Le rejet, le 15 décembre dernier, de la motion de censure déposée par une partie de l’opposition contre le nouveau gouvernement dirigé par Amadou Ba est le dernier acte d’une saison politique marquée par le rééquilibrage quasiment des forces politiques à l’Assemblée nationale, une configuration inédite dont on pouvait attendre le plus grand bénéficie en termes de vivification de la démocratie.
Cette initiative tenait peut-être d’un coup de poker politique dont toute la symbolique consistait en un seul message : il est révolu le temps de la toute-puissance des majorités parlementaires invariablement favorables au pouvoir.
Ce qui en soi constitue une bonne nouvelle pour la fraîcheur démocratique, si tant est que le pouvoir est appelé à limiter le pouvoir. Peut-être même pas nécessairement l’arrêter, comme l’entendait Montesquieu, théoricien semble-t-il le plus fin du principe de la séparation des pouvoirs, qui fait l’essence même des régimes démocratiques modernes.
Sans doute que le groupe parlementaire Yewwi Askan Wi lui-même n’était pas dupe du sort qui serait réservé à sa motion de censure. Car malgré les percées très appréciables de l’opposition à l’Assemblée nationale, la coalition présidentielle garde toujours une majorité relative de 82 députés sur un total de 165, contre 80 pour les deux plus grandes coalitions de l’opposition, Yewwi Askan Wi et Wallu Sénégal.
En attendant le jeu des alliances de voir déterminer ce qu’on pouvait attendre des trois députés restants, sachant que celui de Bokk Gis Gis s’était rallié au pouvoir bien avant l’ouverture de la législature. Le jeu se présentait comme pas spécialement favorable à l’opposition, même après la décision de Aminata Touré de devenir un non-inscrit.
Cette dernière, revenue en grâce suffisamment à temps pour se rappeler au bon souvenir de son camp et lui donner des gages, avait été choisie pour diriger la liste de la coalition du pouvoir. Mimi, comme on l’appelle affectueusement, était destinée à la présidence de l’Assemblée nationale, récompense politique majeure d’une traversée du désert de quelques années et de mois passés à se rapprocher progressivement de ses anciens camarades et à tisser sa propre toile.
Amadou Mame Diop lui a été finalement préféré, et c’est le point de départ d’une nouvelle bouderie politique dont on pouvait craindre et attendre beaucoup de choses. Par exemple qu’elle remette en selle l’opposition en la renforçant d’une voix nouvelle.
Si tous ces calculs ont pesé sur la décision de présenter cette motion de censure, il y a surtout que derrière l’idée de faire tomber le gouvernement, l’opposition voulait peut-être dépasser une déception politique née de son impuissance à prendre la main et à la garder, déjà lors de la rentrée parlementaire.
Déception donc de ne pas donner le ton d’un nouveau rapport de force politique dont le ton s’entendait depuis la campagne pour les législatives, à travers cette idée d’imposer une cohabitation.
D’une certaine manière, dans les violences notées lors de l’installation des députés de la 14e législature, il faut voir un peu mais sans jamais justifier quoi que ce soit, toute la frustration de savoir qu’on est passé à un doigt de s’emparer du pouvoir à l’Assemblée nationale.
Effets de manche redoublés, interpellations viriles, nouveau ton politique
Il y a ensuite cette frustration supplémentaire de ne pas avoir pu profiter suffisamment d’une deuxième opportunité politique avec la déclaration de politique générale, test également passé sans heurts majeurs par le nouveau chef du gouvernement. Mis à part quelques effets de manche redoublés et des interpellations toujours plus viriles, plus ce nouveau ton politique alimenté par l’espoir suscité cher les contempteurs du pouvoir, celui de se dire : il n’est pas le jour où on atteindra au but.
De fait, tout cet espoir vient déjà des élections locales de janvier, qui ont inauguré l’année politique par la percée de l’opposition, qui a remporté le scrutin dans des villes symboliques comme Dakar, Rufisque ou Ziguinchor, preuve d’une vraie percée électorale.
Le camp du pouvoir peut bien conserver la majorité des collectivités locales, le message d’un effritement de son électorat, chanté comme un refrain par les opposants, a de quoi agacer mais surtout réfléchir.
D’autant qu’avec le basculement de la capitale et de certaines villes dans l’opposition, certaines figures politiques ont pu se jauger.
Sans compter qu’une capitale, comme on dit, représente toujours un pays en miniature. Une idée qui n’est pas sans objet pour les adeptes de la sociologie et des stratégies électorales.
Car le fond du fond, c’est la présidentielle de 2024, devenu presque fatalement un horizon indépassable de la politique sénégalaise, avec cette polarisation du pays et de ses opinions sur le fait de savoir si le président peut être oui ou non autorisé à briguer une troisième fois le suffrage de ses concitoyens.
Ce débat autorise à tort tous les rapports de force, toutes sortes de coups politiques, de déclarations, avec le résultat de contribuer à cliver davantage la société et à installer ce que certains – ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux – ont tendance à dénoncer comme « une campagne électorale permanente ».
Ce contexte délétère explique dans une certaine mesure certains excès, comme les actes de violence de deux députés de l’opposition à l’encontre d’une de leur collègue de la majorité, le premier décembre, en pleine session budgétaire à l’Assemblée nationale.
L’opinion, au-delà du Sénégal, s’en est émue. Ce qui a valu aux deux députés mis en cause d’être interpellés et jugés. Il a été requis contre eux deux ans de prison ferme.
Les enjeux de 2024 fonctionnent comme une sorte de non-dit, qui amènent les acteurs à surjouer leurs différends politiques pour leur donner l’apparence d’une contradiction irrémédiable, même là le consensus s’impose