En croisant des données relatives à la pénétration des systèmes solaires décentralisés dans 14 villes africaines avec les données socio-économiques d’Afrobarometer, le rapport conclut que les citadins aisés et ayant un niveau d’instruction élevé sont les plus susceptibles d’adopter ces installations hors-réseau.
Les systèmes solaires décentralisés, dédiés à l’origine aux zones rurales non couvertes par le réseau, gagnent du terrain dans les zones urbaines en Afrique subsaharienne quelle que soit la fiabilité du réseau centralisé, selon un rapport publié par l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Afin d’estimer la pénétration des systèmes solaires décentralisés dans le milieu urbain en Afrique subsaharienne, l’IFRI s’est appuyé sur une méthodologie originale basée sur l’utilisation d’outils de Deep Learning pour analyser des images satellite. Plus de 4,6 milliards de mètres carrés de zones urbaines ont été ainsi scannées à la recherche de panneaux solaires, dans 14 villes de la région (Ouagadougou, Accra, Bamako, Le Cap, Dakar, Harare, Ibadan, Kampala, Khartoum, Lagos, Lusaka, Nairobi, Niamey et Windhoek). Une méthode de machine learning a été également utilisée pour différencier les panneaux solaires résidentiels de ceux commerciaux.
Cette analyse a fait ressortir que la capacité solaire décentralisée installée dans ces villes abritant au total 32 millions d’habitants se situe entre 184 mégawatts MW (mégawatts) et 231 MW. Cela représente déjà près de 10 % de la capacité solaire installée dans la région (hors Afrique du Sud). L’élargissement de cette analyse aux 80 autres villes de plus de 500 000 habitants en Afrique subsaharienne augmenterait très probablement et de façon importante cette estimation.
Le rapport précise que les villes les plus riches, notamment Windhoek, Nairobi et Le Cap, sont celles qui ont la plus grande capacité installée de panneaux solaires. Celles-ci sont de respectivement 23,7 MW, 21,7 MW, et 55,7 MW, avec une valeur hypothétique de rendements des panneaux solaires de 16 % ; et 29,6 MW, 27,1 MW et 69,6 MW avec un rendement de 20 %.
Les villes les plus pauvres comme Khartoum ou Harare ont des capacités installées beaucoup plus faibles, de respectivement 0,8 MW et 3,6 MW et 1 MW et 4,5 MW dans l’hypothèse d’un rendement de 16 % et 20 %.
Naturellement, la faible fiabilité des réseaux électriques centralisés constitue un facteur d’adoption des installations solaires hors réseau en Afrique subsaharienne. L’IFRI estime d’ailleurs à 153 millions le nombre de clients potentiels ayant accès au réseau principal, mais faisant face à des problèmes de fiabilité.
Des opportunités et des menaces
Mais ce facteur n’explique pas à lui seul la pénétration croissante des systèmes solaires off-grid dans les villes de la région.
Pour déterminer quels sont les facteurs qui peuvent expliquer les différences de développement du marché que l’on observe entre les villes et entre les différents quartiers, les auteurs du rapport ont procédé à une analyse économétrique à partir du croisement des données collectées sur la pénétration des systèmes solaires décentralisées dans les villes africaines étudiées avec les données socio-économiques du réseau de recherche panafricain indépendant Afrobarometer. Cette analyse tient compte par exemple des niveaux de vie, du niveau éducatif, de la modernité du quartier, de la fiabilité de l’accès à l’électricité, etc.
Les résultats du modèle économétrique montrent que les personnes faisant partie des classes supérieures de la société, ayant un niveau de vie élevé, sont les plus susceptibles d’adopter des systèmes solaires décentralisés.
Lorsque l’on tient compte du niveau de vie, la fiabilité du facteur de fourniture d’électricité ne semble plus être un facteur déterminant dans le choix d’adoption d’un système solaire décentralisé. En d’autres termes, un foyer particulièrement aisé sera plus susceptible de posséder un système solaire quelle que soit la qualité de l’approvisionnement électrique du réseau centralisé.
Les personnes qui ont reçu une formation universitaire sont aussi plus susceptibles de vivre dans une zone où la pénétration du marché solaire décentralisé est élevée.
Le fait de vivre dans un quartier moderne, bien desservi par les services publics, tend par ailleurs à augmenter la probabilité de posséder un système solaire décentralisé. Cela montre qu’une importante partie du marché des systèmes solaires décentralisés en Afrique subsaharienne se situe dans les zones urbaines.
Les auteurs du rapport notent dans ce cadre que cette tendance de fond peut présenter des opportunités, ou au contraire des menaces si elle n’est pas correctement appréhendée.
La décentralisation progressive des systèmes électriques en Afrique subsaharienne, qui se décorrèle de plus en plus de la fiabilité du réseau, pourrait faire baisser les coûts de l’électricité pour les consommateurs et favoriser la pénétration de la technologie solaire sur le continent, tout en faisant reculer la pollution liée à l’utilisation des générateurs fonctionnant au diesel par exemple. La décentralisation des capacités de production pourrait aussi augmenter la résilience des réseaux face à des événements naturels extrêmes, limiter les investissements dans les infrastructures de transmission et réduire les pertes en ligne d’électricité.
Dans le même temps, l’autonomisation des consommateurs aisés vis-à-vis du réseau central pourrait avoir des effets néfastes sur les compagnies d’électricité africaines. La perte partielle, à court terme, de leurs meilleurs clients (résidentiels, mais aussi commerciaux ou petit industriels) porterait en effet un coup sévère aux équilibres financiers déjà fragiles de ces compagnies.