Considérée comme une activité réservée aux femmes, la récolte d’huîtres commence à se professionnaliser au Sénégal. À Somone, l’ostréiculture offre des perspectives de développement prometteuses.
Du rêve à la réalité, Khadim Tine s’est réalisé d’un continent à l’autre. Jeune Ngorois bien imprégné de la pratique de la mer, c’est pourtant dans l’île française d’Oléron (Charente-Maritime), il y a cinq ans, qu’il s’est familiarisé avec la culture de l’huître. Apprendre des spécialistes (plus de 80 % des huîtres exportées depuis la France proviennent de l’île d’Oléron et du bassin de Marennes) pour s’acclimater sur d’autres côtes plus tropicales de l’Atlantique. ‘’Quand j’émettais l’idée de faire de l’ostréiculture au Sénégal, mes employeurs me répondaient que ça serait impossible de prospérer en raison des températures élevées par rapport à la France’’, se remémore Khadim.
Aujourd’hui, des ostréiculteurs français viennent établir des partenariats avec lui, dans sa ferme ostréicole à Somone. C’est au cœur de la lagune, dans le petit village côtier (Saly) que Khadim développe son périmètre ostréicole. Un merveilleux décor à la carte postale permet d’allier l’utile à l’agréable. Le samedi soir s’y prête. L’ostréiculteur reçoit, dans ce bureau naturel bercé par le courant estuarien les deux Français qui viennent d’atterrir à l’aéroport international Blaise Diagne.
Dans l’eau, des planches rattachées par des cordes flottent. Une véritable curiosité pour les profanes. En réalité, elles cachent un des trésors qu’abrite la mangrove. ‘’C’est en dessous, immergés, que se trouvent les sacs troués en plastiques remplis d’huîtres’’, révèle Khadim. Ici, l’ostréiculteur utilise la technique des poches flottantes. Il s’agit d’une série de poches ostréicoles maintenues à la surface de l’eau dans lesquelles les huîtres sont élevées. La flottaison est assurée à l’aide de deux bouées cylindriques fixées de chaque côté de la poche. La filière est ancrée au fond par des vrilles de métal enfoncées dans le sédiment.
Poches flottantes dans la lagune.
Ce n’est pourtant pas la première technique utilisée par le quarantenaire. ‘’J’ai commencé par une culture sur table, à Sokone (tables installées dans l’eau sur lesquelles les huîtres sont élevées au grès des marées)’’, se remémore-t-il. Ce fut une mauvaise expérience, car Khadim a perdu tout son investissement en raison des prédateurs pour les huîtres (carpes, oiseaux, etc.). Mais aussi, des chocs thermiques entre les marées hautes (immergé dans l’eau salée à 18°) et marées basses (exposition au soleil à 40°).
Au bout de deux années d’exploitation infructueuses dans les îles du Saloum, l’entrepreneur a obtenu l’autorisation du Comité de protection de la lagune de Somone pour y installer La Cabane penchée. Un petit restaurant traditionnel qui surplombe la lagune et qui permet à Khadim d’organiser des séances de dégustation lorsque l’occasion s’y prête. L’exploitation partage la zone avec deux autres parcs ostréicoles, en plus des cueillettes réalisées par l’association des femmes de la lagune.
Sur une table installée sur la plage dégagée par la marée basse, Khadim présente les différents modèles d’huîtres qu’il vient de sortir des eaux. Regroupés en quatre groupes dans des assiettes blanches, les mollusques sont catégorisés par des numéros, le plus petit correspondant à l’huître la plus grande de taille.
Ainsi, les n°1 oscillent entre 121 et 150 g, n°2 entre 86 et 120 g, la n°3 allant de 66 à 85 g, ainsi de suite. La saison de l’élevage va de novembre à avril-mai. Généralement, ‘’elles sont consommables lorsqu’elles atteignent la taille 3 g’’, retient Khadim.
Dégusté cru avec du citron, l’huître est souvent identifiée comme un mets de luxe que beaucoup de Sénégalais ne s’autorisent pas. À partir de l’huître n°3, Khadim vend la douzaine à 5 000 F CFA. Lorsqu’elles prennent plus de poids, le prix augmente.
Toutefois, reconnaît l’ostréiculteur, les Sénégalais consomment l’huître de plus en plus, ‘’certains y ajoutent du beurre et du pain. D’autres la cuisinent selon différentes recettes’’.
