Le 8 mars est célébrée la Journée internationale des droits des femmes. Bien que sa célébration soit un peu détournée à des fins folkloriques, le débat peut toujours être posé sur les droits des femmes. En ce sens, la réflexion peut être menée sur le Code de la famille, dont la révision de beaucoup d’articles défavorables à la condition féminine, en 2023, est réclamée notamment sur les réseaux sociaux. Des juristes évoquent, ici, quelques dispositions à modifier.
Le Sénégal, à l’instar de la communauté internationale, célèbre ce 8 mars la journée internationale pour le droit des femmes sous le thème « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologie pour l’égalité des sexes ». Mais pour marquer cette édition, lesoleil.sn porte le regard sur le Code de la famille, dont certaines dispositions phares semblent être à modifier pour qu’il soit en faveur des femmes.
La femme n’a pas le choix
Parler des insuffisances du code revient à évoquer les articles défavorables aux femmes. Ils sont particulièrement discriminatoires aussi bien pour la femme que pour l’enfant.
L’un reste assez problématique. Il s’agit du statut de l’enfant naturel. Il s’agit d’un régime juridique prenant en compte trois catégories. L’enfant naturel ordinaire dont les parents sont célibataires mais ne sont pas mariés. Il y a aussi l’enfant naturel adultérin dont l’un des parents ou les deux sont mariés. Enfin il y a l’enfant naturel incestueux.
Nogaye Ndour Niang, professeure de droit privé à l’Ucad est d’avis que le code oblige les femmes à assumer les conséquences des actes et épargne l’homme de toute responsabilité. La recherche interdite de paternité dont il est question dans le code reste un exemple patent. En effet, il est prévu par l’article 196 qui dispose “l’établissement de la filiation paternelle est interdite à tout enfant qui naît pas présumé issu du mariage de sa mère ou qui n’a pas été volontairement reconnu par son père ».
“Ce qui est injurieux est que dans cet article il est possible pour cet enfant non reconnu d’obtenir du même homme des aliments dans certains cas prévus aux articles 215 à 218…”, commente Mme Niang. L’article 215 dispose: “l’enfant dont la filiation paternelle n’est pas établie peut obtenir des aliments de celui qui sera indiqué comme son père par décision judiciaire sans établir la filiation paternelle de l’enfant”.
« Alors que l’homme après des années de refus de paternité peut se lever un beau jour et demander au juge que l’enfant porte son nom », explique la juriste. Et pourtant la science a tellement connu des avancées que Nogaye Niang va jusqu’à préconiser que le code puisse permettre au tribunal d’ordonner des tests ADN en cas de refus de paternité pour mettre les hommes de mauvaise foi face à leur responsabilité. “De toute façon la génétique ne ment pas”, dit-elle.
En ce qui concerne l’enfant naturel adultérin, le code est sans complaisance. Il lèse la femme et son enfant. Ce dernier qui n’a rien demandé. « L’enfant naturel adultérin même reconnu ne peut être légitime qu’après acquiescement de l’épouse ou des épouses du père adultérin », détaille Nogaye Niang. Ainsi la femme victime est toujours en situation de faiblesse et son enfant en situation de vulnérabilité.
Le mariage, un autre goulot
Selon la secrétaire générale de l’association Keur Jigeen Yi Femmes émancipées, Madame Sy, l’âge du mariage fixé à 18 ans pour les hommes et à 16 ans pour les femmes favorise les mariages précoces. C’est l’article 111 du code de la famille qui le prévoit.
Ensuite, la juriste évoque l’article 152 qui prévoit la puissance maritale de l’homme. « Les femmes n’ont pas l’autorité parentale. Lorsque la femme a même la garde de l’enfant, le père garde son autorité parentale. Le père doit toujours apposer sa signature pour que l’enfant sorte du territoire national… », explique Madame SY avant de poursuivre : « l’article 153 permet à l’homme de se prévaloir de l’abandon de domicile conjugal si son épouse décide de quitter ».
Pire encore, l’article 178 ne prévoit pas une pension alimentaire pour incompatibilité d’humeur envers l’épouse. Sachant que l’incompatibilité d’humeur est un peu fourre-tout. Il s’agit d’une raison assez récurrente de divorce. « Le juge a tendance à mettre incompatibilité d’humeur si les situations ne sont pas assez claires ».
L’article 175 du code fixe que les charges du ménage pèsent sur le mari mais la plupart des femmes participent et financent même parfois. Il y a alors lieu de revoir tout ça.
Comment modifier le code ?
Les juristes sont d’avis que la démarche consensuelle devrait être mise en avant.
