On n’en parle pas souvent. Mais comme les femmes, il y a des hommes qui subissent des violences conjugales inouïes. Battus, maltraités ou humiliés, ces époux « malheureux » vivent une souffrance quotidienne ponctuée par des risques psychiques.
Ibrahima KANDE (Correspondant)
VÉLINGARA – Pleurs. Douleurs. Déshonneurs… Djouldé Diao coche toutes ces trois cases. Taille moyenne et minois gai, ce père de 3 enfants est torturé à longueur de journée par une épouse qui fait la pluie et le beau temps au domicile conjugal. Ce calvaire dure depuis plusieurs années et Djouldé ne sait plus où donner de la tête. « Je vis l’enfer sur terre. Mon épouse que j’ai aimée et chérie m’empêche de dormir à poings fermés. Elle me cherche toujours des noises sans motifs », murmure-t-il, le regard vitreux, la voix cassée. À Sikilo, populeux quartier célèbre de Kolda, tous pointent du doigt son épouse, « une dure à oreille » qui n’en fait qu’à sa tête et foule aux pieds les valeurs et coutumes qui fondent le socle familial. « Physiquement, je suis plus costaud qu’elle ; mais elle connaît ma faiblesse. Soit elle sort à n’importe quelle heure et rentre tard sans fournir d’explications. Soit, elle punit mes enfants juste pour me faire mal. Quand je lui demande pourquoi elle se comporte de la sorte, elle me crie dessus et ses cris alertent tout le voisinage », se lamente Djouldé Diao.
Le cas de cet homme est l’arbre qui cache la forêt. Nombreux sont, en effet, les maris qui souffrent dans leur ménage. « Comme les femmes, il y a aussi des hommes victimes de violences conjugales qui viennent nous voir. Et le nombre est significatif », liste Mariame Diarra, juriste et responsable de la Boutique de Droit de Kolda. La réalité est donc vivace. Le phénomène existe. Certains époux sont insultés et humiliés. D’autres défiés et marginalisés, surtout lorsqu’ils traînent une maladie ou une certaine impuissance ou dénuement. « L’homme peut perdre son travail et ne plus avoir les revenus qu’il avait naguère. Il peut, progressivement, sur le plan physique avec l’âge ou une pathologie quelconque, vivre dans une situation où il ne peut plus répondre aux sollicitations physiques de son épouse. Toutes ces choses-là peuvent le rendre plus ou moins vulnérable. C’est quelqu’un qui vit un quotidien extrêmement difficile, il peut même être battu. Mais il est obligé de pleurer sans gémir parce qu’il y va de son image dans la société et dans la communauté », explique le sociologue, Djiby Diakhaté. Il renchérit : « Il y a un délitement des valeurs qui, jusque-là, ont déterminé le fonctionnement de la société, notamment l’organisation de la cellule sociale de base que constitue la famille. Dans nos traditions, le mariage était considéré comme un acte sacré. Il venait consolider davantage les relations de parenté qui existaient au niveau de la famille élargie. Au fond, ce mariage qui était endogamique reposait sur la nécessité de respecter les valeurs jusque-là entretenues par les ancêtres. Donc, les conjoints étaient conscients de ce poids moral qui reposait sur eux et étaient obligés dans leur comportement au quotidien d’être en phase avec les règles qui organisent la vie harmonieuse au sein du couple ».
Toutefois, il se trouve qu’aujourd’hui ces valeurs-là ont tendance à être délaissées au profit de considérations matérialistes qui mettent surtout l’accent sur la beauté physique ou sur l’avoir. Par conséquent, l’autorité qui était accordée à l’homme, a tendance à s’émousser avec la perte progressive des valeurs. À cela s’ajoutent les influences multiformes qui viennent d’horizons différents et ont tendance à transformer la façon de voir d’une grande partie de la population, notamment la frange juvénile.
La bastonnade fait partie du quotidien de Mody Diop. Gringalet au teint cuivré, il est brutalisé par une épouse plus forte physiquement. Et pourtant au début, tout allait bien entre les deux amoureux. Mais depuis qu’il est cloué au lit par une fichue maladie de cœur, Mody ne fait plus la loi à la maison. Son épouse, Fatoumata Barry, gère le foyer à sa guise. « Elle se rebelle sans cesse et parfois m’impose sa force physique. J’évite de mon mieux de m’opposer à elle parce que souvent cela est synonyme de querelles à n’en plus finir. Nos enfants sont maintenant grands et ils assistent souvent à nos querelles et ce n’est pas bon pour leur éducation », déplore Mody.
