Il n’y a guère longtemps, ils étaient traqués tels des malpropres. Plus de 50 chauffeurs «clandestins» de taxis «Allô Dakar» avaient fait, en l’espace de moins d’un mois, la prison pour «transport irrégulier de personnes». Toutefois, dans la ville aux-deux-gares, ce phénomène de transport périurbain, très en vogue, reste aujourd’hui la préférence d’une large frange des voyageurs en partance pour Dakar, Saint-Louis ou Mbour. Lesquels usagers, de nos jours, ont fini par fuir la gare routière pour, disent-ils, «échapper à l’enfer des transports réguliers, avec souvent des véhicules obsolètes devenus presque des cercueils ambulants». Avec la grève d’une partie des routiers, ils se sont imposés comme une alternative, au grand dam des transporteurs qui demandent qu’ils soient immobilisés.
Traqués par les opérateurs du transport, qui demandent leur exclusion du système, les taxis «Allô Dakar» sont devenus incontournables dans la circulation. A la croisée du carrefour du lycée El Hadji Malick Sy, des jeunes garçons d’une trentaine d’années vont à l’assaut des taxis «jaunes-noirs» pour intercepter les voyageurs en route vers la gare routière, située à une vingtaine de mètres de là. «Dakar ! Dakar !», s’écrie un jeune garçon à l’attention d’une mignonne dame assise sur le siège arrière du taxi. Le bonhomme court derrière le véhicule de couleur «jaune-noire» qui rétrograde, s’arrête net et se range sur le rebord de la route. Le jeune garçon se précipite pour conduire la voyageuse dans une rue où un chauffeur de taxi «Allô Dakar», en partance pour la capitale, cache sa voiture : une Renault «Dacia» qui n’aura pas grand-peine à réunir, en un laps de temps, le nombre de passagers requis lui permettant de pouvoir effectuer le trajet Dakar-Thiès. A peine s’était-il élancé sur la route que les éléments des Forces de l’ordre l’appréhendèrent à quelques mètres de l’autoroute à péage Ilaa Touba. Quand bien même, certains réussissaient à passer le check-point de la police à la sortie de la ville. En ce moment, bon nombre de chauffeurs de taxis «Allô Dakar» ont été inculpés à la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Thiès pour les délits de «mise en danger de la vie d’autrui» et de «transport irrégulier de personnes» en rapport avec la loi 2003-04 du 27 mai 2003 portant orientation et organisation du transport terrestre en son article 35. Entre autres, Cheikh Yankhoba Dembélé, Cheikh Diouf, Alioune Ndao, Mamadou Habib Sognane, Assane Mbaye, Mamadou Bamba Sylla, Mor Lèye Sagna, Ahmed Ndiaye et Ibrahima Cissé. Leurs camarades chauffeurs parmi les premiers appréhendés, en l’occurrence Alpha Diène, Saliou Ndiaye, Dame Kandji, Soulèye Ngom, Sagar Coulibaly, Ndiaga Guèye, Mamadou Diallo, Samba Niang, Ibrahima Ndour, Moussa Guèye, Mansour Diouf et Djiby Seck, avaient, eux, été condamnés à 1 mois de prison avec sursis après avoir passé 5 jours à la Maison d’arrêt et de correction de Thiès. Malgré la traque des Forces de l’ordre, ces chauffeurs «clandestins» continuent de braver les interdits de l’autorité avec témérité.
Dans la ville aux-deux-gares, le constat est qu’aujourd’hui, une large frange des voyageurs en partance pour Dakar, Saint-Louis ou Mbour ont jeté leur dévolu sur ces «Allo Taxi». Ils fuient la gare routière pour échapper à l’enfer des transports réguliers, avec souvent des véhicules obsolètes devenus presque des cercueils ambulants. Sans compter les mille et un cas d’indiscipline caractérisée presque érigée en «loi» au sein de la communauté des chauffeurs et apprentis. Confortablement calé sur le siège avant d’un «Allô Dakar», Ismaëla Diop déclare que, depuis presque 2 ans, il ne voyage que par ces moyens de transport. «Quand je prends un «Allô Dakar», il m’amène à ma destination en moins de 45mn parce qu’il passe par l’autoroute à péage. Le tarif du voyage est 3000 F Cfa», signale-t-il. Il remarque que s’il avait pris une voiture «Sept places» à la gare routière, il perdrait encore plus de temps, entendu que ladite voiture passe par la Route nationale où il y a des embouteillages monstres à Rufisque, Thiaroye et à l’entrée de Pikine. Pis encore, déplore-t-il, «la voiture «Sept places» nous dépose à la Gare Baux-Maraîchers, où nous aurons à recourir au service d’un taxi pour regagner le centre-ville, moyennant 2500 F Cfa à 3500 F Cfa». Aujourd’hui, dans la Cité du Rail, les populations ont, à leur grand bonheur, fini par adopter ces luxueux moyens de transport interurbain. Et le constat étant que de Dakar à Touba, de Mbour à Kaolack, de Dakar à Saint-Louis, les voyageurs sollicitent leurs services. Toutefois, le quotidien de ces «chauffeurs clandestins» n’est pas de tout repos avec les tracasseries liées aux contrôles de routine des Forces de l’ordre, qui les débusquent pour le délit d’«exercice illégal de transport».
