Les pays africains vers les conditions sociales du Sri Lanka et du Printemps Arabe…
Le Fonds Monétaire International (FMI) semble conditionner tout décaissement au profit des pays africains, du Nord comme du Sud, à l’application de sa conception de la «vérité des prix». Ainsi la Tunisie qui est asphyxiée par une dette colossale et une inflation désormais à deux chiffres (11%) s’est vue déprogrammée à la fin 2022 des délibérations du conseil d’administration de l’institution de Breton Wood. Le temps pour le pays du Jasmin d’expier ses péchés d’atteinte aux 10 commandements du Consensus de Washington en renonçant aux subventions sur les produits énergétiques. En Afrique subsaharienne, les principales lois de Finance 2023 projettent de mettre fin aux subventions. Les États endettés à la recherche de nouveaux décaissements se sont pliés aux exigences du FMI en relevant le prix du carburant à la pompe, celui de l’électricité et en promettant de renoncer à la subvention générale au profit d’un “ciblage” destiné aux ménages les plus vulnérables.
En présentant à la presse sa nouvelle grille tarifaire, le 13 janvier 2023, Pape Demba Bitèye, le directeur général de la Sénelec, la société sénégalaise de distribution d’électricité, a rapporté l’émotion de ce «ressortissant étranger » vivant à Dakar et ému, lui qui n’en a pas besoin, de bénéficier de la subvention uniforme qui profite à toutes les catégories.
Seulement, ce fameux ressortissant étranger oublie sans doute de faire remarquer que dans son pays les services de base (santé, éducation) sont quasi-gratuits et les revenus moyens soutenus par une politique quasi-généralisée de sécurité sociale incluant l’indemnité vieillesse et l’assurance chômage. Autant de dispositifs qui font défaut dans une Afrique où la subvention des denrées de première nécessité restait l’intervention la plus saillante de l’Etat au bénéfice du pouvoir d’achat.
En retirant ce dispositif de subventions au profit du ciblage dont l’efficacité reste à prouver les pays risquent de voir une accélération de l’inflation déjà élevée, de l’ordre de 8% en zone UEMOA. Et pour lutter contre celle-ci, les banques centrales vont poursuivre leurs politiques de resserrement des liquidités en augmentant leurs taux d’intérêt et en réduisant leur refinancement aux banques commerciales. Le double effet de la réduction des disponibilités du guichet de la banque centrale et de la hausse des taux d’intérêt se ressent déjà sur les marchés régionaux de la dette dans les deux zones de l’UEMOA et de la CEMAC. En effet, le Tchad qui cherchait 100 milliards de Franc CFA ( EOTD 6,5% NET 2022-2027») l’a obtenu mais non sans avoir prolongé son délai de souscription. Idem en Afrique de l’Ouest où le Sénégal, relativement mieux noté que le Tchad, a dû aussi prolonger la période de souscription pour récolter les 150 milliards de FCFA de son emprunt obligataire rendu, tempère un analyste du marché, moins par l’appréhension des investisseurs vis-à-vis de la rareté de l’argent que par le délai relativement long (12 ans) dudit emprunt.
Bref, la vérité des prix accélère l’inflation, entraine la hausse des taux d’intérêt et, inéluctablement, provoque le ralentissement économique, la rupture de la paix sociale et la hausse du chômage. Nombre d’observateurs estiment que la posture du FMI est plus proche de celle du syndicat des bailleurs de fonds que de celle d’économistes du développement qui auraient recommandé de libérer les facteurs de production et de recourir au levier budgétaire pour investir dans les raffineries (la pénurie du carburant dans des pays exportateurs de pétrole brut ne relève pas du bon sens) et le relèvement de la production locale.
En appelant l’Etat à se dépouiller de ses fonctions sociales, le fonds encourage la soutenabilité de la dette au détriment de la croissance. L’Argentine n’a –t-elle pas été ruinée en suivant les directives venues de Washington ? On le remarque si bien, les tournées du FMI tempêtent contre les subventions sociales mais n’évoquent le service de la dette, pourtant de loin le premier poste du budget des Etats africains, que de biais, en formulant des vœux pieux sur le cadre finalement non fonctionnel, de l’initiative du G20. . Sur ce point, le consensus est frappant entre le FMI et les agences de notations dans leurs analyses de la situation des pays africains pouvant d’ailleurs se résumer « aux conditions de soutenabilité des dettes africaines ».
Nous pensons que renoncer aux subventions annule les efforts des banques centrales à lutter contre l’inflation et installe les pays africains dans les conditions sociales du Sri Lanka et du Printemps Arabe. Et si le FMI confondait-il le cas d es pays de la zone à celui de la France, pays développé, qui a d’ailleurs ignoré les exigences du FMI en reportant la réduction de son déficit en 2024 afin de ne pas handicaper la reprise ?
Encadré
Quelques faits d’actualité entre le FMI et les pays africains
-Le Sénégal a obtenu 133 milliards de FCFA et a augmenté le prix du litre de gasoil et d’essence de 100 Francs CFA. La subvention de l’électricité a été «rééquilibrée » correspondant à une hausse de 16%.
-La Tunisie cherche 1,9 milliard de dollars du FMI mais hésite à ajuster les prix de l’essence ordinaire, du gasoil et de l’essence sans plomb pour diminuer une subvention estimée à 7 milliards de dinars par an soit 2,2 milliards de dollars. En attendant, la Banque Centrale a augmenté son taux directeur de 75 points de base à 8%.
-Au Congo, 250 milliards de FCFA (404 millions de dollars) ont été consacrés en 2022 pour soutenir les prix des carburants à la pompe. Brazzaville qui veut gagner du temps évoque une étude sur l’impact du retrait de la subvention.
-Le Cameroun a dépensé 775 milliards de FCFA (1,3 milliard de dollars) en 2022 pour soutenir les prix de carburant à la pompe. Dans son allocution de fin d’année, le président Biya a estimé que la subvention sera réduite voire supprimée au profit d’un transfert social.
-Au Nigéria, le gouvernement a dépensé 9,5 milliards de dollars en subventions durant les 7 premiers mois de l’année dernière. Le pays prévoit toujours la fin des subventions mais hésite devant le coût social d’une telle réforme.