Le rapport souligne que les terres rares sont au cœur d’un paradoxe environnemental. Ces minerais sont indispensables pour la transition énergétique et la décarbonation de l’économie, mais leur processus d’extraction est très nocif pour l’environnement.
Alors que l’Occident se tourne vers l’Afrique pour sécuriser son approvisionnement en terres rares et réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine, les pays du continent sont appelés à faire de douloureux arbitrages entre les enjeux économiques et les dangers environnementaux liés à l’exploitation de ces minerais indispensables à la fabrication de technologies-phares de la transition énergétique et d’appareils électroniques, selon un rapport publié en juin dernier par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels de plusieurs secteurs.
Intitulé « Les terres rares en Afrique : des opportunités, mais aussi des risques environnementaux », le rapport rappelle que les terres rares sont un groupe de 17 éléments chimiquement apparentés sous forme minérale, dont le scandium, l’yttrium et les quinze lanthanides (y compris le néodyme et le praséodyme). Ces métaux ont des propriétés magnétiques et optiques indispensables pour la fabrication de voitures électriques, des panneaux photovoltaïques et des éoliennes. On les retrouve également dans les puces de smartphones, les écrans d’ordinateurs portables, les tableaux d’affichage des stades, la robotique, l’aéronautique, les lasers médicaux, les capteurs de radars, les sonars ou encore les armes.
Contrairement à ce que leur nom peut laisser penser, les terres rares sont plutôt assez répandues dans de nombreux pays. En réalité, leur « supposée » rareté tient au fait que peu de nations en dehors de la Chine ont accepté de payer le coût environnemental assez élevé lié à leur exploitation.
Compte tenu du large spectre d’applications industrielles de ces minerais, leur demande est appelée à croître dans les années à venir. Même si certains constructeurs tentent de substituer les terres rares par d’autres métaux, la demande émanant du secteur de l’industrie automobile ne devrait pas faiblir au moins jusqu’en 2030. Il en sera de même pour les autres secteurs.
Avec une part de 60% dans l’offre mondiale, la Chine est actuellement le principal producteur de terres rares.
Pour briser la domination chinoise, l’Occident jette son dévolu sur l’Afrique
La domination exercée par la Chine sur la majeure partie la chaîne de valeur de ces minerais a déjà provoqué des tensions géopolitiques. En 2010, un différend territorial entre la Chine et le Japon avait déjà incité Pékin à décréter un embargo sur les exportations des terres rares vers Tokyo. En 2019, l’empire du Milieu a brandi la menace de priver les États-Unis de ses terres rares, en représailles à la décision de Washington d’interdire aux entreprises américaines de fournir leurs technologies au géant chinois des télécommunications Huawei.
En outre, la Chine avait instauré des quotas d’exportation pour « protéger ses ressources menacées d’épuisement ». Les États-Unis, l’Union européenne et le Japon ont riposté en portant l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui leur a donné raison en 2015.
Production de terres rares dans le monde de 1960 à 2012
Après avoir pris connaissance de leur vulnérabilité face à la Chine, les pays occidentaux ont commencé à chercher d’autres alternatives à l’offre chinoise pour assurer un approvisionnement plus diversifié, plus sûr et durable en terres rares. L’Afrique s’est ainsi érigée en principale destination des compagnies occidentales, mais aussi chinoises désireuses de se positionner sur de nouveaux projets.
Le rapport élaboré par notre confrère Louis-Nino Kansoun précise dans ce cadre que plusieurs pays du continent disposent de grandes réserves de terres rares, jusqu’à ce jour très peu exploitées.
La première (et la seule à l’heure actuelle) mine de terres rares du continent est entrée en production en 2017 au Burundi. Ce petit pays d’Afrique de l’Est s’est allié à la compagnie minière britannique Rainbow Rare Earth (RRE) sur le projet Gakara, qui héberge une ressource d’environ 1,2 million de tonnes de minerais.
Plusieurs pays se préparent à le rejoindre dans le cercle fermé des producteurs, en dehors de la Chine. En Angola, l’Etat fonde de grands espoirs sur le gisement de Longonjo, dont l’exploration et l’exploitation a été confiée à la compagnie britannique Pensana. Cette dernière prévoit de produire annuellement 60 000 tonnes de concentré de terres rares sur neuf ans. En Tanzanie, Peak Rare Earths, une compagnie détenue à 19,9% par le chinois Shenghe Resources, est active sur le projet de terres rares Ngualla.
Huit autres pays africains (Kenya, Ouganda, Mozambique, Namibie, Malawi, Afrique du Sud, Madagascar, Côte d’Ivoire) s’apprêtent aussi à exploiter des mines de terres rares. L’examen des divers projets africains laisse apparaître bataille qui se dessine entre l’Occident et la Chine, même si les entreprises occidentales semblent dominer pour le moment.
Un processus d’extraction très nocif pour l’environnement
Le rapport souligne d’autre part que les terres rares sont au cœur d’un paradoxe environnemental. Elles sont nécessaires à la transition énergétique, mais leur processus d’extraction est très nocif pour l’environnement.
Les terres rares polluent surtout à cause de leurs propriétés chimiques. Ces métaux sont concentrés ensemble dans les gisements, ce qui implique une étape de séparation après extraction afin de les utiliser de façon individuelle. Mais le processus de séparation nécessite différentes opérations qui entraînent des rejets polluants. D’un autre côté, les teneurs en terres rares des gisements sont extrêmement faibles (1% à 5%) ce qui veut dire que les compagnies minières sont obligées d’extraire une grande quantité de roche pour en tirer une petite quantité de terres rares en fin de processus.
L’extraction de ces minerais, qui ont également un rayon ionique proche de ceux d’éléments radioactifs comme l’uranium et le thorium, a également des impacts négatifs sur la végétation, les sols et l’eau.
Mais pour les pays africains hôtes des ressources de terres rares, l’enjeu est de profiter des opportunités pour booster les économies locales. A ce titre, le cas de l’Angola est très révélateur. Le pays a mis en place divers mécanismes pour tirer pleinement profit de l’exploitation de ces minerais. Outre l’octroi à Pensana d’un permis d’exploitation d’une durée inhabituelle dans le secteur minier (35 ans renouvelables), le fonds souverain angolais a pris une participation de 23,1% dans le projet.
Le contrat minier conclu entre les deux parties prévoit aussi 2% de redevances à verser à l’État sur les revenus de la mine ainsi qu’une taxe nationale de 20% et une taxe municipale de 5% sur les revenus, après deux ans d’exonération fiscale.
Pour sa part, le Burundi a suspendu en 2021 les activités de plusieurs sociétés, dont Rainbow Rare Earths, afin de renégocier les contrats conclus avec les entreprises minières actives sur son sol. Dans cette recherchée effrénée de recettes, les pays africains gagneraient pourtant à mettre davantage d’accent sur la manière dont les entreprises étrangères gèrent les risques environnementaux. Mais comme le prouvent les expériences passées, les Etats africains qui se sont trouvés obligés de faire ce genre d’arbitrages ont souvent choisi les revenus pour l’économie au détriment de l’impact sur l’environnement. Cette problématique fait d’ailleurs partie des facteurs évoqués quand il s’agit de parler de la malédiction des ressources naturelles qui gangrène le continent.