L’essentiel de sa commande, Khadim la tient des grands hôtels dakarois et de la station balnéaire de Saly. ‘’La demande est supérieure à l’offre’’, s’enthousiasme-t-il, en précisant qu’il travaille également avec les chaînes de supermarchés. L’année dernière, l’ostréiculteur a produit 4 t d’huîtres et espère en faire six pour en 2023.
Khadim Tine, exposant les différentes catégories d’huîtres.
À Somone, Khadim cultive le plus souvent avec des huîtres triploïdes qui ont la particularité de ne pas changer de goût. Elles sont différentes des huîtres sauvages exploitées depuis plusieurs générations au Sénégal par les femmes des zones humides. ‘’Les huîtres se reproduisent en laissant des gamètes dans l’eau. Lors de cette période, elles sont amères en raison des cellules reproductives qu’elles produisent’’, explique Khadim.
Dans les zones naturelles, l’huître sauvage est cueillie de novembre à juin. Mais pour ce qui est de la culture, elle est récoltée une fois qu’elle atteint la taille adéquate.
L’ostréiculteur revient d’ailleurs du delta du Saloum où il travaille avec l’Association des femmes de Néma Ba (Toubacouta) pour installer des systèmes de captage d’huîtres. Car pour passer de la récolte d’huîtres sauvages à l’ostréiculture, il faut disposer du matériel adéquat pour récupérer les huîtres naissains. ‘’Les coûts liés à la logistique sont très lourds. Il nous faut des capteurs pour les huîtres naissains. Le tout est très cher. Rien que ce modèle de poche à huître coûte 150 euros (98 000 F CFA)’’, explique-t-il.
Pour moderniser la filière, le ministère des Pêches et de l’Économie maritime, à travers l’Agence nationale de l’aquaculture (Ana) et en collaboration avec la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) développe le programme STDF ‘’Renforcement de la filière coquillage à travers la mise aux normes SPS ». Celui-ci forme les acteurs aux normes sanitaires internationales, afin de produire des huîtres bonnes pour l’exportation.
Le programme Fish4ACP de la FAO appuie le secteur des huîtres pour la professionnalisation. La production annuelle d’huîtres du Sénégal s’élève à 16 000 t, dont 400 t proviennent de l’élevage (données FAO) et 99 % sont transformées, soit séchées, grillées ou bouillies.
Selon la FAO, avec ‘’le potentiel considérable de la production d’huîtres et l’augmentation du nombre de parcs à huîtres au Sénégal, on pourrait répondre à la demande locale et soutenir le développement d’une ostréiculture moderne’’.
À travers le programme Fish4ACP, les autorités ambitionnent d’augmenter la production nationale de 30 % pour la porter à 21 000 t, d’ici à 2031, afin de couvrir plus de 80 % de la demande intérieure. Cela permettra de tripler la valeur ajoutée et de doubler le nombre d’emplois. Actuellement, le secteur fait travailler 13 000 personnes, dont 94 % de femmes.
Parmi elles, Seynabou Fall est cueilleuse d’huîtres sauvages à Dionewar, dans les îles du Saloum. À la 23e édition de la Foire internationale de l’agriculture et des ressources animales (FIARA), elle a exposé ses huîtres séchées. Occasion pour la jeune femme d’évoquer l’importance de cette activité pour les femmes de cette région au centre du Sénégal : ‘’La cueillette des huîtres nous permet de rehausser nos revenus de manière conséquente (le sachet d’un kilogramme est vendu à 8 000 F CFA). Dans le cadre de la foire, nous gagnons de nouvelles commandes à chaque fois qu’elle se termine.’’
Une fois séchées de manière artisanale, les huîtres peuvent se conserver pendant deux ans, révèle Seynabou qui, à l’image de la majorité des Sénégalaises, utilise ce produit comme condiment lorsqu’elle prépare du riz à la sauce gombo (soupe kandia). Mais les huîtres fraîches se préparent dans des sauces, avec du beurre.
Tout comme Seynabou, Khadim Tine espère plus d’appui des autorités pour le développement de la filière ostréicole au potentiel reconnu. En attendant, c’est dans la fraîcheur d’un somptueux coucher de soleil dans la lagune de Somone qu’il retourne à l’eau replacer ses huîtres sorties pour l’occasion.