Ils sont nombreux, ces hommes à assumer leur désir ou leur choix d’épouser une femme d’une certaine aisance financière ; au moins une épouse travaillant à se fabriquer un destin enviable, avec son lot d’avantages et d’embarras.
Michel Diomady, sémillant jeune homme, n’y va pas par quatre chemins ! Femme au foyer, c’est une relique moyenâgeuse pour le bonhomme. « Les hommes d’aujourd’hui n’épousent plus une femme pour qu’elle reste à la maison sauf si elle a un coffre-fort bien garni », lâche-t-il sans tiquer. Ce célibataire travaillant à l’immeuble Yaye Fatou Diagne invoque la conjoncture difficile et bien d’autres arguments avec ardeur. Un peu plus loin, un autre son de cloche qui n’entre pas en divergence avec la tirade de Michel. Il est émis par Fatou Gassama, une vendeuse de beignets assise à quelques encablures des eaux stagnantes. Selon elle, les femmes travaillent pour avoir des sources de revenus parce que les hommes d’aujourd’hui n’épousent plus celles qui ne sont pas financièrement indépendantes. « Les hommes sont vraiment égoïstes. Je n’arrive toujours pas à les comprendre », se désole-t-elle après une kyrielle de griefs.
Clé de voiture de marque Ford à la main, robe fleurette, Mme Lô n’est pas moins acerbe. Mariée depuis deux ans, cette dame pointe du doigt le matérialisme des hommes. Elle exhorte ainsi les femmes à se fabriquer leur destin dans le monde professionnel pour se prendre en charge. Et puis, il faut bien offrir de petites gâteries à la belle-famille pour entrer dans ses grâces.
Ce débat déclenche le courroux des uns et amuse les autres. Ousseynou Thiam y va, lui, de sa boutade. Saillie joyeuse, le chauffeur pousse un peu trop loin la comparaison : « Moi, j’ai déjà une femme. Elle est à la maison, mais si je trouve une deuxième épouse aisée, je me marie avec elle sans hésiter. Les temps sont durs ». Ses propos ne souffrent pas d’ambivalence. Comme d’ailleurs ceux de Dame Diop, particulièrement narquois. « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? C’est la première question que les femmes posent aux hommes. Elles veulent un mari qui travaille. Acceptons l’idée que c’est le cas pour nous aussi. C’est très simple », estime-t-il, faisant, en outre, référence à la « nouvelle manie » de la gent féminine de chanter abusivement la « ritournelle de l’égalité ». Oups ! ça descend en flammes !
De petites incommodités
Rencontré à la rue menant à l’École nationale des travailleurs sociaux spécialisés (Entss), Mamadou Sané est, lui, plus « poétique ». Il conçoit la vie de couple comme un projet entre deux êtres unis par le sentiment et des vertus. Préfère-t-il ainsi une « femme pieuse et belle » à une épouse aisée qui n’est pas pourvue des qualités susdites.
Le foyer conjugal présente plusieurs configurations qui rendent compte de la spécificité de chaque couple contraint quelquefois à de petits aménagements « incommodants » pour certains. C’est le cas d’Aliou, marié à une femme financièrement stable, mais très absorbée par son travail. « Nous travaillons tous les deux. Mais, c’est vraiment difficile pour moi. Elle rentre tard à la maison et est très souvent en mission, hors du pays », dit-il. Ibrahima, fringant bonhomme de 35 ans, s’est embarqué dans la même « galère ». Marié depuis cinq ans, il a dû établir un planning avec son épouse pour s’en sortir : « Du lundi au mercredi, c’est moi qui prépare et amène les enfants à l’école. En son absence, je m’occupe d’eux. J’ai choisi d’avoir une femme qui travaille, donc j’assume ». Et avec la conjoncture, chacun joue sa partition malgré de petites incommodités.
« Elle me rabâche son salaire »
On le soupçonnerait de machisme. Mais, Abdoubacry Cissé, bouffi d’orgueil, assume sa position. Un petit pot à la main, ce vigile, venu acheter du café et assis à même le sol en attendant le vendeur, préfère une femme qui n’a aucune source de revenus. La raison est simple. « Une épouse qui a un travail ne respecte jamais son mari. Mes parents ne me permettraient pas de me marier avec une femme qui travaille, quels que soient ses revenus ». Ça a le mérite d’être clair !
En épousant une femme financièrement enviable, Monsieur Camara pensait avoir décroché le graal. Sa désillusion a été aussi grande que l’enfer qu’il dit vivre en ce moment. « J’ai toujours voulu avoir une femme qui travaille pour arrondir mes fins de mois. Cette femme, je l’ai, mais je vis l’enfer. À chaque dispute, elle me rabâche qu’elle a un salaire comme moi. Parfois, elle refuse même de faire la cuisine », confie-t-il amer. C’est ce qui a poussé Moussa Diop, vendeur de café et originaire de Touba, à épouser une femme au foyer. D’ailleurs, selon lui, dans sa famille, traditionnellement, les hommes n’ont pas le droit d’épouser une femme instruite.
Dans la famille Diallo, cette tradition est encore perpétuée. Le récit de vie d’Amadou Diallo en est une parfaite illustration. Chaussures bien cirées, des lunettes posées sur le nez, Amadou vit avec sa femme qui travaille dans une Organisation non gouvernementale (Ong) sise dans un appartement de quatre pièces au quartier point E. Depuis qu’il a annoncé son souhait de se marier avec elle, sa mère lui met la pression. Cette dernière voulait plutôt le voir contracter un mariage avec une femme au foyer pour rester à ses côtés, cuisiner et s’occuper d’elle. Un souhait auquel Amadou n’a pas accédé. Mais, d’après lui, sa maman persiste, le poussant ainsi à chercher une seconde épouse répondant à ses critères : une belle-fille à son service. Obligé de s’y plier, même s’il « ne l’aime pas », dit-il, la mort dans l’âme.
Aux yeux d’Adama Pouye, activiste et membre du Collectif des féministes sénégalaises, cette ère est révolue. « Les femmes doivent travailler pour être à l’aise financièrement et montrer aux hommes qu’elles peuvent se prendre en charge », soutient-elle la voix à peine audible. Mais, cela va au-delà d’un désir d’affirmation, d’après l’étudiante Aminata Diop. C’est « avant tout, pense-t-elle, une question d’entraide dans un couple ».