Des projets dont le budget représente parfois le PIB du pays d’accueil, des capacités éoliennes et solaires supérieures aux capacités d’électricité d’un grand pays comme l’Afrique du Sud, des besoins considérables en eau … Selon ce rapport, l’Afrique n’est pas du tout adaptée à la démesure de ces projets européens.
Les projets européens de production de l’hydrogène vert dans les pays du Sud, et plus particulièrement en Afrique et au Moyen-Orient, reproduisent la colonisation dans sa version énergétique dans la mesure où ils favorisent l’accaparement de terres, des ressources hydriques et des énergies renouvelables aux dépens des communautés locales, selon un rapport publié le 23 mars par l’Observatoire de l’Europe industrielle (Corporate Europe Observatory /CEO).
Intitulé « Germany’s great hydrogen race : the corporate perpetuation of fossil fuels, energy colonialism and climate disaster », le rapport précise que ces projets soutenus, entre autres, par le gouvernement allemand, nécessitent de vastes étendues de terre pour installer des parcs éoliens et solaires géants destinés à alimenter les usines d’hydrogène en énergies renouvelables, ainsi que des ports et des gazoducs pour transporter l’hydrogène vers le Vieux continent.
L’Observatoire de l’Europe industrielle est un centre de recherche spécialisé dans la surveillance des lobbies de grandes entreprises qui tentent d’influencer les politiques publiques européennes. Il révèle dans ce cadre que les diverses infrastructures liées au projet de complexe d’hydrogène Hyphen en Namibie devraient s’étaler sur environ 4000 km 2, soit une superficie plus de quatre fois plus grande que celle de la capitale allemande Berlin (891 km2).
Cet accaparement des terres pourrait conduire à des déplacements forcés des communautés locales et à des violations des droits de l’homme comme cela s’est déjà produit en Arabie Saoudite, où des tribus ont été expulsées manu militari de leurs terres et des protestataires ont été condamnés à mort, pour libérer l’espace nécessaire à l’installation par la multinationale allemande Thyssenkrupp d’une usine d’hydrogène destinée à l’exportation dans la mégapole futuriste de Neom.
En Afrique du Sud, des conflits fonciers ont également éclaté dans la région de Boegoebaai (province du Cap Nord), en raison de l’expropriation 160 000 hectares de terres pour l’installation d’un complexe de production et d’exportation d’hydrogène et d’ammoniac verts.
Le rapport souligne également que les projets d’hydrogène vert pourraient provoquer des conflits liés à la disponibilité des ressources en eau d’autant plus que plusieurs usines sont programmées dans des pays durement frappés par le stress hydrique comme la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. Pour produire de l’hydrogène vert, les électrolyseurs nécessitent en effet d’énormes quantités d’eau, ce qui impliquerait une forte concurrence avec les besoins nécessaires pour le raccordement des communautés locales à l’eau potable et la production agricole.
Ralentir la transition énergétique dans les pays du Sud
De plus, des usines de dessalement de l’eau de mer seront nécessaires pour produire de l’eau qui alimentera les complexes de production d’hydrogène propre dans les régions arides et semi-arides. Outre leur forte consommation d’énergie, ces usines de dessalement produisent d’importantes quantités de saumures qui sont rejetées dans la mer où ils risquent d’avoir des effets néfastes sur les écosystèmes marins.
Lorsque les projets impliquent la construction de nouveaux méga-ports, les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs côtiers locaux sont également menacés.
D’autre part, les complexes de production d’hydrogène vert risquent d’accentuer la pauvreté énergétique, notamment en Afrique. Ces complexes nécessitent en effet de gigantesques capacités d’énergies renouvelables. À titre d’exemple, la capacité éolienne et solaire envisagée pour le projet Boegoebaai est nettement supérieure à la somme de toutes les capacités électriques actuellement installées en Afrique du Sud.
Dans les pays confrontés à de graves crises énergétiques comme l’Afrique du Sud, où les coupures d’électricité sont récurrentes depuis plusieurs années, l’utilisation de l’électricité issue de sources renouvelables pour produire de l’hydrogène destiné à l’exportation ne fera qu’aggraver la situation.
La transition énergétique dans les pays du Sud risque aussi d’être ralentie, puisque l’électricité verte sera exclusivement utilisée pour alimenter les complexes de production d’hydrogène alors que les combustibles fossiles continueront à couvrir les besoins locaux.
Le rapport fait remarquer par ailleurs que les projets d’hydrogène vert pourraient provoquer des pertes financières pour les pays du Sud en cas d’échec. Cela s’est déjà produit au Maroc, où le trésor public couvre les pertes annuelles moyennes de 86 millions de dollars de la centrale de Ouarzazate, la plus grande ferme solaire au monde qui a été soutenue par le gouvernement allemand.
Dans le cas du projet d’hydrogène vert Hyphen, le gouvernement namibien serait appelé à financer jusqu’à 24 % de ce gigantesque complexe dont le coût est estimé à 9,4 milliards de dollars. Un éventuel échec du projet pourrait alourdir le fardeau de la dette de ce pays, dont le PIB n’est que de 12,31 milliards de dollars.
Dans le même temps, les projets d’exportation d’hydrogène sont souvent situés des zones économiques spéciales qui offrent des allègements fiscaux aux entreprises étrangères, ce qui réduit considérablement les recettes des Etats.