« Timeless : Rêveries d’hier, songes du présent, promesses des lendemains » est le titre de la programmation du Musée de la Photographie de Saint-Louis (MuPho). On y comptera une trentaine d’expositions pour cette saison, qui devra connaître son terme à l’été 2024. Samedi dernier, le Laboratoire (chapitre des débats), prévu les week-ends, a été l’occasion de célébrer les pionniers Félix Diallo et James Barnor.
Par LE SOLEIL
« Timeless » sera visible jusqu’à l’été 2024 sur l’île de Saint-Louis, principalement au quartier Sud, encore appelé Sindoné. Ce sera notamment dans huit espaces ou îlots muséaux (Musée 0 à 7) qui engrossent différents spectres d’histoires, de vies et d’icônes. Cet archipel de musées, le temps de cette saison 2023-2024, plonge avec ses visiteurs dans l’intemporalité que permet la magie de la photographie. L’exposition est une production de l’institution Musée de la Photographie de Saint-Louis (MuPho), dont le promoteur (ex-président de l’Ism), Amadou Diaw, nourrit le rêve de créer un pont entre l’œuvre des pionniers et l’esprit créateur de la nouvelle génération qu’il nomme « Ecole de Saint-Louis ». C’est ainsi que le programme surpasse la magie de l’image, en apportant des narratifs qui prononcent la lumière sur ces passés. Le Laboratoire du MuPho est un forum qui invite des témoignages intelligibles de spécialistes de divers profils, à Kër Thiane (Musée No 4 de l’archipel).
Samedi dernier, dans la matinée, le chapitre était consacré aux pionniers africains de la photographie. Le Ghanéen James Barnor et le Malien Félix Diallo, et leurs œuvres étaient à l’honneur. L’avocate et collectionneuse nigériane, Bimpe NKontchou, a entretenu le public de l’œuvre du pionnier ghanéen. Aujourd’hui âgé de 96 ans, James Barnor se taille la particularité d’être la mémoire de deux à trois segments d’Histoire au travers de son expérience de plus de 40 ans. Pour avoir débuté la photographie en 1947, dix ans avant l’accession de son pays à l’indépendance, James Barnor a capté les mutations de son pays. À travers son œuvre, on imagine la période coloniale en Gold Coast, la lutte pour la souveraineté nationale et les balbutiements de l’État ghanéen.
Me Bimpe NKontchou, par ailleurs conseillère de James Barnor, a projeté une photo de Kwame Nkrumah datée de 1956. Le leader indépendantiste et panafricaniste est pris de dos dans une manifestation militante, légèrement en biais, avec l’inscription Nlm (Mouvement national de libération) au niveau de l’omoplate. Cette photo remonte à ses années de photojournaliste pour le compte de Daily Graphic, métier qu’il a débuté en 1950. Un an auparavant, il avait ouvert son premier studio-photo installé en plein air, avant d’inaugurer un studio-boutique qui était aussi un lieu de rencontres et de conciliabules. Il avait là l’opportunité de photographier les honnêtes gens et leurs humeurs, avant que le photojournalisme lui permette d’immortaliser les rumeurs de son pays. Il procédait, déjà à cette époque, aux modifications graphiques. Plus tard, il sera aussi un précurseur de la photo en couleur.
« Timeless », un pont entre l’œuvre des pionniers et l’esprit créateur de la nouvelle génération
Son œuvre de cette période est ainsi un fond d’archives d’exception dans cette période où l’info est rare et le cinéma inabordable. James Barnor s’installe ensuite à Londres, en 1960, où il photographie essentiellement la diaspora négro-africaine. Là encore, son travail offre des regards sur les conséquences socioculturelles de la migration, voire renseigne sur l’ambivalence identitaire de ces communautés. Son œuvre hors pair ne connaîtra toutefois une renommée internationale qu’en 2010 quand ses photos figureront dans une expo. À partir de cette date, des expositions sont consacrées à son œuvre à travers le monde. Depuis 2016, le fond d’archives de James Barnor est conservé à la galerie Clémentine de la Féronnière à Paris.
Quant au fond d’archives de Félix Diallo, il l’avait légué à la photographe et historienne de l’Afrique, Erika Nimis. « Le Photographe de Kita » avait lui-même approché la jeune chercheuse pour lui confier « son sac de négatifs » en espérant qu’il serait entre de bonnes mains.
« Il avait arrêté l’activité de photographie et s’était retiré dans les champs depuis 10 ans quand il me confiait ce trésor. Beaucoup de négatifs s’étaient détériorés tandis que d’autres avaient disparu. Il lui restait un petit fond de studio, pour quelqu’un qui a exercé des années 1950 aux années 1980. Ni ses enfants ni personne autour de lui n’avait repris le studio. Il mourra peu de temps après m’avoir cédé ses archives », raconte Erika Nimis, qui animait la partie de la conférence dédiée à Félix Diallo, mort en 1997. Cela pourrait d’ailleurs expliquer quelque peu pourquoi il était moins illustre que Seydou Keïta et Malick Sidibé. Félix Diallo avait quitté son village de Kita pour débarquer à Bamako, à près de 200 km, en 1951. La pratique du métier de couturier lui permet d’acheter son premier appareil-photo. Sa passion pour la photo s’était révélée quand il était à l’école de mission catholique de Kita, et plus tard, dans la capitale, il apprend tous les rudiments du métier dans un magasin de photo tenu par un Français.