« Le code était consensuel lors de l’élaboration, il devrait l’être aussi davantage car les articles modifiables risquent de créer des heurts après des hommes, des religieux. Il faut impliquer toutes les couches de la société », préconise Madame Sy.
Agir de façon intelligente, c’est la proposition de Nogaye Ndour Niang. « Une simple modification de certaines dispositions du code de la famille ne suffit pas, il faut le moderniser », indique-t-elle.
Le professeur de droit privé pose le débat : « 40 ans après son élaboration, le code n’a-t-il pas pris de rides ? », se questionne-t-elle.
« Le Sénégal a eu le mérite de légiférer sur la question à l’époque beaucoup de pays utilisent encore le code civil Français. Ce code consensuel s’est révélé à son adoption gage de sécurité pour les personnes vulnérables notamment la femme», rappelle Nogaye Ndour Niang.
Avant par exemple, « la répudiation était le moyen privilégié de divorce entre les mains des hommes. Ce qui n’était pas juste pour les femmes. Alors avec le code, seul le juge peut prononcer un divorce au Sénégal et la répudiation se verra sanctionner par le juge. La répudiation est assimilée à l’injure », explique-t-elle.
La mondialisation et le développement d’internet doivent au-delà des engagements internationaux du Sénégal sur les droits des femmes. Elle va proposer la dématérialisation de certaines procédures comme le divorce. « On peut divorcer sans être présent surtout dans les cas des maris non présents », dit-elle.
Zeinab Kane, secrétaire générale de l’Association des femmes juristes (Ajs) est d’avis que « le droit a une fonction de régulation sociale. Son processus d’élaboration doit être inclusif et participatif et refléter les aspirations des sociétés sur lesquelles il s’applique. A cet effet, il faut à notre avis renforcer la dynamique de consultation pour réviser le code afin de trouver un code consensuel », indique-t-elle.
Les textes de loi ne sont pas une seule affaire des juristes. C’est une affaire de toutes les couches de la société.
Genèse d’un code consensuel
Parler du code de la famille revient à retracer sa mise en œuvre. Le code de la famille a été adopté au titre de la loi n° 72-61 du 12 juin 1972.
S’il accède à l’indépendance en 1960, le Sénégal ne se dote d’un code de la famille qu’en juin 1972 avec plus de dix années de réflexion.
Le vote du code de la famille met un terme au pluralisme de statuts issu de la période coloniale : statut -de droit positif, statuts islamisés, statuts animistes et statuts chrétiens.
Le code de la famille devait réussir à concilier la Constitution, les règles religieuses et les valeurs traditionnelles. Marie Brossier, dans un article scientifique revient sur cette période assez exhaustive.
Elle explique qu’un comité des « options », composé de députés, de magistrats, de cadis et de représentants des autorités judiciaires, coutumières et religieuses au total 32 membres a été créé, le 23 décembre 1965, pour inventorier les informations récoltées.
« Ses conclusions devaient nourrir les réflexions du Comité de rédaction du code de la famille, désigné par arrêté en juillet 1966. Après examen de la Cour suprême en juillet 1967, le projet a été soumis à l’Assemblée nationale en mai 1972 », indique-t-elle dans son article intitulé « Les débats sur le droit de la famille au Sénégal : Une mise en question des fondements de l’autorité légitime ? ».
Le 31 mai 1972, Le Soleil écrivait que « le 1er janvier 1973 marquera donc la fin de 142 années de présence du code français et 1 393 années de présence du code musulman ».
En novembre 1977, Senghor veut mettre fin aux débats passionnés sur le code réputé « code de la femme à l’époque en raison du nombre croissant de demandes de divorce à l’initiative de l’épouse.
Senghor avait déclaré dans le journal Le Soleil « chaque homme sénégalais doit, s’il en est besoin, faire sa révolution intérieure pour regarder le monde avec un œil neuf et se convaincre que l’homme et la femme sont des êtres égaux ayant la même dignité et, partant, des droits rigoureusement égaux ».
Un projet de loi voté à l’Assemblée nationale en janvier 1989 modifie le code de la famille et améliore certaines procédures afin de mieux protéger les intérêts légitimes de l’épouse. La polémique est relancée en 1996 autour du projet de loi limitant la polygamie à deux épouses, projet qui n’aboutira pas.
Depuis 1998, le débat semble s’être polarisé autour de la question de l’autorité paternelle et de la revendication d’une autorité partagée entre les deux conjoints. Un projet de loi reconnaissant l’autorité parentale, et plus seulement paternelle, est rédigé mais a été bloqué avec le changement de pouvoir en 2000.