaillons avec nos collègues marocains et il y a une délégation qui sera là-bas demain (aujourd’hui), pour négocier afin d’avoir un quota qui nous permettra de couvrir les besoins du marché.
Pour l’oignon local, pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation de rupture de stock ?
Les rendements qu’on espérait n’ont pas été au rendez-vous. Donc, c’est normal que le stock soit épuisé à cette période. Nous n’avons pas également d’infrastructures de stockage nous permettant de conserver l’oignon local durant une longue période. C’est pourquoi, à une période de l’année, on est obligé de se rabattre sur les importations. Nous subissons des chocs exogènes concernant le marché de l’oignon.
Mais, par rapport au stockage, il y a des chambres froides à Diamniadio avec le Marché d’intérêt national…
Si, mais tout ce qui était stocké là-bas a été distribué. Nous sortons de la Tabaski. En temps normal, la consommation nationale est de 30 000 tonnes d’oignon par mois. Durant la Tabaski, nous avons dépassé plus de 50 000 tonnes. Après, on enchaine avec la Tamkharite (Achoura) et les évènements religieux comme le grand Magal et le Gamou… Ce sont des périodes de forte demande. Vu que nous n’avons pas de stock important, cela a créé cette tension. C’est pourquoi nous travaillons à mettre en place un bon niveau de stock. Ce sont les infrastructures de stockage qui nous permettront de faire face à ces situations. Il faut nécessairement que nous ayons des chambres froides un peu partout pour nous permettre de conserver, sur une longue période, la production locale que nous avons et qui est actuellement de qualité. Mais, l’insuffisance de ces infrastructures fait que nos producteurs sont obligés de vendre rapidement leur production pour éviter qu’elle ne pourrisse entre leurs mains. Nous travaillons quand même à améliorer la disponibilité du produit et nous espérons que, d’ici peu, cette situation sera derrière nous. Et pour le Magal de Touba, nous travaillons pour qu’il n’y ait pas de spéculation sur les prix.