Félix Diallo, l’œil de Kita et de toute une époque
« À cette époque, ce n’était pas facile. La photographie était un monopole surtout parce qu’il était plus facile de se procurer les matériels dans les pays côtiers de l’Aof », fait observer Erika Nimis, qui a relevé une écriture visuelle de soi chez Félix Diallo, qui faisait beaucoup d’autoportraits à ses débuts avant de photographier ses proches et son environnement. Quand ce magasin ferma, il était rentré à Kita et avait ouvert son studio, « Photo-Bar », à Kita. C’était devenu un important débit de boissons et un studio incontournable de ce village. Cette période de 1956 coïncidait avec les consultations électorales pré-indépendance et les affaires de Félix ont prospéré avec le marché des photos d’identité. Il fera ensuite beaucoup de formidables portraits sans agrandisseurs, car il n’y avait pas d’électricité à Kita jusqu’en 1975.
Erika Nimis l’a enregistré en 1995 et a croisé ses propos avec les archives exploitées. Elle publiera, en 2003, le livre « Félix Diallo, Le Photographe de Kita », qui contribuera à mieux le faire connaître. Erika Nimis est elle-même une photographe des détails non évidents et des bourgs perdus, en plus d’enseigner l’histoire de l’art. L’intérêt pour le travail de Félix Diallo a dû être insistant avec le temps, lui qui a aussi développé l’aptitude du détail et photographiait les pulsations de son Kita. Kita, une ville située sur la ligne du chemin de fer Dakar-Niger, qui avait une charge historique mystique du temps de l’Empire du Mali, avait ensuite un fort taux d’émigrés, et concentrait une majorité musulmane avec une tolérance des religions traditionnelles devant Félix Diallo qui était chrétien. Kita a érigé sa paroisse en 1888 et reçoit un pèlerinage chrétien depuis le milieu des années 1966. C’est ce village hétéroclite et mouvementé que Félix Diallo a photographié durant plus de 30 ans, avec toute son évolution et ses ponctuations.
Au-delà de l’image figée dans le temps
Une photo fixe un instant. Mais c’est un instant qui permet un mouvement dans les temps et les espaces. Telle la sculpture « Le Marcheur » de Ndary Lô placé au centre du Musée « Kër Thiane » qui reçoit le Laboratoire ».
Ce n’est jamais qu’une simple image, la photo. Elle nous conte toujours une tranche d’histoire. Elle nous permet d’imaginer, voire de ré-imaginer le passé. Elle nous place pareillement dans des perspectives et des rêves qui nous changent. Sur le moment, la photographie peut aussi énerver un maelström de souvenirs, de remords, de chocs moraux, de mélancolie, ou réveiller une révolte romantique ou pratique. Le photographe sud-africain James Carter pourrait confirmer le fait. Lui qui n’a plus été le même avant de ne plus être du tout, après avoir figé l’instant entre « La Fillette et le vautour ». Le Musée de la Photographie de Saint-Louis (MuPho) l’a sans doute compris ainsi en organisant l’exposition annuelle 2023-2024, « Timeless : Rêveries d’hier, songes du présent, promesses des lendemains ». Les histoires et les photographies exposées, samedi dernier, dans les panels « James Barnor : The Roadmaker » et « Felix Diallo, Le photographe de Kita ». Le Ghanéen James Barnor, en tant que photojournaliste, a produit une importante banque d’infos en images. À travers lui, le champ secret du processus de l’indépendance s’est considérablement rétréci.
Imaginer un temps passé
En photographiant des Afro-descendants et la communauté diasporique, il rendait compte de toute la chaleur des émotions et des vérités de la migration. Félix Diallo, moins connu, avait aussi son œil fin. Sur une de ses photos présentées par Erika Nimis, on voit un groupe de femmes portant des pagnes qui célèbrent l’indépendance du Ghana, en 1957. À Kita, où on notait beaucoup de voyageurs, on imagine comment la « publicité » par ces pagnes ont pu, de quelque manière, inspirer ou marquer une conscience indépendantiste. À cette période, et jusqu’encore dans beaucoup de zones en Afrique centrale notamment, le pagne avec des figures politiques ou religieuses chrétiennes était de mode pour la propagande. Un réel tract populaire. Il était encore récemment de mise en période électorale, surtout dans les zones campagnardes. Il y avait encore cette photo d’un groupe d’habitants de Kita prise par Félix Diallo où, durant une expo en 1998, des originaires de cette ville légendent spontanément la photo.
L’appropriation et l’identification peuvent varier dans leurs formes. Il peut arriver qu’une photo nous dépossède de notre mémoire pour s’entourer d’un halo de mythes. Dans les débats qui ont suivi les présentations, le documentariste Sellou Diallo donne un témoignage : « J’ai gardé une photo dans mon bureau que mes enfants appellent « badiène » et avec laquelle ils ont un lien affectif. Cette femme est ma grande sœur et la femme de ma vie. Peut-être le souvenir de femme de ma vie disparaitra et qu’il ne restera que Badiène. C’est la photo d’une femme belle autour de laquelle toute une histoire d’amour est racontée, qui est devenue une icône. Il ne restera un jour que cette histoire et le lien que les héritiers en garderont ». La photo peut aussi être un marqueur sociologique, surtout avec la notion de pose qui dit tout le rapport kinesthésique (quand une personne apprend avec son corps). À ce sujet, on pourrait aussi beaucoup en apprendre avec l’exposition « Le Dernier des studios » de Djibril Sy, reçue à « La Villa » (MuPho 0 de l’archipel). En définitive, « Timeless … » offre des histoires de photographies. La photographie qui fixe des instants, mais des instants qui permettent des mouvements dans des temps et des espaces. Telle la sculpture « Le Marcheur » signée Ndary Lô, placée au centre du Musée « Kër Thiane » et autour de laquelle se déroule le Laboratoire du Musée de la Photographie de St-Louis.