Le troisième long métrage « Marabout Chéri » de la réalisatrice et actrice ivoirienne Kadhy Touré met en scène, dans un humour sarcastique, les ennuis d’un couple depuis qu’un auditeur a débarqué dans la société que gère le mari de Rose, Richard, afin de faire la lumière sur sa gestion de ces deniers publics. Le film a été présenté au public sénégalais, jeudi soir, en avant-première, au Canal Olympia de Dakar.
Par Ibrahima BA
Comment raconter avec autant d’humour et de justesse une partie des tares de notre société sans tomber dans un sentiment du déjà vu ? C’est le défi qu’a réussi la réalisatrice et actrice ivoirienne Kadhy Touré. Dans son dernier et troisième long métrage « Marabout Chéri », elle évoque avec une rare habilité des sujets qui déchirent nos chaumières : maraboutage, infidélité, prévarication des ressources publiques, escroquerie, trahison… Des pratiques abjectes et ignominieuses qui corrompent le bonheur et la cohésion sociale. L’histoire suit tantôt une allure débridée et plonge dans un monde de luxe où seul le pouvoir matériel semble compter.
D’une durée de 82 minutes, cette comédie tournée au cœur des belles tours d’Abidjan, est une immersion dans l’univers mondain d’un couple qui consomme sans compter ; qui vit des deniers publics sans aucune limite possible. Avec « Marabout Chéri », le spectateur se retrouve vite introduit dans une opulence insolente qui n’a rien à voir avec ce que vit une bonne partie des populations africaines. Cela, dans un cadre et un décor somptueux mettant en scène de larges boulevards, de beaux coins et palaces d’une ville émergente ; très loin de certaines grandes métropoles africaines où le désordre dicte sa loi.
Dans ce long métrage plein de rebondissements, la réalisatrice Kadhy Touré ne survole aucun des sujets développés dans le film. En usant d’un humour noir, elle filme pour montrer son désaccord vis-à-vis d’une élite corrompue, championne du détournement de l’argent du contribuable. Les faits que dépeint l’actrice ivoirienne sont ceux que partagent beaucoup de pays du continent. Nombreux sont ceux qui profitent d’être à la tête des sociétés publiques, d’avoir une certaine responsabilité dans l’État, pour soudain changer de vie en abusant des biens sociaux. « C’est un fait très récurrent en Afrique. Dans les sociétés étatiques, les gens surfacturent, vivent au-dessus de leurs moyens et font plein de choses qui passent souvent inaperçues », soutient Kadhy Touré.
VIE DE DANDY
Dans « Marabout Chéri », le couple Rose et Richard mène un train de vie incroyablement élevé, qui n’a rien à voir avec le salaire de l’époux. Ils vivent dans une villa avec piscine. Directeur général de Ivorycom, Richard conduit une voiture Cadillac de plus de 40 millions de FCfa, fréquente les restaurants les plus luxueux de la ville, collectionne des maîtresses qu’il ne manque de barder de toute sorte de cadeaux… Une vraie vie d’un dandy qui s’achève aussitôt lorsqu’un auditeur débarque afin de faire la lumière sur sa gestion. Une panique générale s’empare de la petite famille. Richard tente en vain d’effacer, par tous les moyens, les traces de sa richesse. Sur recommandation de son épouse, il fera appel aux services d’un marabout. Mais ce dernier finira par les escroquer.
Tourné à Abidjan, ce long métrage raconte la misère de ces couples « bourgeois » qui, malgré les richesses amassées, peinent à trouver le bonheur de l’amour. Ils courent tous les jours derrière une richesse qui ne les assure pas pourtant l’essentiel : le bonheur.
Comme pour servir de leçon aux prédateurs du bien commun, à la fin du film, Rose et Richard quittent leur généreuse villa avec piscine pour déménager dans un endroit modeste.
SORCIER DE L’AMOUR
Cette nouvelle vie faite de simplicité va raviver leur amour. Un retour de flamme que le charmant marabout avait pourtant faussement prédit en se passant pour un sorcier de l’amour qui réconcilie les couples. Ce dénouement du film est une façon de rappeler que l’amour se trouve parfois dans les choses les plus élémentaires, les petites attentions, mais aussi certaines épreuves fâcheuses du destin. Entre Rose et Richard, c’est la renaissance après une longue tempête.
Avec ce film, la réalisatrice ivoirienne a réussi le pari de mutualiser les cinémas d’Afrique. Le casting de Kadhy Touré, avec l’association de deux grandes stars (Cheick Yvhane dans le rôle de Richard et Kader Gadji dans celui de Marabout Chéri), permet de garantir à ce long métrage un futur succès.
L’acteur sénégalais, Kader, est devenu une étoile montante du cinéma africain depuis qu’il a été révélé par la série « Maîtresse d’un homme marié ». De son côté, Cheick Yvhane jouit d’une grande notoriété en Côte d’Ivoire en sa qualité de journaliste multimédia et prometteur d’évènements culturels, mais aussi d’auteur de trois ouvrages : (« Regard, chroniques illustrées », « On va se réconcilier Pian ! », « Pathé’O, De fil en aiguille ».
Grâce à son expérience, Kadhy Touré (Rose), qui a joué dans plus de 16 films dans sa carrière cinématographique, s’est inspirée de faits réels autour du maraboutage pour traiter de ce problème de société. « En Côte d’Ivoire, il y a eu une floraison de plusieurs « hommes de Dieu » qui arnaquaient souvent les personnes parce que les gens aiment bien remettre leur destin entre les mains de certains. C’est comme ça que je me suis dit qu’il fallait en faire un film », souligne-t-elle. À son avis, la meilleure façon de faire passer un message, c’est à travers la comédie. Aussi, relève-t-elle, dans ce long métrage, le terme marabout est « abusif » parce qu’en réalité, le film fait allusion aux charlatans qui abusent très souvent de la confiance des gens. Toutefois, dans l’entendement populaire, on parle toujours de marabout. D’où le choix du titre de cet opus.
CHEICK YVHANE (RICHARD), ACTEUR ET JOURNALISTE IVOIRIEN
«J’ai toujours été attiré par le cinéma»
« Je ne dirai pas que je sens l’âme d’un comédien, mais j’ai toujours été attiré par le cinéma. Par le passé, j’ai eu des propositions, mais les choses ne se sont pas faites comme cela se devait. Chaque chose arrive à son temps. Avec Kadhy, les choses sont allées plus facilement et je pense que le résultat est satisfaisant. Pour être un bon journaliste, il faut certainement une belle voix, une bonne diction et une vaste culture, mais le plus important, c’est d’être un bon comédien. Il faut savoir se fondre dans plusieurs boules… »
KADER GADJI (MARABOUT CHÉRI), COMÉDIEN SÉNÉGALAIS
« Ce film m’a confirmé »
« C’est toujours un plaisir pour moi d’interpréter un rôle au cinéma. C’est ma passion. « Marabout chéri » est un charlatan très séduisant qui sait ce qu’il fait. Il est très bien organisé et il sait rendre espoir. Sur un plateau de tournage, je me découvre chaque jour. Et le film « Marabout Chéri » m’a confirmé juste que je peux interpréter tous les rôles que je veux. La réalisatrice n’a pas choisi un acteur sénégalais, mais elle a choisi tout le Sénégal et c’est une fierté pour moi. »