Légalisation des «Allô Dakar» ou la prison
Réunis autour d’un Collectif pour l’encadrement et la légalisation du covoiturage au Sénégal, les chauffeurs de taxis «Allô Dakar» sont, aujourd’hui plus que jamais, déterminés à se battre pour la légalisation de ce type de transport. Abdoulaye Ndiaye dit Rim, président dudit collectif, note qu’ils «ne sont ni des voleurs, ni des vendeurs de chanvre indien, mais d’honnêtes citoyens qui travaillent à la sueur de leur front pour nourrir leurs familles». Il remarque que «la majorité des jeunes chôment au Sénégal. Et leur oisiveté les pousse à commettre des agressions et des meurtres. Parce qu’à un certain âge, si on n’a pas de quoi satisfaire ses besoins, on a d’autres solutions que d’aller voler. Pour éviter tout cela, nous nous sommes débrouillés pour acheter nos voitures. On transporte les voyageurs sans faire de mal à personne. Nous sommes des jeunes consciencieux, et nous avons fait de ce transport notre gagne-pain. C’est pourquoi on ne nous a jamais incriminés dans des accidents de circulation. Nous avons des voitures en très bon état», signale-t-il. Et d’estimer que «ce que nous faisons, ce n’est pas du transport irrégulier. C’est du «covoiturage», qui existe en Europe et aux Etats-Unis avec les taxis «Uber» et «Blablacars», avec lesquels on peut, à partir d’une application, choisir son véhicule en fonction de la destination et du prix proposé. Nous avons tous nos documents (assurance, carte grise, permis). Donc nous sommes en règle», renseigne-t-il. Fortement sollicités par les voyageurs, certains chauffeurs comme lui, Abdoulaye Ndiaye, se sont même créé un carnet d’adresses assez fourni. Il suffit de les contacter pour qu’ils débarquent, avec promptitude, et viennent vous cueillir juste devant la porte de votre maison, pour vous conduire, avec d’autres usagers, jusqu’à Dakar. L’après-midi, ils viennent vous chercher pour vous ramener à Thiès. Ainsi, se réjouit Mor Tine, voyageur permanent, «le client qui est embarqué dans une voiture confortable, voyage sans peine».
Forts de quelque 1200 chauffeurs dans la ville de Thiès, les concernés envisagent de mettre sur pied une «structure nationale», avec leurs camarades de Saint-Louis, Rufisque, Tivaouane, Ngaye Mékhé, Kaolack, Touba, etc. Ils comptent ainsi aller jusqu’au bout de leur logique, continuer à se battre pour «la légalisation et l’organisation» de ce type de transport qui prend de l’ampleur dans le pays, afin de pouvoir travailler en toute tranquillité. Abdoulaye Ndiaye note : «Nous participons à la croissance économique du Sénégal parce que chaque voiture paie 600 mille F Cfa par mois au niveau de l’autoroute à péage.» Il pense qu’«il est temps que l’Etat nous apporte son soutien, en légalisant le secteur et en mettant un terme aux arrestations des chauffeurs». Il s’offusque du fait qu’«à chaque fois qu’un chauffeur est pris, il paie presque 48 000 F Cfa d’amende dont 24 000 F Cfa à la gare routière et 24 000 F Cfa à la perception». Un «coup très dur» pour ces jeunes fermement déterminés, préférant même «aller tous en prison» plutôt que d’«arrêter d’exercer ce type de transport» qui leur rapporte au moins entre 20 000 F Cfa et 30 000 F Cfa de bénéfice par jour.
Saliou Ndiaye, Coordonnateur régional du mouvement Y’en a marre, dit accompagner, dans ce combat, les membres du Collectif des usagers pour l’encadrement et la légalisation du covoiturage au Sénégal. Déjà, ils auraient rencontré plusieurs autorités du département, notamment le Préfet de Thiès, le procureur de la République, le maire de Thiès-Ouest et les autorités religieuses. Saliou Ndiaye pense que «l’Etat doit commencer à jeter un regard sur ce nouveau type de transport qui regorge beaucoup d’avantages». Le collectif compte saisir le procureur de la République pour l’ouverture d’une information judiciaire sur ce qui est considéré comme un «système de racket organisé avec la quittance de maraudage». Et les intéressés de dénoncer : «C’est une amende qu’on fait payer aux chauffeurs pris. Elle est évaluée à plus de 50 millions de F Cfa par an. Le regroupement des chauffeurs et transporteurs de Thiès le recouvre illégalement depuis quelques années. Le collectif a demandé au percepteur-receveur municipal de se constituer partie civile parce que cet argent, sans trace, n’est pas versé au Trésor public.» Pour l’instant, le collectif a constitué un pool d’avocats pour la rédaction d’un document de propositions qui sera remis à l’Etat du Sénégal pour la «légalisation du covoiturage».