Dévalorisation, désespoir…
Ce jour-là, se souvient Samba Camara, une altercation avec son épouse a mal tournée. Son épouse s’est agrippée à ses parties intimes devant leurs enfants. C’était, il y a 7 ans. Une matinée de décembre 2017 au moment où les Camara s’apprêtaient à prendre le repas de midi, une vive dispute éclate entre Samba et son épouse Mariama. Et sans tiquer, la dame fonce sur son mari, le terrasse et s’agrippe à son sexe. Celui-ci crie de vive voix, ses enfants et les autres membres de la famille accourent et supplient Mariama de se lever. Mais elle refuse catégoriquement et continue sa sale besogne. Il a fallu l’intervention des voisins et de bonnes volontés pour sortir Samba des « griffes » de son épouse. « Elle voulait ma mort parce qu’elle tenait entre ses mains ce qui fait de moi un homme. J’ai eu honte et depuis ça me poursuit toujours. J’essaye d’oublier cette affaire sordide. Mais je ne peux pardonner son acte irrespectueux. Déjà, elle me causait beaucoup de stress à cause de ses mauvaises fréquentations. Maintenant, elle se met à se battre contre moi. Un comportement que je ne peux tolérer », confie Samba Camara.
Membre du cercle des maris battus, Seydou Diagne vit un foyer cauchemardesque. Il vit un stress et une pression familiale indescriptibles. D’une part, sa femme lui cause tous les problèmes du monde avec un comportement indigne d’une mère de famille. D’autre part, sa famille biologique le pousse à divorcer. « Je suis pris entre le marteau et l’enclume. J’ai une femme difficile qui est source de tous mes maux. D’ailleurs, à cause de son mauvais comportement, je n’ose pas élever la voix en public, les gens se moquent de moi sans se cacher. En outre, mes sœurs sanguines m’invitent à la larguer et à épouser une autre. Je suis dans un dilemme cornélien et cela me cause un stress permanant. Si ça continue, je risque de prendre une mauvaise pente », prévient-il, des tremolos dans la voix.
Des effets collatéraux catastrophiques
La vie infernale vécue par un père de famille peut impacter négativement sur l’avenir des enfants. « Lorsque des enfants issus de ce couple grandissent, ils peuvent penser que le modèle utilisé par leurs parents est le bon modèle. Vous aurez donc un garçon qui grandit, se marie et pense qu’il doit frapper sa femme. Ou alors une fille qui grandit, se marie et considère qu’elle doit défier son époux. Cela vient fragiliser le régime matrimonial. Les effets collatéraux sont catastrophiques aussi bien pour le couple que pour les enfants », explique le sociologue Djiby Diakhaté. Pas que ! Cette situation peut causer l’irréparable. « Même s’ils vivent dans le luxe, les maris battus endurent la souffrance. Laquelle fait qu’ils n’ont pas la paix et ne sont pas épanouis ni sur le plan familial encore moins sur le plan professionnel. Cela conduit inéluctablement à un sentiment de dévalorisation et à des actes de dissociation, de désespoir ou d’extrêmes comme les meurtres ou les suicides », prévient Moussa Niang, psychologue-conseiller.
Un homme battu symbolise la faiblesse, la honte…
Le sujet est tabou. La configuration sociétale attribue un statut à l’homme et à la femme. Le mâle symbolise le courage, la force, l’endurance et l’autorité. Alors que la femelle est synonyme de soumission et d’obéissance. C’est elle qui doit gérer le foyer et est le sexe faible. Bref, la socialisation confère à la femme et à l’homme un ensemble de qualités et de devoirs. C’est pourquoi, un homme battu, aux yeux de la société, est mal perçu. Dans nos sociétés traditionnelles, cela symbolise la faiblesse, la honte et le déshonneur. Donc, l’homme battu n’a pas droit au chapitre. Il a peur de la stigmatisation et du jugement des autres. Ce qui remet non seulement en cause son autorité familiale mais aussi influe sur ses rapports avec la société. « Quand un homme est victime de violence conjugale, il peut avoir une perte d’autonomie. Cela crée un sentiment de honte et de mépris quotidien. À la longue, il peut perdre sa joie de vivre. Il ne se sent pas épanoui dans le ménage ni avec ses enfants ni dans l’environnement familial. Cela peut conduire à des actes de dissociation ou de désespoir. L’homme se révolte et exerce la violence sur la femme ou sur lui-même ou encore sur ses enfants ou ses amis. L’homme peut aller jusqu’à commettre des meurtres ou le suicide », renseigne Moussa Niang, psychologue-conseiller.
La vie future du couple peut être affecté
« Mes enfants ont tellement assisté à nos scènes de violence qu’ils sont maintenant vaccinés. Mais ces images vont surement perturber leur quotidien et influer négativement leur vie de couple, plus tard », regrette Awa Barry, une épouse réputée être une « batteuse » de mari dans le célèbre quartier Vélingara-Fulbé. « Cette situation de mari torturé perturbe le développement normal des enfants. Parce qu’ils assistent très souvent à des scènes mettant en avant une sorte d’écrasement de leur papa par leur maman. Tout se passe comme si ces enfants entretiennent une révolte, un mécontentement et une colère à l’endroit de leur mère qui fait subir à leur père un véritable supplice au quotidien. Ces enfants peuvent présenter des difficultés d’apprentissages à l’école. Ils peuvent être colériques et peuvent aller jusqu’au repli total sur eux-mêmes et avoir de véritables problèmes sur le plan relationnel. Cela peut conduire à des cas extrêmes où l’enfant sort complètement de la maison et se retrouve dans la rue », alerte le sociologue Djiby Diakhaté.
NB : Certains noms ont été changés.